Le vrai débat sur les retraites, pour économiser des milliards : l’UE veut-elle une réforme « neutre sur le plan budgétaire » dès l’accord de juin 2022, ou dès le départ, en 2019 ?

La pression sur le gouvernement fédéral, et le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) en particulier, s’est quelque peu intensifiée cette semaine, en vue des grands accords du mois de mars. Les « mesures énergétiques » sajoutent à la grande pile des réformes nécessaires. Mais la démarche du ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), hier, a immédiatement montré la difficulté de la tâche : sa proposition de d’augmenter progressivement les accises, augmentant ainsi la facture énergétique de 20 euros, a été balayée d’un revers de main par le PS, Vooruit, le MR et Groen. En arrière-plan, le débat sur les pensions bouillonne : février est la date limite pour présenter un plan à la Commission européenne. À cet égard, Vooruit tente de pousser le PS à aller plus loin dans la réforme. Dans le même temps, une discussion technique fait rage : la réforme des retraites doit être « budgétairement neutre », demande la Commission. « Mais par rapport à quand ? C’est la vraie question. Cela permettrait d’économiser des milliards, et la Commission le sait », soupire un membre du gouvernement.

L’actualité : La proposition de Van Peteghem sur les droits d’accises en échange d’une réduction de la TVA est en miettes.

Les détails : « Les Ides de Mars », commente-t-on déjà dans la rue de la Loi, par rapport au calendrier que le Premier ministre s’est fixé, pour régler tous les points qui fâchent.

  • « Pas plaisant », telle était l’humeur au 16 rue de la Loi, à propos du message qui était parti de l’Hôtel des Finances, au numéro 12, à quelques mètres de là. Mardi, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (cd&v) a mis la pression sur à peu près tous les journalistes intéressés. Mercredi matin, c’était dans tous les journaux : la nouvelle proposition sur les accises, qui remplacerait la TVA sur le gaz et l’électricité, qui a été réduite de 21 à 6%.
  • Mais avec cette sortie, Van Peteghem a n’a pas rendu service à son Premier ministre, Alexander De Croo : car toute la discussion se déroule désormais sur la place publique. Et ça n’est pas confortable, au vu des réactions.
  • « Qu’est-ce qui peut bien pousser le cd&v à penser qu’il peut prétendre faire payer des impôts supplémentaires aux gens, par les temps qui courent », a fustigé hier un dirigeant d’un parti de la Vivaldi, à propos de l’offensive médiatique de Van Peteghem.
  • En tout cas, un par un, les partenaires gouvernementaux ont dynamité la proposition, le PS avec un vrai communiqué de presse, le MR avec un tweet du président du parti, Vooruit et Groen, après un passage de leurs présidents dans l’émission politique Villa Politica.
    • « Nous regrettons que Van Peteghem n’ait pas attendu une discussion politique au sein du gouvernement pour soumettre cette proposition », a annoncé Pierre-Yves Dermagne, le vice-premier ministre socialiste. Ce dernier a immédiatement ajouté la liste des souhaits du PS, dans son communiqué : « Pour nous, les mesures doivent aussi porter sur l’extension structurelle du tarif social. Et l’on doit parler d’une éventuelle prolongation du chèque mazout domestique. Van Peteghem est complètement silencieux à ce sujet. »
    • Au MR, le mantra habituel : « Nous sommes toujours contre de nouveaux impôts », a lancé Georges-Louis Bouchez (MR), tout en parlant « d’augmenter les recettes de l’État en augmentant le taux d’emploi », tout en soulignant la défaillance du PS et de Dermagne, dans ce domaine, selon les libéraux.
    • « La proposition de Van Peteghem n’a pas été discutée ni approuvée au sein du gouvernement. C’est aussi une communication étrange et malheureuse. Ce n’est que lorsque les prix auront suffisamment baissé au niveau international qu’il y aura une réforme. Les gens devraient gagner en termes nets. Ce n’est pas le cas maintenant », a réagi Conner Rousseau (Vooruit).
    • Jeremie Vaneeckhout (Groen) a également parlé d’une « introduction progressive de la réforme des accises ». « Il ne faut pas faire l’erreur de penser que les factures énergétiques sont revenues aux niveaux d’avant la crise ».
  • Au sein du gouvernement, on fait remarquer que ce n’est pas la première fois que Van Peteghem la joue solo : dans le passé aussi, cela a provoqué des tensions avec De Croo. « Le Premier ministre déteste que les dossiers ne soient pas d’abord discutés en interne, et qu’une personne prenne la tête du mouvement. Mais quel est son crédit, alors qu’il a lui-même fait la même chose dans le dossier des retraites en décembre ? », s’interroge un membre du kern.
  • Le fait est que si Van Peteghem apporte des nouvelles inconfortables, annonçant une augmentation des taxes, il pousse là où ça fait mal pour l’Open Vld et le Premier ministre. En effet, sa proposition vise aussi à soulager le budget, pour compenser la baisse de la TVA, ce que les libéraux flamands et le Premier ministre souhaitent plus que tout.
  • Rappelons qu’avoir ajouté un déficit de 1,3 milliard d’euros au budget a coûté à Eva de Bleker (Open VLD) son poste. L’ancienne secrétaire d’Etat a voulu la jouer avec prudence, plaçant son Premier ministre dans une position délicate. Car ce dernier a toujours affirmé que la baisse de la TVA sur l’énergie serait budgétairement neutre. Plus que personne, De Croo attend donc cette réforme des accises pour compenser cette TVA.
  • Mais avec sa proposition, Van Peteghem laisse encore un trou de 761 millions d’euros. Une proposition qui n’est même pas acceptée par les partenaires. Le Premier ministre est vraiment mal pris. Il dispose pourtant de soutien au sein du gouvernement : « D’un point de vue budgétaire, ce serait mieux qu’on arrête carrément (la TVA réduite, ndlr), mais qui a le courage de dire ça ? »

L’essentiel : même l’Open Vld se rend compte que le budget de 2023 ne s’améliorera plus.

