L’actualité rattrape la stratégie des Verts, mais une prolongation du nucléaire n’est pas évidente pour autant

C’est donc une double sortie dans la presse du nord et du sud du pays – De Standaard et Le Soir – qui vient officialiser un véritable tournant politique chez les écologistes: la ministre de l’Énergie Tinne Van Der Straeten et le coprésident d’Ecolo Jean-Marc Nollet ont expliqué que la guerre menée par la Russie en Ukraine avait changé la donne. Les prix de l’énergie s’envolant, et la sécurité d’approvisionnement du gaz russe n’étant plus une garantie, le duo ouvre la voie à une prolongation du nucléaire. Mais de combien de réacteurs parle-t-on et à quelles conditions ? Le fait de ne trancher qu’au tout dernier moment place la Belgique dans une position de faiblesse.

Dans l’actualité: les Verts ne sont plus fermés à une prolongation du nucléaire.

Le détail : les prix de l’énergie pourraient rester hauts pendant un certain temps.

  • « Non rien… » En reprenant un article qui pointait du doigt les dangers du nucléaire, le vice-premier ministre Georges Gilkinet (Ecolo) s’est attiré les foudres du président du MR, Georges-Louis Bouchez: « L’indécence de confondre nucléaire civil et militaire… Soit de l’incompétence, de la mauvaise foi ou de la manipulation… Non, rien… ».
  • C’était jeudi dernier, et cet échange sur les réseaux sociaux symbolisait assez bien la politisation complète du débat sur la sortie du nucléaire. Le MR faisait de la prolongation du nucléaire un trophée politique en enfonçant son partenaire au gouvernement. Ecolo et Groen, qui ont persisté ces dernières semaines, ne pouvait eux accepter une prolongation sans connaitre une terrible défaite politique. Une guéguerre idéologique qui ne facilitait pas l’un ou l’autre choix et qui témoignait d’une certaine tension permanente dans la Vivaldi. Comme le soulignait un commentaire du secrétaire d’Etat à la Relance Thomas Dermine (PS) qui assistait en spectateur: « Je regarde ces échanges avec circonspection. En attaquant ad hominem et en polarisant à l’extrême, on crispe ses partenaires et on crée exactement l’effet inverse à celui désiré. Aujourd’hui, le plus grand obstacle à un débat apaisé sur la prolongation du nucléaire est devenu Georges-Louis Bouchez ».
  • C’est donc tout à l’honneur des Verts d’avoir opéré un tel tournant. Même s’il faut bien dire qu’il devenait très compliqué de donner des arguments en faveur de la sortie du nucléaire au profit d’au moins deux centrales à gaz. Mais cette sortie du nucléaire est un combat de 20 ans pour les écologistes. Ils en avaient fait une condition de leur entrée au gouvernement. « Qu’est-ce qu’il nous reste, si nous n’obtenons pas la sortie du nucléaire ? », nous indiquait-on chez les verts, il y a quelques semaines. C’est donc un fameux pas.
  • Les écologistes ne pousseront plus uniquement pour le plan A « parce que le monde change, et nous voulons et devons en tenir compte. Tous les pays européens doivent réévaluer leur stratégie énergétique, la Belgique n’échappe bien entendu pas à la règle. Il faut réévaluer la situation à la lumière de ce qui se déroule en Ukraine », explique Jean-Marc Nollet dans Le Soir.
  • « La sortie du nucléaire n’a jamais été un but en soi. Le but, c’est le 100 % de renouvelable au niveau européen, seul chemin pour nous rendre indépendants en termes de source d’énergie et maîtriser l’évolution des prix. On sait qu’il faut vingt à trente ans pour arriver à 100 % de renouvelable. La question est donc de savoir quel est le chemin le plus efficace, le moins cher et le plus rapide pour arriver au but. »
  • Ce chemin, il pourrait s’emprunter sans le gaz russe ou en tout cas avec moins de gaz et de pétrole russe.
    • Le scénario est désormais envisagé par les chancelleries européennes. L’ultime arme des Occidentaux pour sanctionner la Russie serait de boycotter les produits énergétiques russes. Un couteau à double tranchant bien sûr.
    • Le groupe de réflexion Oxford Economics a intégré l’hypothèse d’un gel du gaz russe pour une période de 6 mois. Il en ressort que le prix du gaz resterait à son niveau record actuel pendant toute l’année, au moins. L’inflation dans la zone euro devrait atteindre le niveau record de 6,6 % pour l’ensemble de l’année 2022.
