La voiture autonome est supposée être la prochaine révolution d’un secteur qui pèse 2.000 milliards de dollars. La réalité est (pour le moment) tout autre. Le chiffre d’affaires est quasi nul et l’intelligence artificielle se fait plus remarquer dans des compilations d’accidents sur YouTube que dans sa capacité à conduire mieux que l’être humain.
Il n’existe pas un constructeur de premier plan qui ne s’est pas lancé dans la conduite autonome. Voilà maintenant 40 ans que la première démonstration de voiture-robot a eu lieu. En 1977, une équipe de chercheurs japonais a fait rouler une voiture capable de suivre une route grâce à des capteurs optiques. 100 milliards d’euros plus tard, selon un rapport de McKinsey & Co, on ne semble pas beaucoup plus avancé.
Car la promesse de la conduite autonome était de mettre fin aux accidents, de réduire les embouteillages aux heures de pointe, de régler les problèmes de parking et de libérer du temps pour les conducteurs. Dans les faits, les défis sont immenses : songez aux travaux, aux animaux, aux piétons, aux cônes de signalisation, aux fameux « virages à gauche », qui sont un casse-tête pour l’industrie, ou plus simplement à la météo. Il ne faut pas aller chercher bien loin pour trouver des compilations d’accidents sur les réseaux sociaux.
Tesla, Waymo (Alaphabet), Didi, Geely, Uber, Volkswagen… tous promettent que la seule et unique révolution de l’industrie automobile ne sera pas la voiture électrique, mais bien la voiture autonome.
Même les spécialistes sont pessimistes à court terme
Bloomberg a interrogé plusieurs insiders du secteur. Dont le pionnier de la voiture autonome, Anthony Levandowski, l’ingénieur qui a plus ou moins créé le modèle de recherche sur la conduite autonome et qui a été, pendant plus d’une décennie, la plus grande star du domaine.
Anthony Levandowski a un passé sulfureux. Il est passé de Google à Uber, récoltant un procès de ses premiers patrons pour avoir emporté avec lui des recherches exclusives. Un procès à plusieurs milliards de dollars qui a entrainé le licenciement de Levandowski, sa mise en faillite et sa condamnation pour vol de secrets commerciaux. Il n’a échappé à la prison que par l’intervention de la grâce présidentielle de Donald Trump.
Anthony Levandowski, qui peut certes nourrir quelques rancœurs, dirige aujourd’hui une startup qui développe des camions autonomes pour les sites industriels, ce qui est selon lui la limite raisonnable des capacités réelles des véhicules autonomes actuellement. Il reste néanmoins un expert dans son domaine et il est donc intéressant de connaitre son avis sur cette révolution.
« Vous auriez du mal à trouver une autre industrie qui a investi autant de dollars dans la R&D et qui a délivré si peu », a déclaré Levandowski dans une interview. « Oubliez les bénéfices – quel est le chiffre d’affaires combiné de toutes les entreprises de robots-taxis, de robots-camions, de robots-trucs ? Est-ce un million de dollars ? Peut-être. Je pense que c’est plutôt zéro. »
À long terme, il pense qu’on « y arrivera un jour, mais nous avons un si long chemin à parcourir », tempère-t-il. Mike Ramsey, analyste au cabinet d’études de marché Gartner Inc, est du même avis : « Je pense que nous aurons des véhicules autonomes que vous et moi pourrons acheter… Mais nous serons vieux. »
Quel est le problème ?
En fait, « les humains sont de très, très bons conducteurs, absurdement bons », affirme George Hotz, dont la société Comma.ai fabrique un système d’aide à la conduite similaire à l’Autopilot de Tesla. La plupart des accidents de la route sont en fait dus à des comportements imprudents, pas à des erreurs de pilotage : alcool, vitesse, envoi de SMS, somnolence. Quand l’être humain est concentré, il reste un meilleur pilote qu’un robot.
Un robot a peut-être une puissance de calcul largement supérieure à la nôtre, mais lorsqu’il voit un pigeon, il pile sur les freins, ce qui est un comportement aussi inutile que dangereux. Le conducteur humain sait que le pigeon va s’envoler, le conducteur derrière lui sait que le premier conducteur ne va pas se mettre à freiner brusquement pour un pigeon.
On pourrait régler ce problème de la voiture autonome par apprentissage et mémorisation de l’intelligence artificielle. Mais le problème est que notre monde offre tant de situations qui ne sont jamais totalement semblables.
Il faut ensuite du temps. Beaucoup de temps. Aux États-Unis, on recense un accident mortel de la route tous les 100 millions de kilomètres. Les conducteurs de bus scolaires sont impliqués dans un accident mortel tous les 500 millions de kilomètres environ. Waymo, le leader du marché, a déclaré l’année dernière qu’il avait parcouru plus de 20 millions de kilomètres sur une dizaine d’années. Cela signifie que ses voitures devraient rouler 25 fois plus que leur total de kilomètres parcourus, avant que nous puissions dire, sans une totale certitude, qu’elles causent moins de décès que les chauffeurs de bus.
Emballement des investisseurs
La charrue avant les bœufs. Il y a eu un tel emballement médiatique autour des voitures autonomes que tout le monde pensait, y compris au sein du secteur, que 90 % du boulot était accompli. Les investisseurs ont afflué de toutes parts, lorgnant sur un marché potentiel de plusieurs billions de dollars. Aujourd’hui, Waymo qui pesait 175 milliards de dollars en 2018 sur les marchés, n’en pèse plus que 30. Son équivalent chinois, Didi, a perdu 50% de sa valeur après une IPO fracassante. Même les plus petits acteurs sont touchés : Aurora Innovation, une startup cofondée par Chris Urmson, l’ancien responsable des véhicules autonomes de Google, a perdu plus de 85 % depuis l’année dernière et vaut désormais moins de 3 milliards de dollars.
« Vous voyez ces représentations étonnantes du monde en 3D, et vous pensez que l’ordinateur peut tout voir et comprendre ce qui va se passer ensuite », conclut Levandowski . Mais les ordinateurs sont encore très bêtes… »
Pour que la conduite autonome fonctionne sans tracas, il faudra sans doute d’abord une révolution dans l’intelligence artificielle. Il faudra que l’IA commence à penser comme un humain plutôt que de juste apprendre par cœur. Autrement dit, ça peut durer une éternité.