Les consultants, une bénédiction ou une malédiction ?

L’économiste italo-américaine Mariana Mazzucato jette un pavé dans la mare. Dans le Financial Times, elle affirme que les consultants alimentent le déclin du système public. Les consultants viennent, facturent de très grosses sommes d’argent et quittent ensuite l’institution sans avoir mis en place un changement durable. A-t-elle raison, et cela s’applique-t-il également aux entreprises privées ?

Dans la tradition de Marx

Toutes les quelques années, un économiste vient tout chambouler. Une tradition qui a commencé avec Karl Marx, qui a établi la norme avec le « Capital », et qui s’est poursuivie jusqu’à Thomas Piketty (« Le Capital au XXIe siècle »), l’un des plus récents.

Mariana Mazzucato fait également partie de cette liste. Elle se situe à gauche du spectre – cela ne fait aucun doute – mais elle est bien documentée et possède un grand charisme, ce qui lui permet d’être prise au sérieux même dans les milieux économiques de droite.

La stagnation de l’innovation

L’argument principal qu’elle avance est que la capacité d’une organisation à résoudre les problèmes disparaît avec l’arrivée des consultants. Elle fait référence à l’ancien pouvoir des gouvernements qui ont toujours lancé des innovations à grande échelle et étaient derrière les plus grandes révolutions.

  • L’internet provient d’un programme gouvernemental.
  • L’exploration spatiale, avec l’alunissage de 1969 comme premier temps fort, a toujours été entre les mains du gouvernement, et non de magnats comme Elon Musk.
  • De même, les grandes percées médicales n’auraient pas eu lieu sans la participation des pouvoirs publics, un rôle qui a aujourd’hui largement disparu.

La capacité d’innovation diminue en raison du recours excessif aux consultants

Les consultants interviennent toujours à un moment où l’entreprise est fragile, comme l’arrivée d’un acteur disruptif ou d’une nouvelle technologie qui bouleverse toute la chaîne de valeur du secteur. Les consultants sont également sollicités dans des situations d’urgence auxquelles le gouvernement ne peut faire face. Pensez à la crise du coronavirus, lorsque Deloitte a facturé au gouvernement britannique la somme exorbitante d’un million de livres sterling par jour pour son travail de recherche.

La faiblesse de l’organisation interne

Les grands changements imminents incitent la direction (de l’entreprise) à acheter des certitudes. Les consultants ne sont guère plus que des vendeurs de certitudes et ils le font très bien. Mais c’est dans cette définition, bien sûr, que réside le gros problème. Le monde est par définition incertain et chaque jour, chaque entreprise ou gouvernement doit relever un défi.

La volonté de changement doit venir de l’intérieur de l’organisation. Vous ne pouvez obtenir un changement durable que si vous disposez de véritables champions qui se dépassent et agissent comme des entrepreneurs internes. Surtout quand il s’agit de l’activité principale de l’entreprise. Les consultants peuvent introduire de nouvelles technologies et de nouvelles pratiques, mais ils ne pourront jamais jouer un rôle de premier plan, au mieux de guide, lorsqu’il s’agit du « cœur de métier » d’une entreprise.

Des aimants pour les meilleurs talents

Il est certain que Mazuccato s’attaque à l’une des plus grandes industries du monde et surtout à l’une des plus lucratives. Si vous êtes partenaire de l’un des Big Four – PWC, Ernst & Young, KPMG et Deloitte – ou si vous travaillez dans l’un des cabinets de conseil spécialisés (Bain, Mc Kinsey, Boston Consulting Group), vous pouvez vraiment gagner beaucoup d’argent. Ces entreprises agissent comme des aimants sur les meilleurs diplômés, attirés par la diversité du travail et le niveau des revenus potentiels. Les nouvelles recrues sont soumises à un régime spartiate au cours des premières années, où elles doivent travailler très dur pour peu d’argent. Le chiffre d’affaires est donc très élevé. Mais ceux qui tiennent font progressivement partie des troupes les mieux payées.

Une gigaentreprise

De nombreux chiffres circulent, mais si l’on considère les cabinets de conseil en gestion spécialisés dans le conseil en RH, en informatique, en stratégie et en finances, le secteur représente encore un chiffre d’affaires d’environ 300 milliards de dollars par an.

Rien qu’en Belgique, Deloitte emploie 5.200 personnes, Ernst and Young en abrite 2.500, KPMG se contente de 1.200 employés, et PWC en emploie 1.750. PWC, par exemple, dépasse déjà largement les 300 millions d’euros de chiffre d’affaires en Belgique et sa société sœur aux Pays-Bas flirte avec le milliard d’euros de chiffre d’affaires.

Prendre ses responsabilités

Les consultants en gestion et les indépendants ont certainement un rôle à jouer dans la supervision des projets, en particulier dans les activités qui ne font pas partie du cœur de métier d’une entreprise. Il est peu judicieux de commencer à internaliser chaque fonction au sein d’une firme.

Mais en réalité, le recours à des consultants est souvent un moyen pour un supérieur hiérarchique ou un PDG de fuir ses responsabilités et les décisions importantes qu’il doit prendre lui-même.

Ironiquement, Mme Mazuccato possède son propre cabinet de conseil, l’UCL, qui propose ses services à des gouvernements. Toutefois, son entreprise n’a pas l’ambition de remporter de « deuxièmes » contrats, selon Mazuccato elle-même. Et c’est ainsi que le monde tourne.


Xavier Verellen est un auteur et un entrepreneur (www.qelviq.com)

MB

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