Des prix du gaz, de l’électricité, du pétrole, du charbon et du CO2 qui s’envolent, des risques de blackout, des pénuries en Chine et du renouvelable aux capacités alternées. La prochaine crise sera énergétique et endommagera la reprise post-covid. Rien de très réjouissant. Javier Blas, journaliste de Bloomberg spécialisé en énergie, tire la sonette d’alarme : « Je n’ai jamais vu une grande économie comme l’Europe (Royaume-Uni + UE) sombrer dans une crise énergétique, sans qu’aucun politicien ne semble s’en soucier. Incroyable. Du jamais vu. »
Gaz
Une offre insuffisante pour combler la demande. La reprise post-covid s’accompagne d’une immense soif énergétique. Les pays producteurs comme la Russie et la Norvège ne suivent pas. La Norvège a récemment annoncé qu’elle allait augmenter sa production mais la Russie patiente. Une hausse des prix n’est pas vraiment pour la déranger. En tout cas dans une certaine limite. Car certains clients pourraient tout simplement s’en remettre à d’autres sources d’énergie et c’est ce qu’ils font déjà (nous le verrons plus loin).
Très concrètement, les cours du gaz ont bondi de 60% sur le dernier mois. Le Dutch TTF à Rotterdam a dépassé hier soir la barre symbolique des 85 euros le kWh. Depuis le creux de mai 2020, il est vrai, exceptionnellement bas, c’est une augmentation de plus e 1.000% au niveau des tarifs européens. Et selon les experts, ça ne devrait pas se calmer avant la fin de l’hiver. Comment l’expliqué? La loi de l’offre et la demande, bien sûr, des stocks européens peu remplis, la hausse de la tonne de CO2 ou encore la spéculation, en plus d’une multitude de facteurs locaux (météo, etc).
À plus long terme, « le temps du gaz naturel bon marché est révolu« , écrivait récemment McKinsey. En fait, un tas de pays misent sur le gaz naturel pour atteindre leurs objectifs climatiques intermédiaires. Car le gaz est tout simplement moins émetteur de gaz à effet de serre que le pétrole ou le charbon. C’est le combustible fossile le plus « propre ». D’ici 2024, la demande devrait monter de 7% selon l’Agence internationale de l’Énergie. De 3,4% par an jusqu’en 2035, prévoit McKinsey. Le problème est que le gaz souffre d’un sous investissement. Car après 2030, il ne sera plus du tout considéré comme la solution pour atteindre la neutralité carbone vers 2050. Le renouvelable devra pleinement prendre le relai. Conséquence : l’explosion de la demande fera s’envoler les prix.
Pétrole
Ce mardi, les marchés pétroliers ont grimpé pour la 6e journée consécutive. Le pétrole brut de Brent a franchi là aussi la barre des 80 dollars, le plus haut niveau depuis 2018. Vous l’aurez sans doute aussi remarqué très concrètement à la pompe – même si ce prix dépend de beaucoup d’autres facteurs, taxes et accises – le diésel n’a jamais été aussi cher en Belgique à 1,652 euro le litre.
Tout est imbriqué. La pénurie de gaz pousse les pays consommateurs à se diriger vers le pétrole. La spéculation va également bon train suite au rationnement en électricité de certaines industries chinoises. Pour Goldman Sachs, ces pénuries pourraient engendrer un choc de croissance en Chine. Et quand la croissance chinoise souffre, c’est la croissance mondiale qui en pâtit.
L’augmentation des cours de pétrole a également ses causes propres, mais elles ne sont pas étrangères à celles connues par le gaz. La production des pays de l’OPEP+ ne suit pas la reprise, certains pays comme le Nigéria ou l’Angola ne parvenant pas à respecter leurs quotas. Et ça pourrait durer jusqu’à l’année prochaine suite à des problèmes de sous-investissement et de maintenance, avancent les experts. Alors que durant la pandémie, les producteurs ne savaient pas quoi faire de leurs barils, allant jusqu’à les stocker en mer, les stocks sont maintenant à « un niveau le plus bas depuis des décennies », estime Barclays.
Charbon
Comme pour le pétrole, les pénuries en gaz poussent certains États à se diriger vers le charbon. Une petite catastrophe en vue des objectifs climatique à moyen terme. Et ce changement de cap n’est pas forcément le fruit de pays en développement ou en voie de développement. Le Royaume-Uni a dû se tourner vers le charbon ces dernières semaines. C’est aussi la cause d’une panne de vent (nous y reviendrons dans le point suivant).
Pour ne rien arranger, il y a des pénuries de charbon en Chine. Ce qui provoque les pénuries d’électricité évoquées plus haut. Là encore, l’offre ne rencontre pas la demande. La Chine ne peut plus compter sur le charbon australien suite à la crise diplomatique entre les deux pays. Les engagements climatiques limitent aussi les capacités d’approvisionnement de la Chine. Le même refrain: peu d’investissements alors que les besoins en électricité, et donc en charbon, ne baissent pas.