    • Les alternatives au gaz et au pétrole russe sont rares et coûteuses. On évoque souvent le GNL des États-Unis et du Qatar, mais il faut pour cela disposer de terminaux GNL, ce qu’un pays comme l’Allemagne, par exemple, n’a pas. La construction de terminaux GNL pour transformer le gaz liquéfié en gaz naturel prend plusieurs années.
    • L’Agence internationale de l’énergie a même élaboré un plan en dix étapes pour se passer d’un tiers des importations de gaz russe d’ici un an: baisser la consommation d’énergie, trouver des sources alternatives, construire de nouveaux projets éoliens et solaires, compter sur la bioénergie et sur… l’énergie nucléaire. Le think tank Bruegel arrive peu ou prou aux mêmes conclusions et estime qu’on ne peut pas se passer actuellement de l’atome dans le contexte que l’on connait.
  • Ce matin, les prix de l’énergie ont encore augmenté. Un baril de pétrole Brent européen coûte désormais 130 USD, soit le prix le plus élevé depuis 2008. Le gaz de référence du TTF a atteint le montant record de 300 dollars, du jamais vu.
  • La raison est évidente : les positions des capitales européennes, notamment de Paris, mais surtout de Washington DC sur le gaz et le pétrole russes sont en train de changer radicalement. Jusqu’à récemment, Joe Biden, le président américain, était encore prudent quant à un embargo. Mais c’est désormais envisagé.
  • Seule l’Allemagne, qui obtient 42% de son pétrole et même 55% de son gaz de la Russie, est réticente. La ministre verte des affaires étrangères, Annalena Baerbock, s’est ouvertement inquiétée d’une telle évolution ce week-end : « Il ne sert à rien que trois semaines plus tard, nous découvrions que nous n’avons de l’électricité que pour quelques jours en Allemagne et que nous devons donc revenir sur les sanctions », a-t-elle déclaré sur ARD.
  • Cependant, Emmanuel Macron semble vouloir aller de l’avant : à la fin de la semaine, un grand sommet européen se tiendra à Versailles, où le président français veut faire passer des projets de grande envergure visant à donner à l’Europe une « autonomie stratégique ».
  • Toutes les options sont sur la table, certainement aussi la sortie ou non du nucléaire de l’Allemagne : tout contribuera à renforcer l’Europe autant que possible à court terme.
  • Macron agite également un sac d’argent : il pourrait y avoir un deuxième fonds de relance européen, financé les bonds de la dette européenne. Cela pourrait atténuer la douleur des Verts : avancer encore plus vite vers les objectifs du Green Deal, avec une autre injection massive des gouvernements.
  • La Commission européenne se prépare à aller dans cette direction : elle présente cette semaine des plans qui seront débarqués en vue du grand sommet européen. L’idée d’exclure pour l’instant les investissements verts et les dépenses de défense des règles budgétaires de la zone euro est également sur la table.
  • Mais il y a encore beaucoup de combats à mener dans ce domaine : les Pays-Bas frémissent à l’idée d’une nouvelle dette européenne et surtout à l’idée que les normes de Maastricht (le pacte de stabilité et de croissance) ne s’appliqueraient plus à deux énormes postes de dépenses.
  • Demain, la ministre néerlandaise des Finances Sigrid Kaag rencontrera son homologue allemand, le libéral Christian Lindner : tous deux sont considérés comme des Européens plus « frugaux », qui peuvent contrecarrer les plans français. Kaag prendra ensuite la parole, symboliquement, à Maastricht. Plus tard dans la semaine, Macron verra également son homologue néerlandais Mark Rutte : beaucoup dépendra de cette rencontre pour savoir jusqu’où l’UE ira à Versailles.
  • Dans cette vague de mesures, la coalition Vivaldi ne pouvait plus s’accrocher à son projet de passer du nucléaire au gaz : pendant des mois, la Belgique a été méprisée par le reste de l’Europe, et notamment par ses voisins, en raison de son projet d’opter pour davantage de gaz. La vraie discussion sera de savoir jusqu’où la Belgique peut aller, pour faire face au choc énergétique qui semble inévitable avec la Russie.

