Face à la crise énergétique, chaque parti de la Vivaldi y va de sa petite rustine… mais les grandes décisions sont ailleurs

Chaque partenaire demande à agir « urgemment » pour soulager les factures énergétiques des citoyens. Ce faisant, chacun tente de tirer la couverture vers soi avec une rustine à court terme plutôt que de s’entendre ensemble sur des mesures structurelles. Pour cela, la Vivaldi reste toutefois dépendante de ce qui va se jouer demain et après-demain à Versailles et du contexte international. La crise énergétique mérite sans doute plus d’honnêteté: les consommateurs européens et belges seront, dans ce cas-ci, en première ligne.

Dans l’actu : c’est le grand bal des mesures-chocs. Les partenaires de la Vivaldi ont pris cette habitude d’agir seuls, et de discuter ensuite.

  • Certains partenaires se disputent la paternité du cliquet inversé sur les carburants, un mécanisme qui fait baisser les accises quand les prix s’envolent. Selon le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), le mécanisme est prêt, depuis novembre dernier. Georges-Louis Bouchez (MR) demande qu’on l’applique « dès cette semaine ». Le PS estime toutefois ce mécanisme pas assez ambitieux. Le montant de l’aide pourrait aller jusqu’à 40 cents par litre si chacun parvient à accorder ses violons.
  • Ça partait aussi un peu dans tous les sens pour la TVA à 6% sur le gaz. On se rappelle que lors de la première salve d’aides, le 1er février, cette mesure, « pas assez équitable » ou « trop chère », avait été écartée. L’Open VLD s’y était opposée tout comme le PS, pour des raisons différentes. Désormais, on semble se diriger vers un consensus, mais pour une mesure qui devrait durer 6 mois.
  • La TVA sur l’électricité à 6% pourrait, elle, rester définitivement. Il semble y avoir un accord entre l’Open VLD, le CD&V et les Verts. Mais le MR s’inquiète qu’une telle mesure n’ait pas été réellement budgétisée.
  • Ensuite, ça part un peu dans tous les sens: le PS veut élargir le tarif social, les Verts veulent insister sur la diminution de la consommation, l’Open VLD se verrait bien mettre en place une nouvelle prime/prêt de 400 euros.
  • Très bien. Mais la crise énergétique n’a pas attendu la guerre en Ukraine pour se présenter. Quid de la TVA intelligente et de la grande réforme sur les accises promises ? Toutes ces propositions montrent une chose: il y a eu peu de préparation et tout cela manque cruellement de long terme. Les discussions sur le nucléaire ont visiblement monopolisé l’attention. Tout le monde s’accorde à dire que l’énergie est une feuille d’impôts déguisée, il faut donc agir structurellement.
  • Du côté de l’opposition, on se demande de nouveau à quoi joue la Vivaldi, comme l’a fait savoir ce mardi Catherine Fonck, députée cdH, dans un tweet très relayé.

Le contexte: le tournant énergétique que prendra l’Europe dépasse complètement le contexte belge.

  • Toutes les mesures précitées seront discutées au sein du kern ce mercredi. Mais la grande actualité est ailleurs. Il y a d’abord eu cette décision des États-Unis et du Royaume-Uni de lancer un embargo contre le pétrole russe, mais aussi le gaz et le charbon.
  • La mesure n’a pas été suivie par l’UE, beaucoup plus dépendante des matières premières de Moscou. Mais ça ne veut pas dire que l’Europe ne va pas bouger pour exercer une ultime pression sur Poutine.
  • Un sommet importantissime se déroulera ces jeudi et vendredi à Versailles, à l’invitation du président Macron. La Commission européenne a déjà pris les devants, en rédigeant son plan pour une grande réforme énergétique bâtisée REPowerEU.
  • Et la Commission est encore plus ambitieuse que le plan en 10 étapes dessiné par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), avec une réduction de 2/3 de la dépendance énergétique de la Russie. Aujourd’hui 40% du gaz consommé en Europe vient de Russie.
    • L’UE veut augmenter les stocks de gaz à leur maximum d’ici l’hiver prochain.
    • Diversifier les approvisionnements via le GNL des États-Unis, du Qatar ou de l’Égypte.
    • Le renforcement des capacités du gaz naturel de la Norvège, de l’Algérie, voire de l’Azerbaïdjan est aussi dans le viseur.
    • Baisser la consommation: en baissant de 1 degré la température des bâtiments, tant dans le public que dans le privé.
    • Aider les ménages et les entreprises: la Commission a ouvert la voie à une taxation des surprofits des géants de l’énergie. 200 milliards d’euros sont évoqués rien qu’en Europe.
    • Investir dans le renouvelable de manière sans précédent.
    • Mais à court terme, pouvoir compter sur l’énergie nucléaire. Même le charbon n’est plus un tabou. C’est vous dire l’ampleur du changement de paradigme.
  • Des décisions de l’Union dépendront la marge de manoeuvre de la Vivaldi: agira-t-elle avec un nouveau fonds de relance de type Covid ? Assouplira-t-elle les critères de Maastricht ?
  • Les discussions à Versailles seront difficiles. Le symbole des tensions au sein de l’UE est sans doute porté par la France et l’Allemagne. L’Hexagone peut compter sur son nucléaire et ne serait pas contraire à retourner l’arme de Poutine contre lui.
  • Impensable pour l’Allemagne qui dépend fortement de la Russie énergétiquement: se passer des énergies fossiles russes signifierait tout simplement une récession, et ce sont les citoyens, qui en paieraient le prix.
  • C’est toute la question qui traverse les chancelleries européennes: se priver des énergies russes ne doit-il pas se voir comme un effort de guerre face à la Russie ? La hausse des prix de l’énergie est-elle le prix à payer ?