  • Le mois de mars reste un mois mythique en politique. « Les Ides de Mars » correspondent au 15 mars du calendrier romain, jour dédié au Dieu Mars, mais surtout le jour où Jules César est tombé au Sénat, poignardé dans le dos par ses propres partisans, en 44 avant Jésus-Christ. Les prédécesseurs de De Croo au Seize ont tous connu ces moments-là, lorsque le gouvernement menaçait de tomber.
  • Reste à savoir si la chute viendra : personne, le PS en tête, n’a beaucoup à gagner d’une chute aussi précoce du gouvernement. Mais le fait est qu’un dossier difficile après l’autre s’accumule sur la pile. À la réforme des retraites s’ajoute la réforme fiscale, qui sera aussi une barre très haute à franchir. Un momentum, car c’est aussi à ce moment-là que tout se joue dans l’examen du budget pour 2023.
  • À ce sujet, le parti aux commandes, avec la secrétaire d’État Alexia Bertrand (Open Vld), semble déjà avoir intégré suffisamment de réalisme. « Nous n’allons plus pouvoir sauver ce budget 2023, de toute façon tout le monde sait maintenant que nous sommes à 5,9 % de déficit, par rapport au PIB (pire résultat européen, ndlr). Nous n’allons pas utiliser notre capital politique qu’il nous reste pour tenter de l’améliorer à la marge », entend-on de la part d’une source libérale flamande de haut niveau.
  • Il y a toutefois quelques bonnes nouvelles : une hausse de l’indexation qui avait été anticipée n’arrivera pas, l’indice pivot ne devrait être dépassé qu’à une seule reprise cette année. Cela permet tout de même d’économiser quelque 400 millions d’euros. Et les estimations pessimistes concernant le coût supplémentaire des taux d’intérêt élevés, De Tijd parlant de plus de 660 millions d’euros, ont été surestimées.

La vraie question : Qu’est-ce qui est « budgétairement neutre » pour la Commission européenne, en matière de réforme des retraites ?

  • Il y a deux semaines, la Vivaldi a opportunément repoussé une nouvelle fois l’échéance fixée par la Commission européenne pour le paiement d’une grosse partie, soit près d’un milliard d’euros, des fonds de relance. Officiellement, la Vivaldi n’a pas encore demandé cet argent.
  • C’est lié à la liste des exigences de la Commission européenne en échange d’une enveloppe totale de 4,5 milliards d’euros. Ce faisant, la Belgique a promis de faire toute une série de réformes et d’efforts. Et le secrétaire d’État à la Relance Thomas Dermine (PS) y a également inclus la réforme des retraites.
  • La Belgique a promis que la réforme serait budgétairement « neutre », qu’elle ne rende pas le système plus cher qu’il ne l’était, mais garantirait la viabilité à long terme de ces pensions. Ce principe a également été inclus dans l’élaboration du budget d’octobre dernier.
  • Mais il s’est avéré que la réforme que la Vivaldi avait encaissée en juillet de l’année dernière n’a manifestement pas atteint cet objectif. D’où les frictions avec la Commission, mais surtout au sein du gouvernement. Pour l’instant, le Premier ministre De Croo essaie de faire avancer le dossier. En décembre, il a présenté un plan de son côté, ce qui a irrité le PS. Thomas Dermine parle désormais de quelques ajustements, mais le Premier ministre veut être beaucoup plus ambitieux.
  • Et dans cette quête, il reçoit un appui pas si inattendu : celui du vice-premier ministre du Vooruit, Frank Vandenbroucke, avec qui il formait un véritable tandem durant la crise sanitaire. En tant que spécialiste des pensions, il est convaincu de la nécessité d’une réforme ambitieuse et s’est déjà entretenu à plusieurs reprises avec la ministre PS des pensions, Karine Lalieux.
  • Mais il y a un sérieux problème avec cet exercice. « Parce que c’est quoi exactement un ‘budget neutre’ ? De quel budget parle-t-on ? Cette question, qui s’adresse également à la Commission, plane sur l’ensemble de la discussion », a admis une source gouvernementale.
  • Plusieurs options s’offrent au gouvernement. Le PS veut rendre sa réforme neutre à partir de la décision de juillet. « Mais ne doit-on pas plutôt rendre la réforme neutre budgétairement par rapport à la décision d’augmenter la pension minimale ? Dans ce cas, ça nous ramènerait en 2019, quand nous avons commencé ? La Commission ose aussi jouer ce jeu politique, nous le savons. Mais tout montre qu’ils penchent vers cette deuxième option, donc 2019. »
  • Et cela signifie immédiatement qu’il faudrait faire des économies de près de 1,1 % du PIB, sur ces pensions, disent les spécialistes. « C’est irréalisable, nous le savons aussi. Mais il devrait tout de même s’agir d’un effort de 0,4 à 0,5 % du PIB, à plus long terme », voilà comment les libéraux flamands expriment leur ambition quant à ces réformes à venir.
Plus