‘Les non-vaccinés seront laissés pour compte’: après la carotte, Israël sort le bâton. Et ce n’est peut-être pas très malin

Leader mondial de la vaccination, Israël ne veut pas se reposer sur ses lauriers. L’État hébreux veut avoir vacciné l’ensemble de sa population contre le Covid-19 d’ici la fin du mois de mars. Après avoir mis en place des incitants, le pays passe maintenant aux sanctions pour les réfractaires. Une stratégie risquée.

Avec 45,9% de sa population ayant déjà reçu au moins une dose du vaccin et 31,1% en ayant reçu deux, Israël est, de très loin, le champion du monde de la vaccination. Pourtant, les autorités locales ne sont pas contentes.

Durant les premières semaines de la campagne, les personnes – essentiellement les plus âgées – ayant eu la possibilité de se faire vacciner l’ont accepté de bon cœur. En janvier, l’État hébreux a enregistré une moyenne de 127.000 doses administrées chaque jour, avec des pics à 200.000. Depuis février, le vaccin est disponible pour les plus jeunes. Et les chiffres ont nettement baissé, comme l’illustre ce graphique issu du ministère de la Santé.

Les doses de vaccin administrées chaque jour en Israël (première dose en vert foncé, seconde en vert clair) – Israel Ministry of Health

Jusqu’à présent, Israël a surtout motivé sa population à se faire vacciner en l’y encourageant. Nourriture gratuite distribuée en échange de l’administration du produit, campagnes de vaccination « mobiles » dans les bars et le long des sentiers forestiers ou encore incitants mis en place par les entreprises: tout a été mis en place pour donner envie aux Israéliens de se faire vacciner.

Face à la baisse des chiffres, les autorités ont décidé de changer d’attitude. Fini les incitants, place aux menaces et aux sanctions.

Interdits et fichés

Israël va entamer son déconfinement ce dimanche. Magasins non-essentiels, hôtels, salles de sport, stades et lieux culturels vont rouvrir. Dans deux semaines, les restaurants, les salles de spectacle et les salles de conférences sortiront à leur tour de leur torpeur. Mais pour profiter de tous ces lieux, il faudra montrer patte blanche. Ou plutôt patte verte.

En effet, cette sortie du lockdown s’appuie sur le « passeport vert ». Ce document, lancé par le ministère de la Santé, est accordé aux Israéliens qui ont reçu leurs deux doses du vaccin contre le Covid-19 et à ceux possédant suffisamment d’anticorps suite à une première infection. Ils seront les seuls à être admis dans les différents espaces qui rouvriront leurs portes.

‘Ceux qui ne sont pas vaccinés seront laissés pour compte. Le cabinet du coronavirus a confirmé notre position selon laquelle seules les personnes vaccinées et en convalescence pourront profiter des salles de sport, de la culture et des loisirs. Allez vous faire vacciner ’, a tweeté cette semaine le ministre de la Santé Yuli Edelstein. Il s’est également réjoui de constater que les chiffres étaient en train de repartir à la hausse.

En soi, le passeport vert n’est pas une nouveauté. Il avait été annoncé par le gouvernement à la mi-décembre. Les Israéliens étaient donc prévenus, sans savoir à quelle date le système entrerait en vigueur. La semaine dernière, ils ont appris que le document devenait inévitable dès ce 21 février s’ils désiraient retrouver une vie normale en dehors de leur domicile.

En parallèle de ce certificat vaccinal, les autorités israéliennes planchent sur d’autres mesures, censées faire plier les réfractaires. D’après le Times of Israel, le gouvernement envisage un projet loi rendant le vaccin obligatoire pour les travailleurs très exposés au public. Si la loi ne passe pas, il serait envisagé de soumettre ces personnes à un test de dépistage toutes les 48 heures. De quoi en dégoûter certains, assurément.

