La Vivaldi veut-elle encore engranger de grandes réformes ?

C’est la volonté affichée par le Premier ministre Alexander De Croo depuis plusieurs semaines. Mais entre les exigences socialistes, les lignes rouges du MR, les réalités budgétaires et le replacement électoral de l’Open VLD, il parait peu évident de réaliser des réformes ambitieuses. Sur le plan de travail, dans l’ordre : la réforme des pensions, l’accord nucléaire, le conclave budgétaire et la réforme fiscale.

Dans l’actu : Le PS ouvre désormais publiquement le débat sur les retraites.

  • Karine Lalieux (PS), la ministre en charge des Retraites, en avait visiblement assez des critiques selon lesquelles le PS voulait bloquer toutes les réformes. Elle a lancé une offensive médiatique digne de ce nom : on peut désormais lire ses plans sur les pensions dans Le Soir, Het Nieuwsblad et De Standaard, entre autres.
  • Il s’agit, il faut le dire, d’une proposition qui va plus loin que ce que le PS voulait jusqu’à présent. Par exemple, la proposition aborde la fameuse « péréquation des pensions », le système par lequel les pensions des fonctionnaires augmentent automatiquement en fonction des augmentations de salaire durant la carrière. Ce système était sur la table lors des dernières négociations budgétaires : les libéraux voulaient s’en débarrasser. Le Premier ministre Alexander De Croo l’a remis sur la table fin décembre, après avoir échoué en octobre.
  • Le PS a donc dit « non » deux fois, même s’il était surtout question des pensions flamandes des enseignants retraités. Ce système ne devait pas être touché. Mais à présent, Lalieux ouvre la porte : il y aurait un plafonnement de l’augmentation de la retraite, à 0,5 % par an. Une « grande concession » donc, selon le PS. Mais les locataires du boulevard de l’Empereur attendent forcément quelque chose en retour. Par exemple, Lalieux veut taxer plus lourdement le deuxième pilier des pensions, la pension complémentaire via l’employeur ou pour les indépendants. Après tout, cette épargne-retraite bénéficie d’avantages fiscaux, et elle représente des milliards. Elle veut taxer la tranche supérieure de 4 % du capital le plus élevé. « 96% des gens ne seront pas concernés », tente-t-elle de rassurer.
  • En outre, elle veut même introduire des amendes, pour les entreprises qui n’embauchent pas suffisamment de personnes de plus de 60 ans : celles qui en emploient trop peu devraient verser une contribution obligatoire à un fonds, comme cela se fait déjà pour les malades de longue durée.
  • En outre, Lalieux revient avec son cheval de bataille : 42 ans de carrière professionnelle, puis la retraite. De facto, les personnes ayant commencé à travailler à 18 ans pourraient toutes prendre leur retraite à 60 ans. Là encore, une demande socialiste qui ne rendrait pas les pensions plus abordables.

La question : savoir si ces plans permettraient d’économiser réellement de l’argent, pour satisfaire la Commission.

  • Le débat sur les pensions n’est pas qu’un simple fait divers : la Commission européenne exerce une forte pression pour faire avancer les réformes. En outre, l’équipe Vivaldi a promis elle-même de proposer des réformes et de les rendre au moins « neutres sur le plan budgétaire ». La question reste « neutre, vis-à-vis de quoi ? » : selon le point de référence dans le temps (2019 ou juillet dernier), la différence est de plusieurs centaines de millions d’euros.
  • Mais le fait est que la Vivaldi devra encore faire des économies substantielles si elle veut convaincre la Commission européenne de débloquer la première tranche de 947 millions d’euros du plan de relance. Et c’est pourquoi l’équipe fédérale vise un accord sur les retraites, d’ici la fin du mois.
  • Lalieux a maintenant le mérite de présenter un plan, mais il faudra voir les réactions des partenaires aux exigences du PS. Car outre la péréquation, qui ne disparaîtrait pas complètement non plus, les propositions ont été immédiatement accueillies comme une douche froide par la FEB, la fédération des employeurs.
  • L’idée que les entreprises devraient bientôt payer des amendes si elles n’emploient pas suffisamment de personnes de plus de 60 ans est rejetée par Pieter Timmermans, le patron de la FEB : « Le PS n’a qu’un seul objectif : imposer plus de charges aux entreprises, leur faire payer plus d’impôts. Ce n’est certainement pas une fin en soi », affirme Timmermans ce matin sur Radio 1.
  • Et toucher au deuxième pilier des pensions est également un tabou absolu pour la FEB, même s’il ne s’agit que des pourcentages les plus élevés : « Contre-productif et même une rupture de contrat ». Il est plus que probable que les libéraux ne suivront pas non plus ces plans.

