Voici les secrets de l’Allemagne dans sa lutte contre le Covid-19

L’Allemagne est proportionnellement l’un des pays les moins touchés d’Europe occidentale depuis le début de la crise du coronavirus. Bien sûr, le pays est actuellement confronté à une montée des cas. À l’heure d’écrire ces mots, l’Institut Robert Koch, le Sciensano allemand, a annoncé 7.167 nouveaux cas en 24 heures. C’est le chiffre le plus élevé depuis le début de la pandémie en Allemagne. Mais avec une population de plus de 80 millions d’habitants, c’est beaucoup moins que ce que nous et les autres pays voisins vivons actuellement. Alors: pourquoi l’Allemagne fait-elle mieux?

Jusqu’à présent, 9.955 personnes sont mortes des suites du virus en Allemagne. Indépendamment de la discussion sur la façon dont les décès sont comptabilisés, l’Allemagne obtient un score nettement meilleur que la Belgique (10.443 pour sept fois moins d’habitants), les Pays-Bas (6.814 décès pour 4,5 fois moins d’habitants) et la France (33.885 décès pour 66 millions d’habitants).

Les nouveaux cas quotidiens par million de citoyens sont constamment inférieurs à ceux de tous ses voisins d’Europe occidentale, et le risque de décès par COVID-19, depuis le début de l’épidémie, est parmi les plus faibles d’Europe occidentale.

Our World Data

Superstars et lits excédentaires

Et à nouveau, lors de cette 2e vague, l’Allemagne fait mieux. Pourquoi ? En allant droit au but: c’est principalement grâce à une utilisation efficace de la technologie, avec une application de suivi des contacts qui fonctionne à plein régime.

Le fait qu’Angela Merkel ait un doctorat en chimie quantique, ça aide aussi, c’est sûr. L’Allemagne est un pays qui traite ses scientifiques comme des superstars. C’est notamment le cas du virologue et podcasteur basé à Berlin, Christian Drosten.

Angela Merkel. – Isopix

Ensuite, il y a le programme de tests de masse acclamé par la critique, qui rivalise avec celui de la Corée du Sud. Enfin, c’est l’offre excédentaire de lits ICU (soins intensifs) – quelque chose qui était controversé pour son coût dans le pays avant le coronavirus mais qui est maintenant loué.

Mais c’est loin d’être toute l’histoire du succès de l’Allemagne (en comparaison avec ses voisins toujours). Il y a d’autres explications à cette réussite. Et ils n’ont rien à voir avec la technologie, Merkel ou les lits d’hôpitaux. Pourtant, ils sont largement négligés.

La chance

‘Nous avons été très chanceux en Allemagne dès le départ’, admet par exemple Günter Fröschl. Il sait de quoi il parle. Il est spécialisé en médecine tropicale à l’Université de Munich et dirige la plus ancienne division de test COVID-19 d’Allemagne. Fröschl est l’homme qui a testé quatre des cinq premiers patients atteints du coronavirus avec un coton-tige à la fin du mois de janvier. À l’époque, sa fiancée – une spécialiste des maladies infectieuses – travaillait à Brescia, en Italie, le point zéro de l’épidémie de coronavirus la plus meurtrière d’Europe. Les deux étaient au téléphone tous les jours pour comparer leurs notes, et Fröschl a conclu que la seule raison pour laquelle les chemins de l’Allemagne et de l’Italie avaient si largement divergé au début de la pandémie, était lié à une chose sur lequel les deux pays n’avaient aucun contrôle: la chance.

Günter Fröschl

Les premiers cas de COVID-19 connus en Allemagne ont été découverts dans une entreprise de pièces automobiles à Munich, Webasto. Là-bas, un employé chinois – qui a été testé positif après un retour de Chine – en a infecté plusieurs autres lors d’une visite d’entreprise. Lorsqu’elle a appris le résultat positif du test, l’entreprise a informé son personnel, y compris un employé qui, malgré l’absence de symptômes graves, s’est présenté pour réaliser un test.

Le fait que ce patient se soit manifesté a permis aux responsables de la santé publique d’identifier, de retracer et d’isoler très tôt d’autres cas. Au lieu d’une épidémie majeure et silencieuse au début de la pandémie, les autorités sanitaires allemandes ont pu arrêter la propagation du virus à un stade très précoce.

Un autre trèfle à 4 feuilles

Et ce n’est pas tout: l’Institut de microbiologie de la Bundeswehr à Munich abrite un laboratoire de biosécurité de niveau 3 – le type de labo qui traite des agents hautement contagieux et mortels qui peuvent se propager par inhalation, tels que le SRAS-CoV-2. Lorsque la Chine a publié la séquence génétique du nouveau coronavirus en janvier, les collègues de Fröschl de l’institut se préparaient déjà à des tests PCR pour détecter le coronavirus. Cela signifiait que le test était déjà disponible à Munich lorsque les premiers patients sont arrivés et que Fröschl pouvait l’utiliser pour diagnostiquer rapidement les premiers cas.

Mais Munich n’était pas la seule ville qui avait préparé des tests. À Berlin, des scientifiques ont aussi créé le kit de test, avant même que la Chine ne publie la séquence du virus. Mais Fröschl souligne que si ce premier patient s’était présenté dans une partie moins préparée du pays, le résultat aurait pu être complètement différent – sans doute un scénario à l’italienne, où les cas sont passés inaperçus pendant des semaines et ont ensuite submergé le système de santé.

