Il y a de la friture sur la ligne entre le Premier ministre et son président : Lachaert doit braver un bureau de parti délicat tandis que De Croo fait le beau en Allemagne

C’est l’éternelle question qui se pose à chaque Premier ministre belge : dans quelle mesure est-on un homme d’Etat et dans quelle mesure est-on un homme de parti ? Presque tous les prédécesseurs d’Alexander De Croo (Open Vld) au Seize ont souffert de ce dilemme, et aujourd’hui, il se pose à nouveau, cette fois au sein de l’Open Vld. Le parti a choisi de tout miser sur le Premier ministre et de construire une campagne autour de lui, en espérant un gain de 3 à 4 % à la fin de la course. Privilégier systématiquement la communication autour du Premier ministre, plutôt que celle du parti, même si cela provoque parfois quelques tensions entre le Premier ministre et le président. Mais entre-temps, le parti se trouve dans une situation difficile : des sondages ont donné lieu à un bureau de parti difficile ce lundi. L’ancien président Karel De Gucht (Open Vld) s’est manifesté, avec un sermon tonitruant, à l’encontre d’Egbert Lachaert. Ce dernier s’est retrouvé seul, luttant pour contrer les critiques : De Croo était en Allemagne et le vice-premier ministre Vincent Van Quickenborne (Open Vld) n’était pas là non plus. « Cela ne peut vraiment pas continuer comme ça, nous nous dirigeons tout droit vers l’abîme », murmure-t-on dans les couloirs. Mais d’autres dirigeants ont apaisé les esprits : « De Gucht a disparu après seulement 20 minutes, il est facile de parler de cette façon, sans trouver de solutions. Travailler dur en équipe est la seule solution ».

Dans l’actualité : Le Premier ministre séduit les chefs d’entreprise allemands lors d’une tournée à Berlin.

Les détails : Sur le plan intérieur, son parti et le président sont sous pression, en raison de mauvais sondages et d’anciens présidents grincheux.

  • « Nous sommes maintenant à 9,3 %. Vous pouvez vous enfouir la tête dans le sable et attendre le prochain sondage à 8,5 %. Ensuite, ce sera 8,3 %, et ainsi de suite. Quand allez-vous vous rendre compte que vous devez changer et faire quelque chose à ce sujet ? » Cette intervention tonitruante de l’ancien président Karel De Gucht, dans son style cassant bien connu, s’est déroulée dans les locaux de l’Open Vld, rue Melsens, au siège du parti. De Gucht n’a jamais fait de déclarations personnelles, mais il a parlé du « manque de talent » de la génération actuelle de libéraux.
  • L’ancien ministre des Affaires étrangères a également fait part d’un sentiment de malaise qui est plus profond que tout autre parti dont les sondages sont inférieurs à 10 % : comment procéder ? Un silence s’est installé et puis un va-et-vient. « Le fait que De Gucht soit parti vingt minutes après sa propre intervention en dit long sur son propre engagement dans le débat. Il n’est même pas resté pour écouter la réfutation d’Egbert, il semble surtout préoccupé par la place de Jean-Jacques (son fils, ndlr.), qui sera bientôt sur la liste », souligne un autre participant à propos de l’ancien président.
  • « Il y a eu une analyse critique de la part de nombreux participants, qui est allée un peu dans tous les sens. Et comme le Premier ministre et le vice-premier ministre n’étaient pas là, Lachaert a dû encaisser les coups tout seul », a indiqué un député. Après tout, il s’agissait d’un « bureau élargi », où tous les députés fédéraux et les députés flamands étaient également autorisés à s’assoir. « Il est logique que cela ne se soit pas déroulé sans heurts. Personne n’est heureux lorsque le parti obtient 9 % des voix ».
  • Entre toutes les analyses, une chose est apparue clairement : il y a une certaine gêne entre le président et le Premier ministre, et dans la répartition des rôles qu’ils doivent tous deux jouer. En effet, Lachaert s’est ostensiblement référé à la « cellule de communication du Premier ministre » pour répondre à un certain nombre de questions sur la manière dont les choses ont été gérées.
  • Pour un certain nombre d’observateurs présents sur place, cela a confirmé ce que l’on murmurait depuis longtemps : de la friture sur la ligne entre le 16 et le siège du parti. Les deux camps nient à bloc : « Il y a beaucoup de concertation et la direction est claire », entend-on au siège du parti. « Bien sûr, nous avons un rôle différent, celui de gardien de la coalition, en plus de celui d’homme de parti. Mais nous pensons qu’il y a beaucoup de compréhension à ce sujet au sein du parti », peut-on ensuite entendre au Seize.