Le charbon reste très populaire à l’échelle mondiale. Sur les marchés, le charbon australien a par exemple connu une hausse de 200% en un an.
Renouvelable
Dans un rapport qui date de l’année dernière, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) voyait l’énergie solaire triompher pour remplacer à terme les énergies fossiles. Il est vrai que l’énergie solaire coûte de moins en moins cher. Au cours de la dernière décennie, « le prix de l’électricité produite à partir de l’énergie solaire a été divisé par cinq à huit », estimait Ramez Naam, un des grands leaders d’opinion dans le monde de l’énergie, en 2020. De quoi lui faire dire que « l’énergie solaire changera le monde ».
Au rang des bonnes nouvelles, aux États-Unis, la production d’énergies renouvelables (21%) a pour la première fois passé la production nucléaire (21%) et de charbon (19%). Mais le gaz reste toutefois loin devant avec ses 40%. Au niveau de l’Europe, le solaire n’a jamais produit autant d’électricité cet été, ce qui ne représentait toutefois qu’un dixième de la production de l’UE. En Allemagne, près de la moitié de l’électricité provenait du renouvelable (46%) en 2020. Mais le pays reste un des plus émetteurs par habitant sur le continent suite à sa consommation de charbon, conséquence de l’abandon du nucléaire.
C’est le problème avec le renouvelable. Il y a toujours un « mais » quelque part. Il y a 10 jours, le Royaume-Uni a subi de plein fouet la capacité alternée des éoliennes sur lesquelles l’île compte beaucoup. Pas de vent, pas d’électricité. Avec le jeu de domino énergétique habituel, qui l’a poussé à se reposer sur le gaz, puis sur le charbon.
Par rapport au solaire, les panneaux dépendent encore largement du charbon chinois. La pénurie de charbon a entrainé une hausse du silicium (+150% ce mois-ci), un métal indispensable à la production de panneaux solaires. Le serpent se mord la queue.
Un récent rapport indiquait mi-juillet que la demande d’électricité augmentait plus rapidement les capacités du renouvelable. Avec pour conséquence « des émissions de CO2 record dans le secteur de l’électricité en 2022 ». C’est une sacrée équation: le renouvelable ne comble pas le sous-investissement dans les énergies fossiles. Conséquence: quand le renouvelable n’est pas là, on se dirige vers le fossile. On doit alors s’attendre à une hausse des prix car la production est limitée.
Électricité
Pas besoin de vous faire un dessin. Toutes ces perturbations sur le marché de l’énergie ont un impact sur l’électricité, à commencer par le gaz. Cela touche en premier lieu les entreprises et au bout de la chaîne votre portefeuille.
Selon le régulateur énergétique (CREG), un ménage va dépenser environ 1.000 euros par an pour son électricité. Et ce n’est pas fini: l’augmentation pourrait aller crescendo, estime l’économiste Bruno Colmant, « la facture par ménage pourrait augmenter de 100 euros par mois ».
Pour faire face à cette hausse, l’UE a récemment préconisé à ses États membres de diminuer la TVA et les droits d’accises qui constituent la majeure partie de la facture d’électricité. Mais ce manque à gagner ne plaira sans doute pas aux budgets de ces pays qui ont déjà bien souffert l’année dernière.
Belgique
Au niveau belge, la ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten a rappelé ce matin sur les antennes de LN24 et la Première qu’un ménage sur cinq rencontrait des problèmes à payer sa facture de gaz ou d’électricité. Elle plaide donc, avec les socialistes, pour la reconduction du « tarif social » à destination des revenus les plus faibles. « La réponse à long terme la plus structurelle, c’est d’investir dans les énergies renouvelables dont les prix ne font que baisser et aussi dans l’efficacité énergétique », a-t-elle expliqué.
Mais la marge de manoeuvre du fédéral est assez limitée, la taxe ne représentant que 5% du montant total. C’est donc aux Régions d’agir, sous-entend-elle. À ce jour un million de personnes bénéficient du tarif social. Ce qui engendre un coût supplémentaire de 176 millions d’euros.
Les libéraux ne veulent plus étendre le tarif social qui pousserait à la consommation selon le président du MR, Georges-Louis Bouchez. L’Etat devrait plutôt mettre ses deniers pour limiter la consommation en favorisant par exemple l’isolation des bâtiments, plaide-t-il.
La Belgique fait également face au même dilemme que l’Allemagne. En mettant fin à ses réacteurs nucléaires en 2025, elle va, en tout cas temporairement, augmenter ses émissions de gaz à effet de serre, car la Belgique comptera, entre autres, sur de nouvelles centrales à gaz pour combler le manque. Il faut donc comprendre que la Belgique perdra sa couleur « verte » sur la carte ci-dessus, en mettant en péril ses objectifs de 2030. Et puis, il y a la facture d’électricité: l’augmentation du tarif du gaz à l’échelle mondiale est un sujet très chaud dans la politique intérieure du pays. Un débat qui oppose encore une fois les Verts et les libéraux.