Selon le média Haaretz, les responsables politiques israéliens aimeraient également que le ministère de l’Education puisse avoir accès aux noms des enseignants et étudiants s’étant fait vacciner. Et donc, par élimination, de ceux qui ont refusé le vaccin. Cette mesure serait justifiée par le fait qu’elle permettrait d’identifier les personnes les plus à risque si un foyer épidémique venait à se déclencher dans un établissement scolaire.

‘Un enseignant qui ne se fait pas vacciner ne tient pas compte de la sécurité des élèves et abuse de son poste’, a tweeté le ministre de la Santé.

Pourquoi tant de précipitation ?

Certes, les chiffres de la vaccination sont en perte de vitesse. Toutefois, ils restent excellents. On est alors tenté de se demander pourquoi Israël commence à menacer ses citoyens réticents. Une personne est le principal responsable de cette course effrénée à la vaccination: le Premier ministre Benyamin Netanyahou.

En Israël, la pandémie est apparue en pleine crise politique. Un gouvernement dit « d’union nationale » a été mis en place à la hâte pour affronter la crise sanitaire. Il rassemblait notamment les deux plus grandes listes (rivales) du pays: Likoud – le parti de Netanyahou – et Bleu et Blanc – une coalition centriste mise en place un an plus tôt. Suite à un désaccord sur le budget, le parlement israélien (la Knesset) a été dissout en décembre dernier.

Résultat: des élections anticipées, organisées pour la quatrième fois consécutive en moins de deux ans, se tiendront le 23 mars prochain. Afin de les emporter, Netanyahou fait tout ce qui est en son pouvoir pour faire baisser les chiffres de contaminations du pays. Ce qui explique son obsession de faire vacciner un maximum d’Israéliens d’ici là. Notons que le ministre de la Santé, Edelstein, fait lui aussi partie du Likoud.

‘Celui qui ne se fait pas vacciner nous met tous en danger, car il peut provoquer l’effondrement du système de santé », a affirmé la semaine dernière Netanyahou, selon le Time of Israel. Une déclaration tenue lors d’une réunion visant à instaurer des sanctions pour les propriétaires des lieux qui autoriseraient l’entrée aux personnes non-vaccinées.

Une stratégie risquée

Selon les analystes, promettre monts et merveilles aux vaccinés et lancer des menaces aux réfractaires n’est peut-être pas une si bonne idée. Certes, psychologiquement, d’éventuelles sanctions pourraient être susceptibles de faire basculer une partie de la population réticente vers la vaccination. Depuis plusieurs jours, elles semblent d’ailleurs faire effet. En revanche, dans le contexte sanitaire, faire passer le vaccin comme un sésame vers la liberté est, au mieux prématuré, au pire dangereux.

En effet, le passeport vert – et l’interdiction des non-vaccinés d’accéder aux lieux publics – repose sur le principe que le vaccin empêche la transmission du virus. Et qu’il freine donc sa propagation sur le territoire. Or, s’il a été prouvé que le vaccin protégeait des graves symptômes, les ‘preuves ne sont pas là’ concernant son éventuelle efficacité contre la transmission, a rappelé Dave Archard, président du Nuffield Council on Bioethics du Royaume-Uni, interrogé par Business Insider.

Pour lui, trop mettre l’accent sur le vaccin risque de faire oublier les mesures sanitaires élémentaires, telles que la distanciation sociale, toujours très importantes.

Notons enfin que le fameux passeport vert, élément clé du déconfinement, consiste en un code-barres, disponible en format numérique (code QR) et en format papier. Et plusieurs experts en cybersécurité ont constaté qu’il était très facile de créer des contrefaçons.

Une enquête du média Channel 12 a révélé que 100.000 Israéliens ont même rejoint un groupe de discussion sur Telegram afin de bénéficier d’un tel certificat factice. Le ministre de la Santé a vivement réagi, indiquant que de tels actes étaient passibles… d’une peine de prison.

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