Le contexte : l’Open Vld souhaite vivement un match entre le Premier ministre et Bart De Wever : l’histoire du ‘we can‘ contre le pessimisme.

  • L’ensemble de la direction du parti, y compris les critiques les plus virulents de Lachaert, est en fait d’accord sur la stratégie à suivre : le Premier ministre doit être mis en valeur au maximum. Le congrès de l’Open Vld à Gand, le week-end dernier, l’a déjà montré : De Croo y a prononcé un discours inspiré, dans lequel il s’est manifestement opposé au négativisme de De Wever et des « séparatistes ».
  • « C’est de cela dont nous avons besoin, c’est la seule voie », a-t-il déclaré lors du sommet. Ils comptent sur « un bonus de la chancellerie qui nous fera grimper à 3 ou 4 % à la fin », une fois que De Croo « entrera vraiment dans ce combat de boxe avec De Wever ».
  • Mais cela implique que le parti doit également s’écarter de sa communication propre. « Nous devons être cohérents dans ce domaine, même si c’est parfois difficile », a-t-il déclaré. C’est ainsi que peu de choses ont été communiquées sur le congrès en termes de contenu, et qu’il a été décidé au sein du parti de ne pas aborder les questions socio-économiques et de se lancer à fond dans la campagne pour le Premier ministre.
  • « Bien sûr, il faut avoir ce combat de boxe, c’était la première fois que De Croo s’y mettait vraiment. Mais si vous n’osez plus communiquer en même temps avec votre propre parti, alors vous êtes mort », s’emporte un député, qui a « perdu toute confiance en Lachaert ». « Il est assis là comme un canard boiteux, ne se connaissant plus lui-même ».
  • Dans le même temps, l’indulgence à l’égard de Lachaert se manifeste ailleurs. Il y a aussi des critiques à l’égard du Premier ministre, parce qu’il reste très absent des exercices internes pour apaiser le parti. « La situation est délicate : le Premier ministre a ses moments de gloire, surtout à l’étranger, tandis que Lachaert doit absorber toute la frustration interne et apaiser les troupes. Bien sûr, Alexandre a un agenda très chargé, mais les partisans, le parti, ont aussi besoin de l’entendre et de le sentir de temps en temps. Le sacrifice doit venir de tout le monde ».

L’essentiel : à Berlin, au même moment, nous avons déjà eu un avant-goût de la campagne électorale que De Croo va bientôt mettre sur pied.

  • Faire de l’ombre au chancelier à Berlin, avec son propre discours : De Croo l’a fait ce lundi. Avec un discours volontairement bleu foncé, ce qui n’a que peu d’importance pour les partenaires de la coalition à Vivaldi, à quelque sept cents kilomètres de Bruxelles : Le Wirtschaftsrat, l’équivalent de la FEB ou du Voka en Allemagne, en a reçu pour son argent, avec un « oui franc et massif à l’énergie nucléaire » et « moins de réglementations pour l’industrie ». Le socialiste Olaf Scholz s’est immédiatement mis sur la défensive, selon De Standaard et De Tijd, qui étaient présents sur place.
  • Ce faisant, le Premier ministre s’est présenté comme le parfait visionnaire, un dirigeant qui ose regarder vers l’avenir. Il a ainsi appelé à un « European Industrial Deal », sur le modèle de « l’European Green Deal », dans lequel l’UE devrait développer une véritable politique industrielle. « Nous devons présenter un plan crédible pour les 20 prochaines années », a-t-il déclaré. Il a également ajouté une mise en garde : « La véritable tragédie pour quiconque se préoccupe de la lutte contre le changement climatique est que la production industrielle se déplacerait de l’Europe vers l’Asie, l’Afrique ou même les Amériques ».
  • Il s’est également exprimé sans détour sur l’énergie, dans le pays même où une coalition rouge, bleue et verte a fermé les dernières centrales nucléaires l’année dernière. « Nous devons reconnaître que l’énergie nucléaire fait partie de l’accord énergétique de l’avenir en Europe. Surtout si l’énergie nucléaire est plus sûre et moins polluante qu’auparavant, elle devrait faire son retour en tant que base fiable et à faible émission de carbone pour notre approvisionnement en énergie ». Salve d’applaudissements nourrie.
  • Tout le positionnement du Premier ministre, visionnaire et optimiste, préfigure immédiatement une image que De Croo veut jouer dans la bataille électorale : contre la pensée catastrophiste de la N-VA et du Vlaams Belang, il veut simplement donner de l’espoir, et des solutions concrètes. « Nous avons une fois de plus remarqué, en Allemagne également, qu’il y a de l’enthousiasme pour cette approche du ‘we can‘ : s’attaquer aux problèmes, saisir les crises comme des opportunités », entend-on au Seize.
  • D’ailleurs, demain, le Premier ministre présentera une nouvelle « stratégie de marque » : lors d’une conférence de presse, il expliquera comment la Belgique devrait être plus que « la bière, les frites et le chocolat » pour les investisseurs étrangers. Cela devrait inclure la solide réputation belge dans des secteurs tels que la pharmacie, la biotechnologie et la chimie, ainsi que des instituts scientifiques tels que l’imec.
  • Demain, lors de la conférence de presse, trois grands noms qui s’inscrivent dans cette logique optimiste seront également présents : Ilham Kadri, PDG de Solvay, Federica Mogherini, recteur du Collège d’Europe et Brandon Wen, directeur créatif (mode) de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers.
  • Il y a d’ailleurs là aussi un clin d’œil au passé des libéraux flamands : pendant la période arc-en-ciel, Guy Verhofstadt (Open Vld) a également organisé une tournée « Invest in Belgium« , qui l’a notamment conduit aux États-Unis, afin de donner une image positive de lui-même et de son gouvernement dans son propre pays. Pour la petite histoire : en tant que Premier ministre, Verhofstadt s’était aussi disputé avec le chef de son parti à l’époque. Un certain… Karel De Gucht.