L’essentiel: les écologistes ne ferment plus la porte au plan B, mais il reste à voir à quelles conditions.

  • Jean Marc Nollet se laisse désormais toutes les portes ouvertes: « Il faut réévaluer le plan A et réévaluer le plan B, et décider sur base de faits objectifs et de données actualisées (…). Nous ne nous accrocherons pas à la hiérarchie qui a été définie dans l’accord de gouvernement et confirmée lors de l’accord de décembre. Mais nous refuserons tout ce qui n’accélère pas la transition, ne renforce pas notre indépendance énergétique et ne permet pas une meilleure maîtrise des coûts. »
  • Et l’écologiste de pointer du doigt ce qui reste problématique sur le chemin du plan B: « Des risques juridiques, la disponibilité d’Engie, le coût, la sécurité, la position de la Commission européenne, etc. »
  • C’est le scénario redouté par certains depuis un moment déjà: en décidant de trancher au tout dernier moment, notre pays s’est mis en position difficile face à Engie.
  • Le géant français de l’énergie s’est rangé habilement du côté de la ministre de l’Énergie qui prépare depuis longtemps une sortie du nucléaire. Engie a répété à plusieurs reprises qu’une prolongation du nucléaire n’était plus possible. Elle avait même remporté les enchères pour la construction de deux centrales au gaz, même si la centrale de Vilvorde connaissait quelques difficultés.
  • Tenter de convaincre la multinationale de se replonger dans le nucléaire aura un coût qui est aujourd’hui difficile à évaluer. « Beaucoup de temps perdu », tacle l’opposition. D’autant que la ministre est accusée de ne pas vraiment avoir envisagé et préparé ce plan B sérieusement. Dans son communiqué de mi-janvier, l’AFCN indiquait qu’une prolongation du nucléaire était encore envisageable techniquement mais qu’on devait s’y préparer urgemment.
  • La question est aussi de savoir combien de centrales nucléaires seront prolongées ? Uniquement Doel 4 et Tihange 3 ou également les plus anciennes ?
  • Le coprésident d’Ecolo espère qu’on pourra trancher toutes ces questions comme prévu le 18 mars, sans toutefois « se braquer » sur cette date. La ministre de l’Énergie Van Der Straeten consulte Synatom, Fluxys, Elia et Apetra et attend leur rapport sur l’impact de la crise ukrainienne.
  • Une course contre-la-montre, mais on ne fera pas dire au coprésident d’Ecolo qu’avec son interview, il prépare les esprits à une prolongation du nucléaire: « Je prépare les esprits à une accélération de la transition énergétique vers le 100 % renouvelable. Je ne suis pas dogmatiquement attaché à la sortie totale du nucléaire dès 2025, pas plus aujourd’hui qu’hier. Si on a choisi le plan A, de sortie, c’est parce que c’était le plus efficace, le plus rapide et le moins cher. Aujourd’hui, on voit bien que les prix augmentent, que l’indépendance de la fourniture n’est plus garantie, et donc, il est logique qu’on se demande si la même question ne mérite pas une autre réponse. »
  • Il n’est donc pas impossible que les écologistes tentent de montrer, après analyse, que la prolongation du nucléaire est trop complexe et trop coûteuse. Mais ils s’attireront les foudres de leurs opposants qui les accuseront d’avoir fait trainer le dossier. La responsabilité leur sera imputée.

À noter: on se dirige vers de nouvelles aides pour diminuer la facture d’énergie.

  • Les Verts conditionnent donc la prolongation du nucléaire à des investissements décisifs en faveur du renouvelable. Ecolo demande de quadrupler la vitesse d’installation du renouvelable d’ici à 2050: « Sur tout : le soleil (panneaux photovoltaïques et thermiques), le vent onshore et offshore, la géothermie profonde, l’hydraulique, l’énergie marine, etc. Il faut aussi booster la capacité de stockage et de flexibilité, avec les batteries, l’interconnexion, l’hydrogène vert, la gestion de la demande, les réseaux électriques intelligents, etc. Il faut un plan pour accélérer la transition, et ce plan doit être d’une ampleur jamais égalée, à la hauteur de la crise. »
  • À plus court terme, Jean-Marc Nollet se positionne aussi en faveur d’une réduction de la TVA sur le gaz à 6% comme c’est le cas actuellement pour l’électricité. Le gaz avait été exclu du paquet de mesures décidées plus tôt dans l’année par la Vivaldi. Le motif évoqué à l’époque était que tout le monde n’utilisait pas de gaz au contraire de l’électricité. Le coprésident d’Ecolo veut même adopter cette nouvelle TVA à 6% de manière « définitive », et de compenser à terme par des accises qui prennent mieux en compte les baisses et les hausses des prix de l’énergie pour cibler ceux qui en ont le plus besoin.
  • Ecolo demande aussi de rendre permanent le tarif social élargi à 2 millions de personnes. « Une réduction de 2000 euros par an et par ménage », estime Jean-Marc Nollet, qui souhaite également renforcer les aides à l’isolation. Pour compenser, une partie de l’investissement pourrait aller être cherchée dans les surprofits accumulés par Engie. Mais là encore, compliqué de négocier et de convaincre le géant français tout en lui disant qu’on va s’en prendre à ses profits.
  • Au niveau des carburants, Ecolo et le MR se rejoignent sur le mécanisme du cliquet inversé. Ce mécanisme qui fait baisser les accises en fonction de l’évolution des prix. Cette proposition est depuis des mois sur la table du gouvernement mais chacun accuse l’autre d’avoir bloqué la mesure.
  • Ce weekend, dans Sudpresse, Georges-Louis Bouchez a demandé à ce que ce mécanisme soit sur la table du gouvernement dès cette semaine: « Le but est de baisser à un prix entre 1,60 euro et 1,70 euro/litre. Ce sont toujours des montants importants, mais qui permettent d’amortir. Il en va du pouvoir d’achat de la classe moyenne. »
  • De son côté, le président du CD&V Joachim Coens a indiqué ce dimanche que le ministre des Finances Vincent Van Peteghem avait déjà soumis la proposition du cliquet ainsi que la baisse de la TVA sur le gaz à 6% à ses partenaires gouvernementaux: « C’est frustrant car les libéraux ont empêché cette mesure, mais maintenant, c’est positif de voir qu’ils veulent nous soutenir. »
  • La Vivaldi reste la Vivaldi: la sérénité n’est jamais vraiment au rendez-vous, même si, au bout du compte, tout le monde finit par être d’accord.
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