En attendant : l’Open Vld enterre la grande réforme fiscale du cd&v.

  • Au cd&v, ils avaient beaucoup misé sur la réforme fiscale de Vincent Van Peteghem (cd&v), le ministre des Finances. Plus encore : au niveau des présidents de parti, on a même parlé d’une « entente », entre Georges-Louis Bouchez et Sammy Mahdi, pour faire passer cette réforme malgré tout, alors que le président du MR s’était toujours montré opposé à la levée de nouvelles taxes, ce qui parait pourtant essentiel, si l’on veut baisser la pression fiscale sur les bas et moyens revenus, l’essence même de la réforme, tout en ne plombant pas les finances publiques. Bouchez plaide lui pour une baisse des dépenses publiques et un taux d’emploi plus élevé, mais ces deux solutions ne se font pas du jour au lendemain.
  • Désormais, ce sont les libéraux flamands qui servent la douche froide sur ces plans de réforme. C’est frappant en soi, car le Premier ministre se montre très volontariste depuis plusieurs semaines pour réaliser les derniers chantiers de la Vivaldi. Et cela inclut cette réforme fiscale.
  • Mais le signal du week-end dernier ne mentait pas : tant le président Egbert Lachaert que le Premier ministre ont été clairs. Ils concluent qu’il n’y a pas de marge budgétaire pour réduire les impôts.
    • « Si la seule ambition est de réduire les impôts sur le travail de 30 euros par mois, mais de reprendre toutes sortes d’avantages comme des chèques-repas ou les voitures de fonction, désolé, mais nous ne ferons pas ça », a déclaré le président de l’Open VLD dans Het Nieuwsblad. Et d’ajouter : « La grande réforme avec laquelle vous allez rendre les gens heureux et avec laquelle vous augmentez moins les impôts est pour plus tard. »
    • Ce faisant, il a littéralement indiqué que l’accord de coalition prévoit seulement « que la réforme fiscale devait être préparée d’ici 2024 », une ambition pourtant explicitement relevée par la Vivaldi à l’automne 2022. À l’époque, lors des discussions sur le budget, il a été dit que Van Peteghem « présenterait des propositions concrètes ». Le signal est alors venu du cd&v : une véritable réforme était en route. Même si le Premier ministre De Croo n’a pas voulu le dire explicitement, dans son discours sur l’état de l’Union. Pour de bonnes raisons, semble-t-il aujourd’hui.
    • Pour le cd&v, c’est une mauvaise nouvelle, car il considérait la réforme comme un trophée. Le président Mahdi a tout de même tenté de sauver les meubles, accusant ce week-end Het Nieuwsblad de « mettre un titre qui ne reflète pas du tout ce que dit Lachaert », après que le journal ait titré : « Lachaert enterre la réforme fiscale ». Lachaert a aussi ouvertement mis en doute l’exactitude de ce titre.
    • Mais dans la réalité, plus grand-monde n’est dupe. Et le Premier ministre est venu plus ou moins le confirmer dans la presse : « Dans une réorientation fiscale, l’accent est toujours mis sur les personnes qui en bénéficieront. Mais un transfert d’impôt, par définition, réduit la charge pour certains, mais l’augmente pour d’autres. Et les gens se taisent sur ceux qui vont bénéficier d’une augmentation », a déclaré Alexander De Croo, au Zevende Dag, sur la VRT. Dans Le Soir, ce week-end, le Premier ministre parlait lui aussi « d’une première étape ». Sans plus donc. Et de préciser : « Même si la situation budgétaire s’améliore, il n’y a pas beaucoup de marges en Belgique pour une baisse de charges sèche, nous devons le prendre en compte. »

L’essentiel : De Croo abandonne l’un des chantiers de son gouvernement en perspective de 2024.

