Incendies en série, explosions et déraillements en Russie : accidents ou campagne de sabotages ?

Un nouveau cap avait été franchi dans le déroulement de la guerre en Ukraine le premier avril dernier. Alors que les offensives russes s’enlisaient sur tous les fronts, les Ukrainiens ont été en mesure de mener une frappe à la roquette sur un dépôt de carburant situé en territoire russe, juste de l’autre côté de la frontière, vraisemblablement via un raid d’hélicoptères volant à basse altitude. Depuis, leur capacité à agir en territoire ennemi pose question. Mais la multiplication des incendies dans des secteurs stratégiques, jusque dans les environs de Moscou, brouille la frontière entre actions militaires, accidents, et sabotages possibles dans les rangs russes.

Ce n’était techniquement pas la première frappe ukrainienne au-delà de la frontière : dès les premiers jours de l’invasion, quelques missiles auraient atteint des aérodromes russes. Mais le fait que des militaires ukrainiens soient capables d’agir en territoire russe, d’y attaquer des infrastructures stratégiques, et de ne pas se faire intercepter a fait l’effet d’un choc en Russie, au moins tout autant que la perte du Moskva, le fleuron de la flotte en mer Noire. Or, les incendies et les explosions se multiplient en Russie et, comme pour le Moskva, le Kremlin préfère évoquer des accidents.

Des frappes jusqu’à 150 km de la frontière ?

Le rôle de l’armée ukrainienne dans certaines de ces catastrophes les plus spectaculaires laisse pourtant peu de doutes. Le 25 avril dernier, ce sont deux entrepôts de carburant, l’un civil et l’autre militaire, qui se sont embrasés en périphérie de la ville de Bryansk rapportaient les médias russes. Or la ville se situe à plus d’une centaine de kilomètres de la frontière. Aucun des belligérants n’a confirmé quoique ce soit, mais ça serait cette fois un drone Bayraktar TB-2, un de ces engins qui font des ravages parmi les blindés russes, qui aurait traversé la frontière sur une si longue distance pour tirer ses missiles.

Un « false flag » toujours possible mais peu probable

Un engin de ce genre aurait été abattu par les Russes au-dessus de l’oblast de Koursk, donc possiblement sur le chemin du retour de Briansk. Si la possibilité d’une opération « false flag » n’est pas à exclure, on voit quand même mal les Russes sacrifier de précieuses réserves de carburant destinées à leur armée pour en accuser les Ukrainiens, alors que ceux-ci ont tout intérêt à enrayer l’offensive en cours dans le Donbas en ciblant sa chaine logistique. Les Russes pourraient certes accuser les Ukrainiens d’agressions, mais à Moscou, on semble plus enclin à passer sous silence les revers, comme on l’a vu avec la perte du Moskva, dont le taux de pertes parmi l’équipage reste un secret bien gardé.

Des trains qui déraillent et des usines qui brûlent

La Russie est aussi confrontée à une série de déraillements sur son réseau ferroviaire, comme récemment à proximité de Bryansk, sans doute quelques jours avant les incendies, même s’il est difficile d’estimer s’il s’agit là d’un affaissement des voies ou d’un sabotage. Plus tôt dans le mois par contre, c’était bien une charge explosive qui avait endommagé une voie stratégique utilisée par les transports de troupes en direction du front.

La Russie est aussi confrontée à divers incendies dans des secteurs industriels capitaux, comme jeudi dernier, dans institut de recherche de Tver, au nord-ouest de Moscou, qui a fait au moins sept morts selon The Guardian. D’autres industries liées au complexe militaro-industriel du pays ont été le théâtre d’incendies au cours des dernières jours, dans les villes de Dmitrievsky ou encore Korolyov, situées aussi à proximité de Moscou.

Quelles conclusions tirer de cette multiplication des accidents dans des usines chimiques et des centres de recherches militaires ? D’abord, il faut se rappeler que les accidents restent toujours possibles, mais dans ce cas leur fréquence interpelle. Le secteur russe de la défense est déjà sous pression, entre les besoins d’alimenter l’armée en véhicules en en munition, et les sanctions internationales qui ont tari les sources de composants électroniques sophistiqués. En outre, les environs de Moscou se situent à près de 1.000 km de la frontière avec l’Ukraine ; à l’inverse de la région de Belgorod, voire de Bryansk, difficile d’imaginer des forces spéciales ukrainiennes opérant aussi loin.

Des signes d’un soutien à Poutine qui s’étiole ?

Se pourrait-il que la Russie soit déjà en proie à des troubles internes suffisamment graves pour qu’apparaissent des cas de sabotages « en interne » ? C’est de la pure spéculation, mais il n’empêche que cette éventualité doit être prise en compte. Elle démontrerait en tout cas d’une très faible efficacité des services de surveillance et de renseignement dans le pays. À moins que ceux-ci, déjà victimes de purges récentes de la part de Vladimir Poutine, ne puissent plus – ou ne veulent plus – le suivre en Ukraine, dans ce qui ressemble de plus en plus à la fois à une tentative de guerre de conquête et à une catastrophe militaire.

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