Une oasis dans le désert des sanctions : pourquoi l’Occident ne peut pas se passer de la Russie dans la quête de la fusion nucléaire

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Europe et les États-Unis ont coupé de nombreux liens avec Moscou, pour isoler le pays et son économie sur la scène internationale. Malgré toutes les sanctions, il y a une relation qui continue presque comme si de rien n’était : la quête pour la fusion nucléaire.

Pourquoi est-ce important ?

L'énergie des étoiles. La fusion nucléaire est vue comme le Saint-Graal de l'énergie. C'est une énergie qui est presque infinie. Une quantité infime de combustible génère une quantité énorme d'énergie, le tout sans déchets nucléaires, sur le long terme. L'aboutissement de cette production d'énergie est encore loin, mais un contretemps dans la recherche et le développement porterait l'aboutissement encore plus loin. Alors que pour une première fois, au début du mois, une grande percée a été faite en Californie : le réacteur a produit plus d'énergie qu'il n'en a consommée.

Le contexte : l’ITER est un puzzle géopolitique.

  • Le réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER), situé en France, est le plus important site d’expérimentation de la fusion nucléaire au monde.
  • Rien que sa création a été un acte géopolitique fort : le projet a été lancé après une rencontre entre Ronald Reagan et le récemment défunt Mikhaïl Gorbatchev, alors respectivement président des États-Unis et secrétaire général de l’Union soviétique, en 1985 – signe d’une accalmie de la guerre froide.
  • Le projet réunit l’UE (qui couvre 46% des coûts de fonctionnement, via l’agence Fusion 4 Europe, groupe qui reprend aussi le Royaume-Uni), la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée, la Russie et les États-Unis (9% des coûts chacun).
  • Élément important pour comprendre le fonctionnement : les pays membres fournissent surtout du matériel pour le projet (90% des dons), détaille Politico. Chaque pays produit des pièces différentes, nécessaires pour le fonctionnement du réacteur. Vous l’aurez compris : si l’un ou l’autre pays ne respecte pas cet engagement, le projet entier est mis à mal.
  • D’un point de vue juridique, l’ITER est un accord international comme les Nations Unies, contrairement à l’accélérateur à particules de Genève, où la Russie a dû prendre la porte, explique Alain Bécoulet, ingénieur en chef de l’ITER, à Politico. Il serait ainsi impossible d’éjecter un pays du projet. Il n’y a pas de clause dans la constitution prévue à cet effet, continue-t-il.
  • Conclusion : Pour ces différentes raisons, il est difficile, voire impossible, de pousser la Russie, dont des représentants du gouvernement sont membres du Conseil de l’ITER, la plus haute instance décisionnelle, vers la porte. Mais le fonctionnement de l’organisation est tout de même impacté.

Le détail : la cohabitation continue.

  • Le divorce est impossible, mais qu’en est-il de la cohabitation ? Dès l’invasion, de nombreuses questions se sont posées. Mais au final, l’ITER s’est bien gardé de condamner la guerre, du moins publiquement et officiellement.
  • La volonté de mener le projet à bien l’emporterait sur la géopolitique. « La situation politique est stable jusqu’à présent, et tous les membres ont déclaré vouloir continuer à travailler ensemble », décrit Bécoulet. Dans ce sens, la réunion du Conseil en avril a été « très constructive ». Écho similaire pour celle d’octobre : les membres « ont réaffirmé leur ferme conviction de la valeur de la mission ITER ».
  • Selon l’ingénieur russe Vladimir Tronza, l’équipe russe, composée de 50 personnes environ, ne voudrait en tout cas pas quitter le projet et rentrer au pays. Aucun Russe ne serait encore parti.

L’essentiel : la guerre en Ukraine complique tout de même les choses.

  • Voilà pour l’organisation interne. Mais en externe, la guerre complique bien plus les choses. À cause des sanctions contre la Russie et des contre-sanctions de la Russie, il devient compliqué d’avoir les pièces, élémentaires, qui viennent de Russie. Il s’agit notamment de barres d’aluminium, qui permettent de charger l’intérieur du réacteur électriquement, et un aimant géant de 200 tonnes, qui est nécessaire pour la formation du plasma. Deux pièces que la Russie devait livrer en 2022.
    • L’aimant géant, sans qui le réacteur ne fonctionnerait pas, a été transporté de Saint-Pétersbourg à Marseille en novembre.
  • C’est que pour mettre la main sur les pièces, c’est un casse-tête, explique Bécoulet. « Plus de paperasse, plus de justification pour expliquer aux différents pays européens que non, nous ne sommes pas soumis aux sanctions – nous avons des dérogations ». Résultat : deux mois de plus pour que les pièces soient livrées, explique-t-il.
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