L’archipel du Pacifique décidera en décembre prochain s’il garde le tricolore ou s’il accède à l’indépendance. Un processus entamé depuis 1998 en collaboration avec la France, mais à l’issue incertaine. D’autant que l’armée française suspecte le dragon chinois de lorgner sur Grande Terre, sa position stratégique et ses ressources minières.
Certes, nous sommes à 16.740 kilomètres de Paris, mais la Nouvelle-Calédonie c’est bien la France, et ce depuis 1853. C’est d’ailleurs ici qu’ont été déportés certains des révoltés survivants de la Commune de 1871, dont l’institutrice anarchiste Louise Michel.
Trois consultations sur trois ans
Mais cela pourrait changer, car l’archipel composé de Grande Terre et d’une série d’îles et d’îlots plus petits votera pour ou contre l’indépendance le 12 décembre prochain. C’est le troisième et dernier référendum auquel se soumettront les Néo-Calédoniens, d’origine française ou kanak, comme le prévoyait l’accord de Nouméa de 1998. Celui-ci a octroyé une autonomie accrue à l’archipel par rapport à la métropole. Mais il garantissait surtout la tenue d’un débat sur l’indépendance qui aboutirait à un référendum entre 2014 et 2018. Si celui-ci aboutissait à une majorité de « non » à la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? », deux autres référendums pouvaient encore être organisés sur le même enjeu.
La première consultation s’est tenue le 4 novembre 2018 et a abouti à un « non » pour 56,4 % des votants. Lors de la seconde, organisée le 4 octobre 2020, le « non » l’a également emporté, à 53,26 %. Le référendum de cette année marque donc la dernière occasion pour les indépendantistes kanaks d’accéder à l’indépendance par cette voie.
Il y a des chances que, comme lors des deux précédents, la préparation de ce scrutin ne soit scrutée que de fort loin par les médias de la métropole. Pour rappel, c’est l’ancien Premier ministre Manuel Valls qui avait été nommé en 2017 président d’une mission d’information parlementaire sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie… Avant d’en démissionner en septembre 2018 afin de se consacrer à sa candidature aux municipales de Barcelone, laissant la France à deux mois des échéances de l’accord de Nouméa.
Le dragon veille
Mais de l’autre côté du globe, une autre puissance suit de près le chapitre final de cette affaire : la Chine veut renforcer son influence dans l’océan Pacifique, et Grande Terre est de toute évidence sur son chemin. Selon un rapport de l’Institut français de Recherche Stratégique de l’École Miliaire [IRSEM], le dragon s’intéresse aux mouvements indépendantistes insulaires. « Il est dans l’intérêt de Pékin d’encourager des mouvements indépendantistes, pour récupérer des parts de marché ou fragiliser de potentiels adversaires », précise ce texte. « S’il y a eu des soupçons d’ingérence chinoise dans le référendum de 2018 sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, et si Pékin suit de près la progression du camp indépendantiste confirmée par le référendum de 2020, c’est parce qu’une Nouvelle-Calédonie indépendante serait de facto sous influence chinoise et présenterait au moins deux intérêts majeurs pour le Parti-État. »
Gare à l’ingérence aux antipodes
Deux intérêts présentés dans ce rapport qui semblent d’ailleurs fort logiques au vu des dernières péripéties de la géopolitique mondiale: la Chine pourrait, en mettant la Nouvelle-Calédonie dans sa poche, établir de fait une barrière d’États amis autour de l’Australie, et ainsi l’isoler de l’aide américaine. Mais aussi, dans le domaine économique, assurer à Pékin un accès privilégié aux vastes ressources minières de l’île, notamment le nickel. Le renseignement français s’inquiète du précédent de Vanuatu, autre archipel (indépendant, lui) où la Chine investit dans les infrastructures, dont un port en eaux profondes, à la grande inquiétude de l’Australie qui y voit déjà un chemin tout tracé vers ses propres côtes.
La France a annoncé la création d’un nouvel organisme, baptisé Viginum et destiné à repérer les tentatives d’ingérences étrangères dans l’opinion ou les scrutins du pays. Le référendum des antipodes constituera donc probablement le baptême du feu pour le nouveau bureau. Mais le rapport de l’ IRSEM déplore aussi la faiblesse du déploiement militaire permanent dans le Pacifique, alors que l’Hexagone veut consolider son rôle d’acteur à part entière dans la région indo-pacifique. Dans ce contexte, une indépendance de la Nouvelle-Calédonie entrainerait sans doute de longs pourparlers pour que les navires tricolores puissent encore mouiller dans les eaux du nouvel État qui, d’ailleurs, pourrait y gagner des accords de coopération militaire, voire faire payer à la France une sorte de loyer. Référendum ou pas, l’Hexagone n’a pas fini de devoir se rappeler qu’il a un pied dans le Pacifique, un océan qui a toujours bien mal porté son nom.
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