Nouveau scandale : McKinsey a-t-il rédigé la nouvelle loi sur les colis sur mesure pour Bpost ?

  • La fuite d’une étude d’impact réalisée par le cabinet de conseil McKinsey pour le compte de Bpost soulève des questions sur la loi sur les colis de la ministre des Entreprises publiques de Petra De Sutter (Verts). En effet, certains passages se retrouvent mot pour mot dans le projet de loi final.
  • Le journal Het Laatste Nieuws révèle à nouveau des liens douteux de communication entre Bpost et l’État belge avec le cabinet de conseil McKinsey. Cette fois-ci, il ne s’agit pas du contrat de concession de journaux qui a fait couler beaucoup d’encre, mais de la nouvelle loi postale que la ministre Petra De Sutter (Groen) souhaite mettre en place pour réglementer le secteur des colis.
  • Une présentation PowerPoint de McKinsey à Bpost, datée du 4 février 2022, soulève notamment des questions. Cette étude d’impact contient des propositions qui figurent ensuite presque mot pour mot dans la nouvelle « loi sur les colis ».
  • Par exemple, la proposition initiale la plus connue de De Sutter – 80 % du personnel d’une entreprise de colis doit être salarié – figure déjà littéralement dans la présentation de McKinsey. La règle des 80/20 favorise Bpost, car les autres entreprises de colis fonctionnent avec beaucoup moins de personnel permanent.
  • Le calendrier soulève des questions. Selon HLN, la consultation de la fédération sectorielle Febetra n’a eu lieu que le 24 février et la consultation publique le 11 mars. Pourtant, des passages du projet de loi figurent déjà dans la présentation de McKinsey un mois plus tôt.

La question politique : qui a écrit la nouvelle loi sur les paquets, De Sutter ou McKinsey ?

  • « Il semble que McKinsey et Bpost aient eu connaissance du projet de loi de De Sutter. Comme le projet de loi est entre les mains de Bpost, cela pourrait même indiquer que l’ensemble de la loi a été rédigée par Bpost et McKinsey », explique Michael Freilich, député de la N-VA, qui a pu consulter les documents internes.
  • De Sutter explique à HLN qu’elle n’était pas au courant de l’étude d’impact interne de Bpost. « Si une personne a tenu le stylo, c’est bien moi », dit-elle. Mais les entreprises de transport de colis concurrentes de Bpost ne sont pas convaincues.
  • Freilich demande que les contacts entre l’administration De Sutter et Bpost soient rendus publics.
  • Dans l’entourage de De Sutter, on précise que cette loi sur les colis a franchi de nombreuses étapes entre-temps et que le gouvernement flamand, avec la N-VA en son sein, a également accepté les projets. « Ce serait vraiment étonnant si tout cela était encore une fois le fait de McKinsey ou de quelqu’un chez Bpost, comme s’ils avaient une emprise sur tout le processus. Il faut arrêter de raconter ce genre de bêtises. »

À suivre : Pierre Wunsch, gouverneur de la Banque nationale, relance le débat sur les taux d’épargne. Mais Vivaldi est partagée.

