Le roi dollar pourrait-il perdre son trône ? « Il y a un risque de balkanisation des systèmes financiers mondiaux »

Le dollar américain est autant un symbole de soft power qu’une arme véritable : il consacre la domination des États-Unis sur les flux financiers mondiaux, tout en offrant au pays la possibilité d’assécher l’économie d’un rival, comme la Russie. Mais une arme, ça fait peur : dans certains pays, on aimerait bien voir le billet vert perdre son trône, ou au moins d’autres monnaies monter sur le leur.

Le total des réserves de monnaies fiduciaires stockées par les différents États de notre planète culmine à 12,8 billions de dollars, et 60% de cette faramineuse somme arbore le symbole du dollar américain, selon CNN. Une position dominante qui consacre les États-Unis à la place de puissance économique dominante mondiale : les États-Unis peuvent emprunter à d’autres pays dans leur propre monnaie, de sorte que si le dollar perd de sa valeur, la dette en fait autant. Les entreprises américaines peuvent effectuer des transactions internationales en dollars sans avoir à payer de frais de conversion.

Et cette domination économique est aussi une arme en soi : les États-Unis ont le pouvoir de décider de couper les vannes de billets verts à des banques centrales d’autres pays. Une tactique exceptionnelle bien sûr, mais qu’on a vu déployée dernièrement à l’encontre de la Russie. Une « arme économique de destruction massive » pour reprendre les mots de Raghuram Rajan, ancien gouverneur de la banque centrale indienne, qui permet d’isoler puis d’assécher l’économie d’un pays, incapable de se fournir en argent américain frais et donc d’échanger sur le grand marché mondial.

Une stratégie aussi terrible qu’efficace : dans le cas de la Russie de Poutine, ce sont pas moins de 630 milliards de dollars de réserves de change qui se sont retrouvés gelés, plongeant l’économie du pays dans le rouge. Mais le déploiement d’une telle arme économique fait peur à de nombreux Etats qui craignent de la voir braquer contre eux, et qui cherchent donc à s’en protéger. Et ça, ce n’est pas une bonne nouvelle pour le roi dollar.

Balkanisation des systèmes financiers

Certains pays diversifient leurs investissements en délaissant le dollar américain au profit d’autres monnaies ; Michael Hartnett, stratégiste à la Bank of America, évoque une « balkanisation des systèmes financiers mondiaux. »

Selon un nouveau document de recherche du Fonds monétaire international, la part du dollar dans les réserves internationales est en baisse depuis deux décennies, à peu près au moment où les États-Unis ont commencé leur guerre contre le terrorisme et leurs sanctions antiterroristes. Un quart des réserves est depuis passé du dollar au yuan chinois, et les trois autres quarts sont passés dans les monnaies de pays plus petits. « Ces observations donnent des indications sur la manière dont le système international pourrait évoluer à l’avenir », ont averti les coauteurs du document, Serkan Arslanalp du FMI, Barry Eichengreen de l’université de Californie à Berkeley et Chima Simpson-Bell, également du FMI.

Sans surprise, ce sont la Russie et la Chine qui ont le plus à gagner de ce grand shift économique ; la seconde espère voir sa monnaie reprendre au moins une partie de la place du dollar, et la première cherche à atténuer l’effet des sanctions économiques. C’est d’ailleurs dans cette optique que le président russe Vladimir Poutine a imposé aux autres pays l’usage du rouble pour payer le gaz et le pétrole qu’ils lui achètent, même si les conséquences de cette mesure restent encore incertaines.

Un trône encore solide

Cela dit, le billet vert n’est pas près de perdre son trône de si tôt, même si le yuan chinois commence à représenter un successeur potentiel à surveiller. Cette devise représente 3% des flux monétaires mondiaux, à comparer avec les 40% du dollar. Le marché boursier américain reste le plus important et le plus liquide du monde, et les capitaux étrangers affluent dans le pays. Les flux mondiaux d’investissements directs étrangers ont augmenté de 77 % pour atteindre un montant estimé à 1.650 milliards de dollars en 2021, mais les investissements aux États-Unis ont grimpé de 114 % pour atteindre 323 milliards de dollars, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.

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