Le 1er mai, comme un air de campagne électorale pour les partis francophones

La fête du Travail est l’occasion pour les partis politiques de réaffirmer leurs positions et de partager leurs revendications, quitte à oublier, le temps d’une journée, qu’ils gouvernent ensemble. Côté francophone, la tension est plus que jamais palpable. Le point départ d’un changement de majorité ?

Dans l’actu: le président du PS, Paul Magnette, a livré un discours très musclé à Charleroi.

  • Dans une majorité à 7 partis, pas simple de faire entendre sa voix et ses acquis auprès des militants et des électeurs. Paul Magnette a beau répéter à longueur d’interviews que l’augmentation de la pension minimale, « c’est le PS », que l’investissement dans les soins de santé, « c’est le PS », que la taxe sur les comptes-titres, « c’est le PS », son discours est souvent parasité par le loquace président du MR.
  • Ce dimanche 1er mai, à l’Eden de Charleroi, Paul Magnette n’avait qu’une cible: le MR.
    • « Le président du MR peut bien parader à Herstal, personne n’est dupe. Les travailleurs savent que les libéraux n’ont jamais rien fait pour eux, et qu’ils ne feront jamais rien pour eux. Les travailleurs n’ont pas oublié le sinistre bilan des cinq années de régression sociale du gouvernement MR-N-VA », reprend le discours de Paul Magnette tel qu’il a été écrit à l’origine.
    • « Année après année, le MR vire un peu plus à droite. On ne sait pas où ils s’arrêteront. Ils ont gommé les derniers accents sociaux qui leur restaient et ceux qui avaient encore la fibre humaniste s’en vont, conscients que le MR d’aujourd’hui n’est plus qu’un parti ultra-conservateur. Le MR d’aujourd’hui s’inscrit dans la ligne des partis de droite les plus durs et les plus agressifs d’Europe. »
    • « Le président du MR rêve de sanctionner les chômeurs qui refusent de se former dans un métier en pénurie ; de forcer les travailleurs sans emploi à prendre un emploi qui ne correspond pas à leurs facultés et à leurs aspirations ; de réduire les pensions de ceux qui ont subi dans leur vie une perte d’emploi ou une maladie, ou qui n’ont pas pu travailler à temps plein, très souvent des femmes. Nous ne le laisserons pas faire. »
  • Concernant la Vivaldi, Paul Magnette et son plus fidèle disciple, Thomas Dermine, ont plusieurs messages à lui adresser :
    • « Pour le saut d’index, [la FEB] peut aller se brosser », a asséné le secrétaire d’État à la Relance.
    • Paul Magnette a renchéri, mettant clairement la révision de la loi de 1996, sur la marge de négociation salariale entre patrons et syndicats, sur la table: « La seule solution forte, quand les entreprises engrangent des bénéfices, c’est de rendre aux travailleurs et à leurs représentants la liberté de négocier des hausses de salaire. »
    • Le président du PS a également remis sur la table sa fameuse « taxe sur les riches », qui viserait à proposer un impôt de 1 à 1,5% sur les patrimoines de plus d’un million d’euros. Paul Magnette a précisé que le ministre de l’Emploi, Pierre-Yves Dermagne, déposera ce dossier au sein du kern, dans ses solutions pour soulager le pouvoir d’achat des bas et moyens revenus. « Les plus riches ont bien profité de la crise, il est temps de les mettre à contribution pour que les travailleurs, les vrais créateurs de la richesse, puissent profiter des fruits de leur travail », a plaidé le bourgmestre de Charleroi.
  • Les deux dernières mesures ont peu de chances d’aboutir, tant on sait qu’elles rebutent les libéraux qui l’ont déjà fait savoir la semaine dernière, d’ailleurs. Mais qu’importe, le 1er mai, c’est jour de campagne électorale.

Au MR: Bouchez joue contre nature en laissant les attaques de côté : comme un signe ?

