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À privilégier les livraisons d’armes à l’Ukraine, les États-Unis compromettent-ils le « porc-épic » taïwanais ?

À privilégier les livraisons d’armes à l’Ukraine, les États-Unis compromettent-ils le « porc-épic » taïwanais ?
Taïwan, l’autre grand point chaud du monde. (Photo by Ceng Shou Yi/NurPhoto via Getty Images)

Depuis l’invasion initiée par la Russie en février dernier, les États-Unis se sont hissés parmi les alliés les plus fiables de l’Ukraine – et sans nul doute parmi les plus généreux en matériel militaire, en particulier en artillerie moderne. Le problème, c’est que les arsenaux de l’Oncle Sam ne peuvent pas armer en même temps tous les pays de la planète susceptibles d’être attaqués par une puissance impérialiste.

Pourquoi est-ce important ?

Avant le déclenchement d'une guerre de haute intensité en Ukraine, c'était dans le détroit de Taïwan que l'on craignait de voir s'embraser le monde. L'île regardait son grand voisin chinois avec une inquiétude croissante et renforçait rapidement son armée avec l'aide des États-Unis. La guerre en Ukraine a peut-être fait hésiter l'Empire du Milieu. Mais elle a aussi détourné l'aide matérielle américaine vers d'autres destinataires.

Dans l’actualité : les États-Unis commencent à accumuler un très gros retard dans les livraisons d’armes destinées à l’armée taïwanaise; à tel point que la stratégie du « porc-épic » que le gouvernement de Taipei et son allié veulent mettre en place pourrait en pâtir.

  • L’arriéré de livraisons des arsenaux américains auprès de l’armée taïwanaise valait 14 milliards de dollars en décembre 2021. Il atteint maintenant les 18,7 milliards, selon des responsables du Congrès.
  • Le retard comprend une commande passée en décembre 2015 pour 208 armes antichars Javelin et une autre, à la même époque, pour 215 missiles surface-air Stinger. Aucune de ces livraisons n’a atteint l’île, signale le Wall Street Journal.
  • Les stocks américains ont été massivement utilisés pour fournir en urgence l’armée ukrainienne en matériel moderne ; les lance-missiles Javelin sont même devenus un emblème de la résistance du pays à l’invasion russe.
  • Des responsables américains ont toutefois nié que des armes destinées à Taïwan aient été livrées à l’Ukraine ; les stocks fournis à Kiev auraient été directement prélevés sur les propres réserves de l’US Army. Mais les retards sont bel et bien réels, au grand désarroi des Taïwanais.
  • Ni le département d’État ni le Pentagone n’ont voulu donner de détail sur les raisons derrière ces problèmes logistiques. Les dirigeants de Lockheed Martin et Boeing ont, eux, évoqué des troubles de la chaîne de production qui remontent à la période Covid et qui ont fait s’accumuler les retards. Mais le doute demeure.

Le contexte : la demande a fortement augmenté pour certains systèmes d’arme américains, en particulier dans l’artillerie. Outre la demande ukrainienne, de nombreux pays ont opté pour ces matériels qui viennent de faire leurs preuves. Mais l’offre a bien du mal à suivre. Au risque de faire prendre du retard au plan de défense de Taïwan.

  • Taipei et Washington mettent en œuvre ensemble une stratégie du « porc-épic » à Taïwan : armer suffisamment l’île pour rendre prohibitive toute tentative d’invasion depuis le continent. Un plan qui doit s’appuyer sur des frappes aériennes et navales sur les flottes de débarquement dans le détroit, puis sur une artillerie capable de battre les plages de ses feux afin de rendre toute tête de pont rapidement intenable.
  • Mais pour cela, il faut des missiles et des canons, or les Taïwanais s’inquiètent de ne pas les voir arriver. « Taïwan souhaite demander que les armes que les États-Unis lui vendent soient livrées comme prévu », a ainsi insisté le mois dernier le général Wang Shin-lung, vice-ministre de l’armement au ministère de la Défense nationale de Taïwan.

« Le détournement des stocks existants d’armes et de munitions vers l’Ukraine et les problèmes de chaîne d’approvisionnement liés à la pandémie ont exacerbé un retard considérable dans la livraison d’armes dont la vente à Taïwan avait déjà été approuvée, ce qui compromet l’état de préparation de l’île. »

Le rapport de la U.S.-China Economic and Security Review Commission, organisme parrainé par le Congrès des USA

Un peu de hauteur : paradoxalement, la guerre en Ukraine et le bras de fer que Washington est en train de mener contre Moscou par livraisons d’armement interposées a un peu calmé les choses dans le détroit de Taïwan. Car les Chinois scrutent de près le conflit, et voir l’armée russe supposée redoutable subir défaites et humiliations de la part d’un pays sur lequel personne n’aurait parié ne va pas les décider à se lancer dans une aventure guerrière. D’autant plus que dans leur cas, il y a un bras de mer à traverser. Et que Washington a toujours été plus proche de Taipei que de Kiev.

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