Retardé, le vaccin de Sanofi pourrait finir par être abandonné: ‘Un fiasco industriel français’

Le 11 décembre dernier, le géant pharmaceutique français Sanofi annonçait qu’il aurait un gros retard dans la livraison de ses vaccins contre le Covid-19: ils n’arriveront pas avant la fin de 2021. Une grave défaite sur le plan commercial, mais aussi sur le plan sanitaire, la Commission européenne étant accusée d’avoir cédé aux pressions françaises en limitant le nombre de commandes auprès de Pfizer/BioNTech au profit de la firme hexagonale. Finalement, on est en droit de se demander si le vaccin français verra bel et bien le jour.

La bombe a été lancée le 18 décembre dans la presse allemande. Cédant aux pressions de la France – qui ne voulait pas que la commande européenne auprès de Sanofi soit plus petite que celle de Pfizer/BioNTech – la Commission européenne aurait accepté de limiter à 300 millions de doses ses commandes au duo américano-allemand.

Conséquence: face au retard de Sanofi, l’Union européenne risque de manquer de doses. Et ce ne sont pas les potentielles 100 millions de nouvelles doses commandées auprès de Pfizer/BioNTech, envisagées ce lundi, qui permettront de solutionner totalement le problème. Pour la presse allemande, la Commission européenne a clairement fait passer les intérêts commerciaux de la firme française avant la santé des Européens.

Dans la foulée, les autorités françaises ont nié ces accusations. Clément Beaune, le secrétaire d’État français aux Affaires européennes, et Agnès Pannier-Runacher, la ministre de l’Industrie, ont parlé ‘d’un grand n’importe quoi’ et de ‘mensonges’, rappelant que Curveac, AstraZeneca et Janssen avaient obtenu des commandes plus importantes que Sanofi.

Les tensions ne s’apaisent pas

À Bruxelles, tout le monde n’est pas convaincu par les explications françaises. Ce lundi, le député européen Yannick Jadot (EELV) a jeté un pavé dans la mare. ‘Le bruit qui court à Bruxelles, c’est que la France a joué la carte Sanofi au maximum et a probablement contraint l’Europe – c’est ce que dit la presse allemande – à privilégier Sanofi contre les autres vaccins.’ L’élu écologiste est ensuite allé plus loin, dénonçant un ‘fiasco industriel français’.

Face à ces tensions grandissantes, il apparaît même que le vaccin de Sanofi pourrait finir par être sanctionné par une réduction de la commande européenne. Dans le cas le plus extrême, le vaccin de Sanofi – développé avec GSK, firme britannique – pourrait ne jamais voir le jour. Voici les différents boulets qui alourdissent les pieds du géant français:

  • En théorie, la Commission européenne a le droit de revoir ses commandes à la baisse, rappelle Le Figaro. Si Pfizer parvient à répondre aux nouvelles demandes européennes et que les futurs vaccins (Moderna, AstraZeneca, Curevac, Janssen) répondent aux exigences sanitaires et aux contraintes de temps, il se pourrait que l’Europe n’ait plus besoin des 300 millions de doses de Sanofi.
    Ce n’est toutefois pas ce qui acterait la mort définitive du vaccin de Sanofi. D’une part, la demande mondiale sera encore très élevée fin 2021. D’autre part, il faudra, partout, constituer des stocks de précaution.
  • Sanofi fait aussi face à un immense défi éthique. Suite à son gros couac – lié à un problème de concentration du produit – la firme française n’a pas encore pu lancer la phase 3 (la dernière) de ses essais cliniques. Cela consiste à trouver des dizaines de milliers de volontaires qui se verront administrer soit le candidat vaccin soit un placebo.
    Problème: alors qu’un vaccin efficace est déjà sur le marché et que d’autres vont suivre, comment convaincre des personnes de prendre le risque de recevoir un placebo ? Quand bien même Sanofi arriverait à dégoter ces volontaires, l’éthique veut qu’on n’administre pas un placebo aux personnes à risque – les plus âgées, surtout – car celles-ci risqueraient d’être contaminées par le virus et d’en subir les sinistres conséquences.
  • Face à cette périlleuse épreuve des essais cliniques, Sanofi a deux cartouches en réserve, a expliqué le Professeur Jean-Daniel Lelièvre, chef de service des maladies infectieuses de l’Hôpital Henri-Mondor de Créteil, à BFM TV.
    • Ne donner le placebo qu’à des jeunes, qui, en règle générale, n’encourent de toute façon qu’un risque minime s’ils sont contaminés par le coronavirus. Un risque minime, mais un risque quand même. De plus, cela empièterait sur la connaissance de la réelle efficacité du vaccin sur la population plus âgée.
    • Passer outre les essais cliniques sur les dizaines de milliers de volontaires, en se basant sur les données immunologiques. Cela ne peut se faire que lorsqu’un corrélat de protection a été établi. Il s’agit d’une preuve indirecte, décelée dans le corps, de l’existence d’une protection contre le virus ciblé par le vaccin administré. Ainsi, lorsqu’un vaccin a prouvé son efficacité de manière durable, on ne doit plus passer par de fastidieux essais cliniques pour l’améliorer, l’actualiser ou en créer un nouveau sur la même base. Malheureusement pour Sanofi, le corrélat de protection du vaccin contre le coronavirus n’est pas encore connu.

Lire aussi :

Pourquoi Sanofi veut continuer

Malgré les importantes barrières qui se dressent sur la route de Sanofi, la société ne compte pas lâcher son vaccin. Du moins, pas pour l’instant. Face à l’adversité, il lui reste tout de même quelques lueurs d’espoir. En dépit de son retard, son vaccin peut toujours s’avérer utile par rapport à la concurrence.

  • Les vaccins qui arrivent et arriveront avant celui de Sanofi ne sont et ne seront pas parfaits. Les principaux inconvénients de celui de Pfizer/BioNTech, par exemple, sont son prix et ses difficiles conditions de conservation. Sanofi veut et peut se démarquer sur ces critères. En misant finalement sur une méthode plus traditionnelle que celle de l’ARN messager – elle travaille aussi sur un deuxième vaccin de ce type – Sanofi a tout à fait le droit d’y croire. Mais c’est aussi la stratégie adoptée par AstraZeneca, qui devrait recevoir l’approbation européenne d’ici un à deux mois.
  • Sanofi peut également se démarquer sur le plan de l’efficacité de son vaccin. Ainsi, la firme française peut tenter de miser sur un produit mieux adapté à certaines catégories de personnes (les plus âgées, les enfants, les femmes enceintes…). Elle peut, en outre, tenter de conférer à son vaccin une durée de protection plus longue que celle des produits concurrents.
  • Mettre son vaccin au placard constituerait pour Sanofi un immense aveu d’échec. Numéro trois mondial des vaccins, la firme française ne veut pas que son image se retrouve davantage ternie par cette affaire. Le vaccin contre le coronavirus, c’est une chose. Mais ce n’est évidemment pas son seul cheval de bataille. Afin de garder une position forte, elle n’a pas le droit d’abandonner son vaccin contre le coronavirus. Même s’il arrive près d’un an après la concurrence. Et même si les commandes européennes sont revues à la baisse.

Lire aussi :

Plus