À noter: se passer complètement du pétrole et du gaz russe est impensable à court et moyen terme.

  • Un effort de guerre à très court terme pour faire cesser le conflit, pourquoi pas. Mais structurellement, c’est beaucoup plus compliqué.
  • Se passer du pétrole russe est « impossible ». Et c’est le chef de l’Opep qui le dit: « Il n’existe aucune capacité dans le monde qui pourrait remplacer 7 millions de barils par jour », a déclaré Mohammed Barkindo. Les premières négociations entre Biden, l’Arabie saoudite et les Émirats arables unis sont d’ailleurs très compliquées pour trouver des alternatives après la décision américaine.
  • Au niveau du gaz, la question se posera surtout pour l’hiver prochain. Et il n’est pas possible d’augmenter d’un claquement de doigts les alternatives. C’est surtout valable pour le GNL qui nécessite des installations dont les travaux prennent plusieurs années. Mais c’est aussi valable pour le gaz naturel: il est impossible pour la Norvège ou l’Algérie d’augmenter leur production sans investissements lourds.
  • Tout le monde s’accorde à dire que de ne plus dépendre d’un État comme la Russie sera bénéfique pour toute l’Europe. Le renouvelable est la solution, mais mettra plusieurs décennies pour connaitre sa pleine capacité.
  • C’est avec toutes ces variables que l’Union, et la Vivaldi, qui pèse bien peu au niveau international, doivent composer. Il faut avoir l’honnêteté de le dire, et préparer sa population, plutôt que d’agiter des mesures dans la presse.

Nucléaire: la position d’Engie dans les négociations avec la Vivaldi s’affaiblit.

  • La fermeture définitive du gazoduc Nord Stream 2, reliant la Russie à l’Allemagne, n’est rien moins qu’une catastrophe pour le géant français de l’énergie. Engie avait investi des milliards dans ce projet.
  • Engie est un important fournisseur de gaz dans son propre pays, avec de nombreux contrats fixes et plafonnés. Ceux-ci sont désormais un boulet au pied l’entreprise.
  • Toute la stratégie d’Engie part en lambeaux, l’action a sombré dans des profondeurs sans précédent à la bourse de Paris et en quelques semaines, 10 milliards d’euros de valeur boursière se sont évaporés.
  • En outre, le bénéfice excédentaire réalisé en Belgique sur leur parc nucléaire restant, environ 1 milliard l’année dernière, est l’un des rares points positifs pour les Français.
  • La conséquence immédiate est que le gouvernement fédéral peut commencer à parler avec plus d’assurance à Paris, si Doel 4 et Tihange 3 peuvent effectivement rester ouverts : les Français aussi ont plus que jamais besoin d’un certain nombre de sources de revenus garantis.
  • Et leur principal actionnaire se trouve à l’Élysée : l’État français possède plus de 20 % de la société. Or, Emmanuel Macron présentera dans les deux prochains jours ses plans pour l’indépendance énergétique européenne, avec l’énergie nucléaire comme pilier important.
  • En ce sens, les événements récents constituent une incroyable aubaine pour les partisans de l’énergie nucléaire au sein de la Vivaldi. La question est de savoir jusqu’où ils peuvent aller, avec un partenaire de coalition écologiste qui continue de résister, malgré son changement de discoursLa loi de 2003 sur la sortie du nucléaire en est un élément central.
  • Cette loi stipule que les centrales électriques doivent fermer. La question est de savoir si elle sera modifiée désormais et comment : y aura-t-il un report de la date limite de fermeture (jusqu’en 2025), ou bien la loi sera-t-elle simplement jetée par-dessus bord ? Les libéraux veulent la 2e option, et ont déjà le regard porté vers de nouvelles centrales, de quatrième, voire de cinquième génération.
  • Mais il s’agit vraiment un totem pour les Verts : pas question à long terme de prolonger le nucléaire, ils veulent simplement repousser l’heure de fermeture définitive. La discussion risque donc d’être très vive au sein de la Vivaldi, car dans le même temps, le MR pousse pour prolonger davantage que les deux réacteurs les plus jeunes.
  • Par ailleurs, la journée d’aujourd’hui promet d’être intéressante dans l’hémicycle : car il y a des auditions avec la CREG, le gestionnaire de réseau. Il y a quinze jours, ils ont publié un rapport sur la sortie du nucléaire, dans lequel ils attaquent frontalement le gestionnaire du réseau, Elia. Ils l’accusent d’avoir livré un dossier truffé d’erreurs. Ce rapport est apparu en ligne, puis a été soudainement retiré. La question est de savoir ce qui s’est passé exactement.
  • Entre-temps, la CREG s’est officiellement prononcée contre la sortie du nucléaire et s’est montrée particulièrement critique à l’égard des nouvelles centrales au gaz.
  • L’avis officiel d’Elia, le gestionnaire du réseau électrique, est lui toujours attendu pour le 18 décembre, date de la décision sur la prolongation ou non du nucléaire.
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