  • C’est donc un coup dur pour le cd&v, mais également pour le PS et Vooruit, qui ont beaucoup misé sur la réforme fiscale. Du côté des socialistes flamands, le fiscaliste Joris Vandenbroucke (Vooruit) réagit avec déception : « Le statu quo que prêche Lachaert est très pratique pour ceux qui acquièrent des revenus du capital et utilisent avidement les niches fiscales. »
  • Les Verts ont à leur tour réagi avec véhémence ; là aussi, ils avaient poussé très fort le thème d’une « fiscalité plus juste ». « La précédente réduction d’impôts du gouvernement suédois a creusé un trou structurel de plusieurs milliards dans le budget. Oser rendre le travail vraiment attrayant. Augmenter les salaires nets de manière ciblée. Avec une contribution appropriée des riches », a fait valoir le coprésident de Groen, Jeremie Vaneeckhout.
  • Mais l’Open Vld a très clairement pesé le pour et le contre, et le parti libéral flamand ne veut pas se présenter devant les électeurs avec, par exemple, une taxe supplémentaire sur les résidences secondaires, ou la suppression des chèques-repas et des voitures de fonction. Pour l’Open Vld, la fiscalité reste le cœur de métier, et c’est précisément là qu’ils veulent absolument regagner en crédibilité. Il vaut donc mieux se présenter devant les électeurs en 2024 avec la promesse d’une nouvelle baisse d’impôts que de réduire maintenant la pression fiscale sur le travail, tout en devant avaler toute une série de nouveaux impôts. Soit la même logique que la présidence du MR.
  • Que le Premier ministre De Croo renonce ainsi à l’un de ses « chantiers de réforme », à l’approche du mois de mars et du conclave budgétaire, semble moins important que la « pureté » de la ligne libérale, plus tard en 2024 : c’est un choix stratégique important que l’Open Vld a fait ce week-end.

Frappant : deux hommes pour un poste.

  • Être au Seize, c’est se rendre compte qu’avec le PS de Paul Magnette, il sera toujours difficile, de toute façon, de faire des affaires. Parce que ce week-end encore, les choses ont été inhabituellement dures entre le chef du parti et le Premier ministre.
  • Alors que Magnette s’est présenté comme candidat au poste de Premier ministre, la semaine dernière, De Croo lui a passé un savon, en soulignant les chiffres élevés du chômage en Wallonie, et insistant sur le fait que « Magnette ferait mieux de se concentrer sur cela ».
  • Magnette a tenu à corriger le tir sur RTL-TVi ce week-end : « Alexander De Croo cite les mauvais chiffres sur le chômage. Arrêtez de faire ces caricatures, d’opposer les Wallons aux Flamands. Lorsque vous êtes Premier ministre, vous gouvernez pour tous les Belges et toute la Belgique. Il faut construire des ponts, et non jeter de l’huile sur le feu. »
  • Magnette semble avoir oublié qu’il a lui-même attisé le feu communautaire la semaine dernière avec une blague malheureuse dans le magazine flamand Dag Allemaal, sur les « Flamands qui travaillent dur » et les « Wallons qui profitent de la vie ». Cette blague a suscité des réactions de partout. Sur RTL-TVi, le président du PS a soudainement annoncé qu’il allait « déposer une plainte contre Dag Allemaal, auprès du Conseil de déontologie journalistique ». « Parce que mes mots ont été clairement sortis de leur contexte. Tout ce que j’essayais, c’était de faire comprendre que dresser systématiquement les Flamands et les Wallons les uns contre les autres est le poison de ce pays. »
  • Juste avant, lors du Zevende Dag, De Croo avait à son tour dénoncé les déclarations de Magnette : « Les Flamands travaillent dur, mais font aussi la fête, les gens ont tendance à chercher des différences qui n’existent pas. Nous sommes à un peu moins de 500 jours des élections. Utilisons ces 500 jours pour faire notre travail. Le PS a beaucoup de leviers entre les mains pour faire en sorte que plus de gens se mettent au travail, et ensuite, nous pourrons nous parler après les élections. Et puis si on raconte des blagues à ce moment-là, peut-être qu’elles tomberont mieux. »
  • Et ce n’est pas la fin des hostilités. Car ce week-end même, les Jong Vld ont lancé une offensive, au PS, au boulevard de l’Empereur : « Avec ses déclarations et sa politique, il est le meilleur allié des partis séparatistes. Personne n’a besoin de promesses de paradis social dans un cimetière économique », ont annoncé les jeunes libéraux flamands.
  • Et à l’emplacement de la plaque du PS, au siège, ils ont même attaché une bannière : « PS : Parti Séparatiste. Le PS pousse la Belgique vers l’abîme », peut-on lire. Très agréable pour l’ambiance interne de la Vivaldi.
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