  • Le contraste était grand, à Herstal, en terre socialiste, où se déroulait le 1er mai du MR. Tout le monde était présent, du président de l’Open VLD, Egbert Lachaert, au président du Conseil européen, Charles Michel. La seule exception : Sophie Wilmès, qui s’est temporairement retirée de la vie politique.
  • « En tant que formation politique, je pense que nous devons aller là où nous n’avons pas assez convaincu. Là où on ne nous fait pas confiance », a justifié Georges-Louis Bouchez. « Ces territoires ont besoin de libéralisme. Les anciens bassins industriels wallons n’ont pas vocation à être des terres de chômage, où il y a moins d’insertion sociale, un taux d’emploi faible, des résultats scolaires médiocres ».
  • Au niveau de la provocation, le Montois n’a pas été plus loin : aucune attaque directe contre les partis de gauche. Aucune mention du « PS » ou de « Magnette » dans son discours.
  • Le président du MR a orienté son texte sur des propositions tout en démontant, quand même, celles de ses adversaires:
    • « La Belgique étouffe sous la fiscalité (….). Quand j’entends ceux qui veulent augmenter les taxes, je me demande s’ils savent réellement dans quel pays ils vivent. Il faut moins pour l’État et plus pour le pouvoir d’achat, plus pour les travailleurs. »
    • « Ne vous leurrez pas. La taxation de prétendus ‘riches’, c’est en réalité la taxation des classes moyennes. C’est la taxation de ceux qui, à force d’avoir travaillé toute leur vie, ont pu s’acheter un deuxième appartement, voire, sacrilège, un troisième. »
    • Pour Bouchez, la « priorité est la réforme fiscale, la baisse des impôts » pour « ceux qui se lèvent tôt tous les matins pour aller travailler et bâtir notre pays ». Le président du MR a répété plusieurs mesures déjà avancées la semaine dernière: relever la quotité exemptée d’impôts de 9.000 à 12.000 euros, le capital jeune – 25.000 euros en lieu et place des allocations familiales pour ceux qui veulent lancer une startup ou acheter un premier bien – ou encore une pension minimale pour tous (en tout cas ceux qui ont fait une carrière de 20 ans au minimum).
  • Mais pour financer une fiscalité qui récompense le travail, il faut dans tous les cas relever le taux d’emploi. C’est le grand objectif du président du MR: un taux d’emploi de 80%.
  • Rappelons que ce taux est en dessous des 65% à Bruxelles, à peine au-dessus des 65% en Wallonie, et autour des 70% au niveau belge.

L’essentiel : la menace de se faire exclure des majorités francophones plane sur le MR.

  • Le 1er mai intéresse qui, à part les protagonistes et leurs militants ? Maxime Prévot, président des Engagés, résume assez bien, sur DH Radio ce lundi matin, ce que beaucoup ressentent à l’évocation de cette traditionnelle fête du Travail: « Ça sert certainement à partager une saucisse grillée avec des militants qui sont déjà convaincus. C’est juste une surenchère de petites phrases destinées à dézinguer soit la gauche, soit la droite, alors que je rappelle que ces gens qui s’invectivent pendant une journée travaillent ensemble. »
  • La seule exception cette fois-ci, c’est que le PS s’est particulièrement montré offensif, alors que le MR n’en a pas rajouté des caisses. Et cela vient bien sûr alimenter la rumeur en coulisses selon laquelle le parti libéral francophone pourrait se faire débarquer des majorités francophones, voire de la Vivaldi, un peu plus tard, quand les questions salariales deviendront un point central de l’agenda politique.
  • Les Engagés prendraient-ils la place de libéraux ? Maxime Prévot ne répond pas non: « Quand on voit le climat de défiance entre les partenaires des majorités, on n’est pas surpris par ces rumeurs. Ce n’est pas sain. En ce qui nous concerne, si on veut entrer dans une majorité, ce n’est pas pour être la roue de plus d’un carrosse, mais pour être dans le concret (…). Notre nouveau mouvement a vocation à gouverner, mais je ne suis pas en train de lécher le sol pour qu’on vienne nous chercher. La prochaine échéance électorale, c’est 2024, mais s’il y a des gouvernements qui implosent, on ne va pas rester au balcon. »
  • Du côté libéral, le président Bouchez évoque cette rumeur à demi-mot dans son discours: « Ce n’est pas la politique qui n’intéresse plus, mais la manière dont on la fait. Le monde politique et médiatique passe son temps à se parler à lui-même, sur les attitudes et comportements des uns et des autres. Ce que la population attend, c’est qu’on résolve ses problèmes, pas qu’on joue à des « combinations », des arrangements entre amis qui n’intéressent que les partis. »
  • C’est peut-être là l’essentiel de ce 1er mai, derrière les propositions sans lendemain et les discours creux devant des militants conquis d’avance. La fête du Travail résonnera peut-être plus tard comme l’amorçage d’un changement de majorités. Le début d’une nouvelle campagne électorale.
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