Comment la France veut garder son rôle de puissance navale en Asie-Pacifique

La France reste fort présente dans les océans Indien et Pacifique, où elle bénéficie de la plus grande zone économique exclusive au monde. Mais la défection de l’allié australien oblige Paris à reconsidérer ses autres cartes dans la région.

Pourquoi est-ce important ?

La France est le seul pays de l'Union européenne à encore posséder des territoires dans les océans Indien et Pacifique. Et elle a développé une stratégie cohérente pour défendre ses intérêts dans la région en consolidant la coopération avec des alliés régionaux forts, comme le Japon, l'Inde, et l'Australie. Une stratégie que ce dernier pays vient de remettre entièrement en question en rejoignant les USA et le Royaume-Uni dans l'accord AUKUS sans même en avertir la France.

Ça ne saute certes pas aux yeux quand on survole le planisphère, mais la France reste une puissance -anciennement- coloniale, qui possède des territoires dans chaque hémisphère et sur chaque océan. C’est particulièrement le cas dans la zone indo-pacifique, où le tricolore flotte encore sur l’île de La Réunion, la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, ou encore Mayotte. Des territoires qui représentent les trois quarts de la zone économique exclusive (ZEE) de la France, soit l’espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d’exploration et d’usage des ressources. La France d’outre-mer représente la plus grande ZEE au monde, et elle abrite aussi 1,6 million de citoyens.

Les (gros) confettis de l’Empire

Or, ces populations comme ces intérêts économiques, il faut les protéger, ce qui fait de la France, d’autant plus depuis le Brexit, l’État européen le plus impliqué dans l’ordre maritime mondial. C’est particulièrement vrai dans la région, où sont stationnés pas moins de 7.000 soldats, 15 navires de guerre et 38 aéronefs, selon le contre-amiral Jean-Mathieu Rey: « C’est dans ce cadre que le groupe aéronaval français autour du porte-avions à propulsion nucléaire Charles de Gaulle a opéré dans le Pacifique en 2019 et le fait actuellement dans l’océan Indien. Il y a quelques semaines, le sous-marin d’attaque à propulsion nucléaire Emeraude a effectué un long déploiement depuis sa base de Toulon jusqu’au Pacifique pour souligner l’engagement de la France dans cette zone. »

Si la présence permanente française dans la zone Indo-Pacifique permet de protéger des intérêts économiques, d’aider des missions scientifiques, ou de lutter contre la pêche illégale, le pays n’a toutefois pas les moyens de maintenir constamment une vraie flotte de guerre sur place. Paris travaille donc sa capacité à projeter des forces, et a récemment prouvé lors d’un exercice qu’elle pouvait faire transiter trois Rafale, deux avions de ravitaillement A330 Phénix et deux A400M Atlas de la métropole à la Polynésie française en moins de 40 heures. Et en parallèle, la France compte sur des solidarités fortes avec des pays tels que le Japon ou l’Inde. Mais l’Australie, pourtant partenaire historique, a jeté un gros pavé dans la marre ce mois-ci en rejoignant AUKUS, le pacte tripartite anglo-saxon qui a pour but assumé de contrer l’expansionnisme chinois dans la région.

Pour la France, AUKUS a tout du camouflet : ce sont trois de ses alliés historiques qui lui tournent le dos pour former -dans le plus grand secret- un axe beaucoup plus virulent envers l’Empire du Milieu que l’Hexagone ne la jamais été. C’est imposer à la France un nouvel équilibre tout en la renvoyant dans un rôle de figurante.

Faire le tri dans ses amis

Face à la défection de l’Australie, elle doit donc logiquement renforcer les liens avec ses autres partenaires, voire en trouver de nouveaux. Ce n’est pas un hasard si Emmanuel Macron s’est rendu au Japon à l’occasion de l’ouverture des Jeux olympiques de Tokyo, et que ce pays va prochainement ouvrir un consulat à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie.

L’Élysée regarde aussi vers la Corée du Sud, qui veut entrer dans le club très fermé des pays disposant de sous-marins lanceurs de missiles. Le Pays du matin calme vient en effet de lancer un nouveau submersible de fabrication nationale, un troisième vaisseau de 3000 tonnes destiné à renforcer les capacités de la flotte sud-coréenne. Exactement le genre d’engins dont la présence dans le Pacifique pourrait renforcer la position française, et qui devaient d’ailleurs faire l’objet d’un contrat avec l’Australie.

Les Européens sont de retour

Paris tente aussi activement d’impliquer d’autres pays d’Europe dans la région, et avec, semble-t-il, un certain succès : les Pays-Bas et l’Allemagne ont présenté leurs propres orientations en matière de politique indo-pacifique à la fin de 2020, et la Commission de l’Union européenne devrait bientôt présenter le premier projet de stratégie de coopération de l’UE dans la région. La France préside l’UE en 2022, il y a fort à parier que Paris fera tout pour maintenir l’attention sur ce dossier. La France dispose donc encore d’options pour garantir sa position de puissance influente dans la zone Indo-Pacifique, en dépit de la brouille avec l’Australie.

Mais il demeure toutefois un gros récif sur le cap de la Marine nationale : Taïwan. La stratégie de la France pour la zone indo-pacifique ne fait toujours pas la moindre mention de cette île qui, à elle seule, attire l’attention de tous les stratèges du monde. Un geste tricolore qui a sans doute pour but de ne pas vexer un dragon chinois déjà fort nerveux à cause de l’hameçon AUKUS.

Pourtant, sans pour autant reconnaître l’indépendance de l’île, l’UE a exprimé sa volonté de renforcer ses partenariats avec Taïwan. Ce qui risque de mettre la France en porte-à-faux, alors que, lors de sa reprise de relations avec la République populaire de Chine, en 1994, Paris a explicitement reconnu que « La partie française a confirmé que le gouvernement français reconnaît le gouvernement de la République Populaire de Chine comme l’unique gouvernement légal de la Chine, et Taïwan comme une partie intégrante du territoire chinois. »

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