Afghanistan : comment le retour en force des talibans rabat les cartes des grandes puissances

Le départ annoncé des forces américaines en Afghanistan symbolise l’échec des États-Unis. Et le début d’une nouvelle manche dans une grande partie de géopolitique dans laquelle le mouvement taliban est certainement le joueur le moins prévisible.

Pourquoi est-ce important ?

Les forces américaines quitteront entièrement l'Afghanistan pour le 31 août prochain. Laissant le pays à la merci des talibans, bien placés pour reprendre le pouvoir. Une situation à laquelle se préparent les pays voisins et les puissances influentes dans la région. Et chaque acteur à ses intérêts, ses craintes, et ses objectifs. Et à ce jeu, la diplomatie vaut autant que tous les arsenaux.

Plus rien ne semble s’opposer à un retour des talibans dans les affaires afghanes, voire à une reprise totale du pays. Les insurgés et leurs alliés islamistes contrôlent la majorité des frontières et resserrent l’étau autour des grandes villes, tandis que l’armée régulière afghane n’arrive pas à les refouler. Il faut dire que le retrait du pays des forces de l’Otan, et en particulier de l’armée américaine, la prive de précieux renforts, en particulier de soutien aérien.

Les talibans ne sont pas encore à Kaboul, et il n’est pas dit qu’ils sauront s’emparer des centres urbains, en tout cas à court terme. Mais il est certain que leur influence ne disparaitra pas du jour au lendemain, 20 ans après l’offensive internationale menée par les États-Unis pour les déloger du pays. Alors que les Afghans fuient en masse les zones de combat, chaque pays de la région et chaque grande puissance se prépare à une probable déstabilisation du pouvoir en place. Et chacun essaie de se retrouver avec les meilleures cartes en main dans cette nouvelle partie de poker.

Russie : le Grand Frère protègera les républiques. L’armée russe ne posera jamais une botte en Afghanistan : l’Union soviétique s’y est risquée, et ce fut son Vietnam. Mais la Fédération de Russie maintient des accords militaires avec les anciennes républiques soviétiques, Kirghizstan, Ouzbékistan et Tadjikistan, qui craignent des infiltrations islamistes. Ces pays sont majoritairement musulmans, et l’Islam reste une des religions les plus pratiquées en Russie même. Le pays a donc décidé de renforcer sa présence au Tadjikistan, qui partage 1.300 km de frontières avec l’Afghanistan. 7.000 soldats russes sont déjà présents avec chars de combat et hélicoptères. Et Sergueï Choïgou, le ministre russe de la Défense a annoncé des livraisons supplémentaires gratuites d’armements et d’équipements russes à l’armée tadjike.

Chine : Non-intervention et bonnes manières. Les photos ont dû faire s’échauffer les esprits dans plus d’un cabinet diplomatique. Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a rencontré officiellement une délégation de talibans le 28 juillet dernier. Le ministre a rappelé que la Chine « Avait toujours respecté la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Afghanistan, et elle adhère à une politique de non-interférence. L’Afghanistan appartient au peuple afghan, et son futur doit se trouver dans les mains de sa population. » Une manière de s’assurer le beau rôle alors que les talibans veulent à nouveau se hisser sur la scène internationale. Et d’éviter une alliance entre ceux-ci et les Ouïghours que Pékin réprime violemment, et qui pourraient être tentés par l’extrémisme islamiste.

Inde : Un plan d’investissement qui s’effondre. La plus grande démocratie du monde avait tout à gagner au redressement de son voisin après que les talibans aient été chassés du pouvoir. L’Inde s’est impliquée massivement dans la reconstruction des infrastructures du pays : plus de 400 chantiers de grande ampleur, dont des routes et des barrages hydro-électriques étaient supervisés par les Indiens. Et pendant la pandémie, c’est via les ports indiens que l’Afghanistan a pu importer des milliers de tonnes de nourriture pour éviter la famine. Le retour en force des talibans risque fort de jeter au sol tous ces couteux efforts. À tel point que dans le sous-continent, on s’interroge sur des rumeurs de prise de contact avec les mollahs en turban. Des discussions qui ne se font pas au grand jour, tant elles vont à l’encontre des valeurs démocratiques et des convictions religieuses des Indiens. Mais certains y voient une manière de limiter la casse. Voire de prendre l’initiative sur le Pakistan, le grand allié officieux des talibans, qui est aussi le grand rival de l’Inde depuis l’indépendance des deux pays.

Iran : jour de liesse mais lendemains qui déchantent. La République islamique chiite partage 900 km de frontières avec l’Afghanistan, et accueille déjà sur son sol près d’un million de réfugiés, en plus des quelques 2,6 millions de détenteurs de passeports ou de sans-papiers afghans qui vivent dans le pays. Si l’Iran ne voit pas d’un mauvais œil le retrait américain, il a décidé de mobiliser son armée pour parer à toute éventualité. Les mouvements de troupes se multiplient du côté iranien de la frontière. Pour une mission défensive qui, dans l’absolu, n’exclut pas une intervention musclée. L’Iran se trouve en fait dans une drôle de situation, dont toutes les évolutions potentielles portent leur lot d’avantage et d’inconvénient. Si le retrait américain ressemble à une victoire, vu depuis Téhéran, il risque de provoquer une déstabilisation fort dangereuse pour le pays. À tel point que les Iraniens pourraient appeler les talibans à la retenue. « Notre pays devra faire face à des conséquences fâcheuses une fois que des mouvements extrémistes et violents comme les talibans seront au pouvoir, allant d’un afflux de réfugiés à la montée en puissance de dangereux mouvements sectaires résume le quotidien réformateur Etemad, repris par le quotidien libanais L’Orient-Le jour.

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