Il y a certes un peu de fausse modestie dans le chef de Fröschl et de ses collègues. La chance n’est qu’une partie de la réalité. Elle a insufflé au groupe de scientifiques une dynamique, et ils ont tenté de garder ce temps d’avance. Une fois le cluster de Webasto sous contrôle, Fröschl et ses collègues se sont mis au travail en appliquant ce qu’ils avaient appris de l’expérience: établir des protocoles pour diagnostiquer, isoler et traiter en toute sécurité les patients Covid-19. Cela signifiait qu’à la fin du mois de février, lorsque les voyageurs ont commencé à revenir d’Autriche, d’Italie et d’autres pays où le virus était présent, l’Allemagne était prête.

Regarder et apprendre les leçons

Une autre chose que les Allemands ont très bien fait a été de tirer des leçons très rapidement, et d’apprendre de ce qui se faisait de mieux dans d’autres pays – en particulier la Corée du Sud, le Japon et Taiwan. Ces leçons de pays étrangers ont montré aux Allemands à quelle vitesse réagir, avec de nombreux tests et une recherche des contacts efficace. Cela peut paraitre dur de dire que les virologues d’autres pays ne l’ont pas vu venir, mais la différence est bien là: les Allemands ont très rapidement mis en pratique ce qu’ils avaient appris de ces pays. Et cela s’est concrétisé par le programme allemand de tests de masse.

Aujourd’hui, c’est à nouveau le cas. Très tôt, les Allemands ont réalisé qu’après les vacances d’été, ils seraient confrontés à une nouvelle augmentation du nombre de cas. Dans cet état d’esprit, la capacité d’analyse des laboratoires à travers le pays a été augmentée. Et parce qu’ils ont rapidement compris ce qui allait se passer, ils ont agi tout de suite, ils étaient mieux préparés. Tout le contraire de la Belgique avec sa nouvelle stratégie de testing qui limite les tests aux seuls cas symptomatiques.

Pour le constater, il suffit de regarder les chiffres. Plus vos capacités de tests augmentent par rapport à la demande de tests et de la croissance des cas réels, plus la situation est maîtrisée. L’Allemagne était prête en mai. La plupart des autres pays européens en juillet-août quand les cas ont commencé à diminuer. Voyez le résultat aujourd’hui.

Il y a eu des hauts et des bas dans l’épidémie de coronavirus en Allemagne. Mais la différence est qu’ils ont réussi à intensifier les tests de manière efficace et réfléchie, au moment où il le fallait. Comme le montre une analyse de Our World in Data de l’Université d’Oxford. De mai à aujourd’hui, l’Allemagne est passée d’environ 60.000 tests par jour à 160.000. Encore maintenant, l’Allemagne réadapte son approche de test: avec une nouvelle stratégie de tests rapides PCR à partir de cette semaine pour augmenter la capacité à mesure qu’arrive l’hiver. La Belgique s’y met, mais elle démarre là encore avec du retard.

La stratégie de dépistage très bien gérée explique pourquoi les cas n’explosent pas aujourd’hui, comme nous le voyons dans d’autres pays. Les Allemands n’ont pas gâché le confinement initial: ils l’ont utilisé pour construire un programme de tests robuste qui leur permet également de gérer la reprise actuelle. Et c’est un programme conçu de telle manière qu’ils n’ont jamais perdu le contact avec l’épidémie, même au début de l’été lorsque le virus semblait avoir disparu.

Viser juste

Une autre raison du succès de l’Allemagne par rapport à ses voisins est qu’elle suit une stratégie plus locale. L’Allemagne est un pays fédéral composé de 16 Länder avec environ 400 services de santé locaux. Alors que cette construction politique a souvent été citée comme une faiblesse en Belgique, elle a été une force en Allemagne. Les gouvernements locaux ont pu agir rapidement et adapter les politiques au cas par cas.

Jusqu’à présent, cela a principalement porté ses fruits sur le tracing. Par exemple, Berlin a décidé de fermer les bars et les boîtes de nuit avant les autres régions au début de la pandémie (en mars), parce que les autorités étaient certaines de compter des foyers de contaminations. Lors de leur réouverture en juin, les autorités sanitaires municipales avaient profité de la période du confinement pour convaincre et encourager l’industrie hôtelière à coopérer pour retrouver les contacts de leurs clients. Le résultat a été un taux de suivi des contacts incroyablement élevé de plus de 90%, ce qui signifie que presque tous les contacts des personnes infectées ont été identifiés et suivis. Fin septembre, Berlin a connu une flambée des cas issus de bars et de boites de nuit. Et très rapidement, il a été décidé d’imposer un couvre-feu pour ces mêmes bars et clubs.

La science avant tout

Autre chose qui a également énormément contribué à la réussite allemande: les autorités ont écouté attentivement les scientifiques, et ce, dès le début de l’épidémie. Et cela va beaucoup plus loin qu’Angela Merkel. Même au niveau local, il n’y a pratiquement pas eu de discussion entre les politiciens sur le suivi des recommandations des scientifiques. Encore une comparaison frappante avec notre pays, sans parler de la France. Les politiciens allemands n’ont pas non plus eu peur de changer rapidement de cap à la lumière de ces conseils et d’adapter les mesures déjà prises ou d’en prendre de nouvelles.

La situation dans son ensemble est que le public fait confiance aux politiciens allemands, parce que depuis le début, ils n’ont pas dissimulé les choses, ils ont communiqué clairement, suivi la science sans trop répandre des opinions contradictoires. C’est aussi ce qui a fait de l’application corona un si grand succès en Allemagne: la plupart des Allemands estiment que même s’ils donnent des informations très détaillées sur leur vie privée – et cela est pris très au sérieux – ils ne seront pas abusés par les autorités.

Pour toutes ces raisons, l’Allemagne a une longueur d’avance. Même si elle ne peut crier victoire trop vite. Cette pandémie nous a tous appris l’humilité.

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