L’UE revient à la charge avec un plafonnement des prix du gaz… alors que la mesure est loin de faire l’unanimité

Dans un projet d’orientation, la Commission européenne veut demander aux Etats membres de se préparer face à un choc d’approvisionnement. Elle propose également d’instaurer des plafonds sur les prix du gaz, une mesure maintes fois rejetée lors de différentes réunions.

L’offre et la demande. Depuis l’hiver dernier, les prix du gaz sont très élevés, et ce, pour plusieurs raisons; la reprise de l’activité économique post-covid, la constitution de réserves au sein de l’UE pour affronter l’hiver prochain, mais aussi, et surtout, la guerre en Ukraine. La crainte d’un bouleversement de l’approvisionnement provenant de Russie a en effet un impact sur les prix de l’énergie.

Or, à l’heure actuelle, le gaz est vendu par contrats futurs, où la possibilité d’un arrêt ou d’une diminution des livraisons est toujours considérée comme un risque. Cela influe sur les prix, alors qu’à l’instant T le gaz coule toujours vers l’Europe (en mars et en avril les importations étaient même en augmentation par rapport aux mois précédents). Mais toujours est-il que dans ce cas de figure, un arrêt total des importations de gaz russe, représentant plus de 40% de la demande européenne, aurait un effet de bombe sur le marché.

Cette perspective alarme l’Europe, depuis le début de la guerre. La Commission y réfléchit aussi, comme le montre un projet de document d’orientation en préparation, qui a pu être consulté par Euractiv. Même sans un arrêt total, elle réfléchit à l’organisation des marchés et propose de plafonner les prix du gaz en instaurant « un prix maximal réglementé pour le gaz naturel livré aux consommateurs et aux entreprises européennes ».

Sujet de discorde

Ce n’est pas la première fois qu’une telle intervention est sur la table. La France et l’Espagne ont déjà instauré des plafonds de prix, et à différentes réunions européennes, avant la guerre mais également depuis l’invasion, le sujet a été discuté. Mais il est loin de faire l’unanimité.

Même au sein de la Commission européenne, les opinions divergent. L’auteur du texte admet qu’il peut y avoir des effets négatifs : « Un effet négatif majeur est que nous oublions le prix comme étant une information importante pour la demande de gaz en temps de crise. Un autre effet négatif très important est que l’annonce d’un plafonnement du prix du gaz en période d’urgence entraîne une baisse de l’injection de stockage aujourd’hui, ce qui doit être évité par tous les moyens ».

Au sein des différentes couleurs politiques, la mesure ne fait pas l’unanimité non plus. Les libéraux plaident contre par exemple, mais le Premier ministre belge Alexander De Croo plaidait pour. Les verts sont aussi tiraillés : la ministre belge de l’Energie, Tinne Van der Straeten, était une des premières à mettre l’idée sur la table des négociations européennes. L’eurodéputé Michael Bloss, également vert (Allemagne), est catégoriquement contre. « Plafonner le prix du gaz n’est pas une solution », s’exprime-t-il dans Euractiv. Pour lui, il faut surtout investir dans le renouvelable, ce qui ferait baisser les prix. Une autre solution qu’il pointe est la création d’un consortium d’acheteurs, pour réaliser des achats groupés, entre pays, comme pour les vaccins. Cela ferait également baisser les prix, mais une telle mesure a également maintes fois été proposée et maintes fois été rejetée, faute d’unanimité.

Risque pour les stocks

D’un autre côté, un plafonnement des prix inciterait les fournisseurs à ne pas remplir les réserves, ce qui mènerait à nouveau à des stocks pas assez remplis et à des prix théoriquement encore plus élevés. « Si les gouvernements annoncent un plafonnement futur des prix, les entreprises ne sont pas incitées à remplir les stocks de gaz, mais plutôt à faire le contraire : il serait soudain financièrement intéressant de reporter les injections de stockage ou même d’épuiser les stocks aujourd’hui et de vendre du gaz tant que les prix sont élevés », explique Lion Hirth, professeur en politique énergétique à la Hertie School de Berlin, à Euractiv.

Cela serait alors contre-productif pour l’Europe, qui doit à tout prix remplir les stocks avant l’hiver pour éviter des problèmes d’approvisionnement, étant donné que d’ici la fin de l’année, l’UE veut se passer de deux tiers des importations de gaz russe. En fin de compte, la mesure a donc toujours peu de chances de pouvoir passer.

« Choc d’approvisionnement »

Le projet demande également aux pays de se préparer à un choc d’approvisionnement, en cas d’arrêt total des importations. Si cela devait arriver, le document suggère d’avoir un mécanisme de solidarité pour partager les ressources, via une réduction de la demande, même dans les pays moins dépendants du gaz russe, « pour pouvoir assurer les services essentiels dans les pays les plus directement impactés ». Celle-ci devrait également être liée à un plafonnement des prix, sur les marchés de gros.

Est-ce que Poutine est susceptible d’arrêter du jour au lendemain toutes les livraisons? La question reste ouverte, l’autocrate russe semble de plus en plus incalculable, mais dans tous les cas les achats européens de gaz et de pétrole financent la machine de guerre russe, à hauteur de 700 millions d’euros tous les jours. Une entrée financière non négligeable pour une armée mise à rude épreuve. L’Europe, de son côté, compte bien se passer des produits énergétiques russes, mais pas du jour au lendemain. Mercredi, la Commission présentera un plan détaillé sur l’énergie pour atteindre plus d’indépendance.

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