L’Europe à l’envers: alors que l’Allemagne est au bord de la crise, l’Italie se voit comme « la championne de l’approvisionnement en gaz »

Malgré plus de 40% de gaz russe dans ses approvisionnements en 2021, l’Italie a rapidement pu trouver d’autres fournisseurs. Le pays serait aujourd’hui le « champion d’Europe » de la sécurité énergétique. L’Allemagne, malgré le contraste économique, est aujourd’hui à la traîne en termes d’approvisionnements et au bord de la récession. Un inversement assez symbolique.

L’Italie et l’Allemagne, deux nations que l’on compare souvent. Déjà pour leurs obligations d’Etat : le taux allemand à 10 ans est stable et sert de référence au marché, l’Italien est plus volatil et sert de référence pour l’autre extrême : le couple fait le spread. Pareil pour la situation économique et politique des deux pays : l’Allemagne, c’est la stabilité, le dur labeur, l’industrie. L’Italie, ce sont le déclin industriel, des crises économiques qui s’enchaînent et des crises politiques qui se suivent. En caricaturant un peu, bien sûr.

Mais désormais, le vent semble être en train de tourner. Ou la musique en train de changer, comme on dit dans la langue de Dante Alighieri. L’Allemagne est en quasi en récession, l’inflation des prix à la consommation (+10% en un an, +19% pour les aliments) et des prix à la production (+49% en un an!) est au plus haut depuis la Seconde Guerre mondiale, l’industrie se prépare à éventuellement devoir rationner son énergie, et les fournisseurs de gaz doivent être sauvés avec de l’argent public, comme les banques en 2008.

Nouvelles sources, trouvées rapidement

Même si l’Allemagne a ses réserves de gaz pleines aujourd’hui, et devrait pouvoir passer l’hiver sans pénurie trop importante, c’est le fait d’être brutalement coupé du cordon ombilical (Nord Stream, qui lie le pays à Mütterchen Russland, la Mère Russie) qui pousse la première puissance économique du continent dans la situation qu’elle connaît aujourd’hui.

De l’autre côté des Alpes, l’Italie sourit. Dès le début de la guerre en Ukraine, Claudio Descalzi, PDG d’Eni, l’entreprise énergétique publique, est parti à la recherche de nouvelles sources d’approvisionnement en gaz. Algérie, Angola, Egypte, RD Congo… les visites s’enchaînaient.

L’Italie a pu s’assurer des approvisionnements auprès de ces pays, dont certains faisaient déjà partie de ses fournisseurs. Ainsi, la République transalpine a pu remplacer, plus vite que d’autres, une bonne partie de ses importations depuis la Russie (mais cela n’a pas empêché Eni d’ouvrir un compte en roubles, soit dit en passant). En 2021, Moscou représentait encore plus de 40% de ses approvisionnements, une part importante mais inférieure à celle de l’Allemagne, où le gaz russe dépassait bien les 50%

L’Allemagne a aussi trouvé d’autres partenaires, comme le Qatar, et la part de gaz russe a chuté à moins de 10%, de manière un peu forcée certes. Mais dans cette course aux approvisionnements, Rome a pu doubler Berlin, qui est encore à la traîne. Dans un contexte de crise, les négociations sont plus ardues, et c’est la personnalité de Descalzi, apprécié dans les pays africains, qui aurait joué dans la balance, raconte Alberto Clò, ancien ministre de l’Industrie, à Reuters.

Facilité que confirme Martijn Murphy, analyste pour Wood Mackenzie : la relation d’Eni avec le continent africain, qui fait date et qui a vu l’entreprise devenir un des investisseurs les plus importants en Afrique du Nord, lui a permis de se passer plus rapidement de ses approvisionnements russes. Les terminaux GNL – l’Italie en possède trois et l’Allemagne aucun – ont aussi joué leur rôle.

Résultat : l’Italie n’estime aujourd’hui pas devoir faire de rationnements cet hiver, contrairement aux risques qui pèsent sur l’Allemagne. Le pays se vante même d’être « le meilleur pays d’Europe » en termes d’approvisionnements.

Préparation réfléchie

Dans le passé, l’Italie a aussi fait le choix de ne pas devenir trop dépendante de la Russie. En 2006, le pays était encore un grand client de Poutine, et signait des accords monstre avec Gazprom. Mais en 2014, après l’annexion de la Crimée, la situation a changé. D’abord, Silvio Berlusconi, grand ami de Poutine et qui défend aujourd’hui l’agression de l’Ukraine, a laissé sa place à un nouveau Premier ministre. Descalzi a pris les rênes d’Eni et a mis l’accent sur la diversification et l’exploration de gisements, notamment en Afrique.

L’Italie s’est aussi retirée d’un projet de gazoduc ralliant l’Europe depuis la Russie et à travers l’Hongrie et l’Autriche, de manière à contourner l’Ukraine, appelé South Stream, suite aux sanctions émises contre la Russie. Au lieu de cela, Rome s’est tourné vers l’Azerbaïdjan, en construisant un gazoduc passant par l’Albanie et la Grèce.

En ces huit ans, l’Allemagne de Merkel s’est toujours plus engouffrée dans le gaz russe, et a même lancé la construction de Nord Stream 2. Voilà un autre avantage qu’a l’Italie aujourd’hui.

Avenir incertain

Comme dit plus haut, l’Italie est sujette aux crises politiques. Suite à la démission de Premier ministre Mario Draghi, des élections se sont tenues ce dimanche. Le parti fasciste Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni est arrivé en tête du scrutin, avec 26% des voix. Une alliance avec deux autres partis très à droite, Forza Italia de Berlusconi et la Lega Nord de Matteo Salvini représente même 42% des résultats.

Reste à voir comment l’échiquier politique changera si ce groupe forme un gouvernement. Salvini et Berlusconi sont proches de Poutine, comme souvent l’extrême droite européenne (tout comme l’extrême gauche). Ils pourraient en tout cas essayer de se rapprocher de la Russie à nouveau, et peut-être saper le réseau que Descalzi a créé et étendu depuis 2014. Cela reste une grande inconnue.

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