  • La Banque nationale et son gouverneur Pierre Wunsch s’impliquent dans le débat sur le relèvement des taux d’épargne. Depuis des mois, les experts soulignent que les taux des comptes d’épargne augmentent beaucoup plus lentement que les taux d’intérêt de la BCE, alors que les banques obtiennent des taux d’intérêt de plus en plus élevés lorsqu’elles placent elles-mêmes leur argent à la Banque nationale. Selon les critiques, les banques s’enrichissent.
  • Le libéral francophone Wunsch semble s’en rendre compte : il réitère son appel à ce que le taux d’intérêt d’un compte d’épargne corresponde davantage aux taux du marché. Cela peut être interprété comme une exhortation aux grandes banques à augmenter leurs taux d’épargne de toute façon.
  • Mais, selon les chiffres publiés ce matin dans De Tijd et Le Soir, les Belges, trop conservateurs, ne se tournent guère vers des banques de niche offrant des taux d’intérêt plus élevés.
  • Au niveau gouvernemental, le sujet fait également l’objet d’un débat plus idéologique : faut-il ou non intervenir dans le « marché libre » et commencer à imposer un taux d’intérêt minimum obligatoire ? Concrètement, une banque perçoit aujourd’hui un taux d’intérêt de 3,25% pour l’argent qu’elle dépose à la Banque nationale, alors que le taux minimum légal est de 0,11%
  • La vice-première ministre Petra De Sutter (Groen) envisage de mettre sur la table du gouvernement une proposition des députés Dieter Van Besien (Groen) et Gilles Vanden Burre (Ecolo), pour commencer à forcer les banques à augmenter leurs taux d’intérêt sur les comptes d’épargne. « La proposition des Verts vise à ce que l’écart entre ce que la banque reçoit et ce qu’elle donne à ses clients soit de 2% maximum. Cela signifie qu’aujourd’hui, une banque devrait offrir au moins 1,25% d’intérêt sur son compte d’épargne », affirme le député Ecolo.
  • Pierre-Yves Dermagne (PS) insiste également sur ce point dans Le Soir : « Il n’est pas normal d’augmenter fortement les taux d’intérêt sur les crédits hypothécaires, mais pas sur l’épargne. » Ce faisant, il souligne le fait que ces prêts hypothécaires sont déjà à environ 4 % aujourd’hui.
  • Ainsi, les libéraux flamands, le Premier ministre De Croo en tête, semblent être les seuls à ne pas vouloir d’une telle intervention sur le marché. Ils évoquent à cet égard le dossier Bpost « et ce qui se passe si les pouvoirs publics s’impliquent trop ». Auparavant, la secrétaire d’État à la protection des consommateurs Alexia Bertrand (Open Vld) avait parlé du taux d’intérêt minimum obligatoire comme « un dernier recours ».
  • Mais les libéraux sont divisés. Car le MR prête également l’oreille à un tel taux minimum : c’est peut-être la raison pour laquelle Wunsch parle haut et fort.
  • Par ailleurs, hier avait lieu l’assemblée annuelle d’Ackermans & van Haaren, le holding dont la famille Bertrand est l’un des principaux propriétaires et dont Alexia Bertrand était administratrice jusqu’à l’année dernière. Ce holding possède deux banques : la Banque privée Delen et la Banque Van Breda. Un actionnaire a demandé quel serait l’impact de l’introduction d’un taux d’intérêt obligatoire. L’administrateur délégué Piet Dejonghe a parlé d’un « équilibre délicat entre les dépôts et les prêts » pour chaque banque. « Il est dangereux de forcer les banques à augmenter les taux d’intérêt », a-t-il déclaré.
  • Le même son de cloche peut être entendu de la part de la Febelfin : « Une longue période de taux d’intérêt bas signifie que les prêts résidentiels ont été accordés à des taux d’intérêt particulièrement bas pendant des années. Un taux d’épargne est déterminé à court terme, alors qu’un crédit logement a une durée moyenne de 20 ans. Les emprunteurs, qui ont opté pour un taux d’intérêt fixe, pourront donc bénéficier d’un taux d’intérêt bas pendant une période de 20 ans ».
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