La « spectaculaire croissance » des cryptos pousse la BCE à prévenir un détraquement du système financier global

Un ménage sur dix en Belgique, presque autant en Allemagne et encore plus aux Pays-Bas. L’adoption des actifs crypto donne le vertige à la Banque centrale européenne. « Le risque systémique grandit », alerte la gendarmette monétaire, consciente du manque de réglementation en la matière à combler sans tarder.

« La croissance spectaculaire, la volatilité et l’innovation financière que l’on observe actuellement dans l’écosystème des crypto-actifs, ainsi que l’implication grandissante des investisseurs institutionnels, montrent combien il est important de mieux comprendre les risques potentiels que les crypto-actifs pourraient faire peser sur la stabilité financière si les tendances continuent sur cette trajectoire », signalent les analystes de la BCE en préambule de leur étude.

Une demande jugée trop grande

La demande des investisseurs pour bitcoin et autres devises digitales n’a cessé d’augmenter, malgré les risques. Une « exubérance » qu’on explique entre autres à la BCE par l’impression de pouvoir gagner rapidement de l’argent pour les petits investisseurs ou de diversifier les portefeuilles de placement de façon opportune pour les institutionnels. Les auteurs reconnaissent aussi dans leurs explications les « caractéristiques uniques des crypto-actifs par rapport aux classes d’actifs classiques », comme par exemple la programmabilité. Tout cela pour dire que si la demande des cryptos poursuit cette croissance, en taille et en complexité, les institutions financières seront mécaniquement de plus en plus impliquées au point de représenter un risque pour la stabilité du système financier dans son ensemble.

  • Le marché crypto ne semble pas (encore) si imposant ramené à l’échelle de la planète finance. La capitalisation des actifs numériques représente moins de 1%. Mais la croissance significative depuis la fin de l’année 2020 interpelle les observateurs de la banque centrale.
  • Les volumes d’échange des crypto-actifs les plus représentatifs dont le Bitcoin (BTC), l’Ether (ETH) et le Tether (USDT) ont parfois été comparables, voire supérieurs, à ceux enregistrés à la Bourse de New York ou sur le marché des obligations souveraines de la zone euro.
  • « Certains sous-segments de l’écosystème des crypto-actifs, tels que les stablecoins, les NFT et les (protocoles de) DeFi, ont connu une expansion particulièrement forte en 2021, ce qui indique que les fonctionnalités potentielles des crypto-actifs sont elles aussi en pleine expansion », notent les rapporteurs de la BCE.

1 ménage sur dix possèderait des cryptos

Assez logiquement, la demande des investisseurs institutionnels a aussi enflé en Europe. Toutefois, le paysage financier européen n’abriterait « que » 20% du total des fonds mondiaux de crypto-actifs, relativise l’étude.

C’est que la base des investisseurs se compose d’une « part significative » d’investisseurs particuliers. La récente enquête sur les attentes des consommateurs de la BCE indique que près de 10% des ménages de la zone euro détiendraient des cryptos.

  • 37% des détenteurs d’actifs crypto ont déclaré en avoir pour moins de 1000 euros ; 29% ont évoqué des dépôts en cryptos d’une valeur comprise entre 1000 et 4999 euros. À l’autre extrémité, « seuls » 6% détiendraient pour plus de 30.000 euros.
  • Si l’on se réfère aux revenus des ménages, plus ils sont élevés plus le ménage est susceptible de détenir des cryptos. Mais il convient également de souligner que les plus bas revenus sont aussi susceptibles d’en détenir par rapport aux autres ménages aux revenus moyens.
  • Notons que parmi les six grands pays de la zone euro sondés à ce sujet, la Belgique s’inscrit dans la moyenne, affichant une pénétration supérieure à celle de la France. Près de 10% des ménages belges détiendraient des cryptos contre 6% des foyers français. L’Europe du sud se démarque avec des proportions de près de 12% en Italie et en Espagne. Les Pays-Bas exhibent le pourcentage le plus élevé, à plus de 14%.

« Tous les signes d’un risque émergent »

Les analystes de la Banque centrale européenne semblent formels : « les marchés des crypto-actifs présentent actuellement tous les signes d’un risque émergent pour la stabilité financière. » Un risque qui pourrait être amplifié par l’éventail grandissant de formules offertes aux investisseurs par la finance décentralisée (DeFi) pour augmenter leur exposition aux cryptos.

  • Des produits tels que les tokens à effet de levier, les contrats à terme (futures) et les options peuvent permettre aux investisseurs « d’augmenter synthétiquement leur exposition aux rendements ». Et par là, les investisseurs augment leur exposition aux risques, extrapole l’étude de la BCE, citant des plateformes crypto qui offrent des effets de levier jusqu’à 125 fois l’investissement initial.
  • Sans oublier les « prêts crypto », des emprunts en monnaies fiduciaires ou en cryptomonnaies garantis par des crypto-actifs. Les rapporteurs de la BCE estiment ce segment de marché encore limité mais soulignent qu’il s’est considérablement développé. « Les investisseurs peuvent percevoir des intérêts sur leurs avoirs en actifs numériques, généralement à un taux plus élevé que celui qu’ils peuvent obtenir auprès d’une banque, en prêtant leurs actifs ou en empruntant contre leurs avoirs en actifs numériques par le biais de la surcollatéralisation », précisent-ils.
  • S’ajoute encore le principe de réhypothécation, lorsque la garantie d’un prêt peut être remise en gage afin d’obtenir un autre prêt. « Cela augmente les risques de non-respect des limites du ratio prêt/valeur pourrait entraîner une disparition très rapide des liquidités en cas de choc important. »

Mise à jour réglementaire urgente

Consciente des lacunes des réglementations sectorielles, la BCE exhorte les législateurs et régulateurs à réviser leurs copies afin de garantir que les risques pour la stabilité financière posés par les crypto-actifs soient atténués. Les chantiers MiCA et TFR n’étant que les premiers pas dans la bonne direction, assure l’institution monétaire européenne.

Et ce, en visant toute nouvelle mesure qui amène le secteur financier traditionnel à être encore plus interconnecté avec l’espace crypto.

« Les difficultés rencontrées pour surveiller les risques pour la stabilité financière liés à l’évolution des crypto-actifs et à l’interconnexion avec le secteur financier traditionnel persisteront tant qu’il n’y aura pas d’exigences normalisées en matière de déclaration ou de divulgation », ponctuent les auteurs, citant le développement de collectes de données prospectives.

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