Un cimentier indien a payé en yuans chinois pour une cargaison de charbon russe. Un tout nouveau phénomène, qui montre une nouvelle réalité économique en train de se dessiner: le yuan gagne en puissance sur la scène internationale, au détriment du dollar.
Un petit paiement pour l’homme, un grand paiement pour le marché monétaire. UltraTech, le numéro 1 du ciment en Inde, a acheté une cargaison de charbon russe, et a payé en yuans, rapporte Reuters, sur base d’une déclaration remise aux autorités douanières.
La facture a été réglée le 5 juin. UltraTech s’est acquitté de 172.652.900 yuans (environ 25 millions d’euros) pour une livraison de 157.000 tonnes de charbon de la part de l’entreprise russe SUEK, via sa succursale à Dubaï. Le navire Mangas, sous pavillon panaméen, est parti du port de Vanino, en Extrême-Orient russe, fin mai, pour arriver le 20 juin à Kandla, dans le nord-est de l’Inde.
« Jamais vu ça de ma carrière »
Cette commande représente un phénomène très nouveau. Ce type d’échanges internationaux se fait habituellement avec des dollars. D’un côté, la Russie a vu son accès au dollar compliqué par les sanctions occidentales, et d’un autre côté la Chine met tout en œuvre pour rendre sa monnaie plus internationale et saper la dominance du roi dollar. Dans cette optique, le pays souhaite créer des réserves communes, avec d’autres pays, en yuans.
Selon des sources proches du dossier, d’autres entreprises auraient également fait des commandes de charbon russe, tout en payant en yuans. « Cette démarche est significative. Je n’ai jamais entendu une entité indienne payer en yuans pour le commerce international au cours des 25 dernières années de ma carrière. Cela revient à contourner l’USD (dollar américain) », explique un trader de devises opérant depuis Singapour à Reuters.
Un représentant du gouvernement indien ajoute que New Delhi est au courant de ces échanges. « L’utilisation du yuan pour régler les paiements d’importations en provenance de pays autres que la Chine était rare jusqu’à présent, et pourrait augmenter en raison des sanctions contre la Russie », explique-t-il.
L’Inde, partenaire stratégique de Moscou, a augmenté ses importations de produits énergétiques russes, depuis le début de la guerre en Ukraine. La plus grande démocratie du monde a aussi voulu instaurer un mécanisme de paiement en roupies pour le commerce avec la Russie, mais le projet n’a pas abouti. Le yuan, déjà utilisé entre la Chine et la Russie depuis des années, semble donc le terrain d’entente. Selon un trader de charbon russe, le yuan est aussi actuellement la monnaie qui est la plus facile à changer contre des roubles.
Inde et Chine?
Pour l’instant, pour avoir des yuans, les sociétés de change indiennes doivent apporter des dollars à des banques chinoises ou hongkongaises. Dans le commerce entre des sociétés chinoises et indiennes, les paiements se font aussi encore majoritairement en dollars. Mais cette situation pourrait changer aussi. « Si la voie roupie-yuan-rouble s’avère favorable, les entreprises ont toutes les raisons et les incitations pour passer le cap. Cela devrait se produire davantage », explique Subash Chandra Garg, ancien secrétaire aux Affaires économiques du ministère indien des Finances.
C’est que le commerce entre les deux pays est aussi en augmentation, malgré des différends (parfois mortels, comme après un échange de tirs entre militaires en 2020), ou des disputes territoriales.
En tout cas, ces paiements pourraient faire des émules sur d’autres marchés, qui pourraient alors aussi passer au yuan pour les paiements internationaux.