Installés en Chine depuis un an et demi, Lee et Oli Barrett, un père et son fils britanniques, publient des vidéos sur YouTube afin de raconter leur nouvelle vie. Le portrait qu’ils en dressent est réjouissant. Après avoir mené son enquête, le journal The Times indique que les deux YouTubeurs bénéficient du large soutien financier des autorités chinoises.
De YouTubeur gaming, Oli Barrett (23 ans) est passé à YouTubeur propagandiste. C’est en tout cas ce qu’affirme le journal britannique The Times dans une enquête publiée ce week-end.
S’étant d’abord constitué une communauté en proposant des vidéos du jeu Call of Duty, le jeune YouTubeur britannique est ensuite parti vivre en Chine. C’était au printemps 2019. Son père, Lee, l’y a suivi. Depuis, les deux hommes ont ouvert une chaîne commune – qui porte le nom de leur patronyme – sur laquelle ils publient des vidéos de leur vie dans l’Empire du Milieu.
Belle vie et idéologie
Découverte de la culture, des habitants, du mode de vie, de l’architecture et des paysages chinois: tout porte à croire qu’il fait bon vivre en Chine. Et si c’est vraiment le cas pour eux, c’est leur droit de le faire partager au monde.
Mais les Barrett ne se contentent pas de partager les plus belles images de leur vie chinoise. Régulièrement, ils publient également des vidéos touchant à des sujets bien plus sensibles, qui valent à la Chine de nombreuses critiques en Occident.
Ils s’en prennent notamment aux médias occidentaux avec des titres de vidéo qui vont droit au but: ‘Le lavage de cerveau des médias occidentaux’ ou ‘Les mensonges des médias occidentaux à propos de la Chine’.
Dans une vidéo, Lee Barrett, le père, traite des camps d’internement du Xianjing, tristement célèbres pour détenir des centaines de milliers de membres de la minorité musulmane Ouïghour, qui seraient contraints au travail forcé. De nombreux médias et ONG étrangers ont déjà fait état des conditions déplorables dans lesquelles ces personnes devaient travailler, certains assimilant ces pratiques à de l’esclavagisme, voire à des camps de concentration. D’après le vidéaste britannique, c’est très peu de bruit pour, au final, pas grand-chose.
Oli Barrett, le fils, s’est quant à lui emparé du sujet des manifestations qui ont secoué Hong Kong en 2019. Il nie le caractère ‘pro-démocratique’ du mouvement et insiste sur la violence des manifestants. À contrario, il minimise la violence de la répression qui a suivi. Amnesty International a pourtant déclaré en septembre qu’elle avait des preuves que des manifestants détenus à Hong Kong avaient subi des ‘mauvais traitements équivalant à de la torture’.
Un autre sujet de prédilection des Barrett est le coronavirus. S’ils ont rapidement saisi l’ampleur du problème, ils ont également tout de suite loué les mesures draconiennes prises par les autorités chinoises pour venir à bout cette crise sanitaire.
Enfin, notons que le père et le fils ont publié un grand nombre de vidéos sur le géant des télécoms Huawei, qu’ils ont défendu bec et ongles face aux sanctions américaines.
Financés par les autorités chinoises
Le discours des Barrett ressemblant trait pour trait à celui du Parti communiste, des soupçons sur leur financement et leur honnêteté sont rapidement survenus. Mais jusqu’ici, rien n’avait jamais été prouvé. Le Times révèle aujourd’hui que plusieurs de leurs vidéos – essentiellement celles destinées à démonter le discours occidental – ont été financées par China Radio International, une organisation médiatique appartenant à l’Etat chinois.
Et les affaires roulent pour les deux Youtubeurs. Avec près de 200.000 abonnés et 20 millions de vues depuis la création de leur chaîne, ils auraient perçu l’an dernier, d’après SocialBlade, environ 53.000 livres sterling (58.000 euros).
Le succès de la chaîne des Barrett serait propulsé par une ‘armée Internet pro-chinoise’ composée de robots permettant à leurs vidéos d’être vues par un nombre grandissant d’internautes.
Suite aux révélations du Times, Grammarly, une application d’aide à l’écriture, a décidé de supprimer ses publicités des vidéos de la chaîne. Le géant de la distribution de vêtements JD Sports a lui aussi réagi, indiquant qu’il allait mener sa propre enquête. ‘Nous ne nous associerons jamais à des vidéos ou des sites qui font de la propagande ou diffusent des informations erronées’, a fait savoir l’entreprise britannique.
Une stratégie bien connue
Comme bon nombre de réseaux sociaux américains, YouTube est banni de l’Internet chinois. Mais ce n’est certainement pas un problème, puisque les autorités chinoises se servent des Barrett pour toucher le public étranger. Il suffit aux vidéastes d’utiliser un VPN pour contourner cette interdiction.
‘Cette stratégie consistant à utiliser les Occidentaux pour projeter une image positive du PCC est utilisée par les autorités chinoises depuis un certain temps’, a avancé la spécialiste de la désinformation numérique chinoise Hannah Bailey (Université d’Oxford). ‘Si le public national pense que le reste du monde admire la Chine, cela lui donne confiance dans le régime du PCC’.
Sous les vidéos des Barrett, on ne retrouve que des commentaires élogieux envers le régime communiste. Et leurs auteurs semblent provenir des quatre coins de la planète.
Le père et le fils britanniques ne sont d’ailleurs pas les seuls YouTubeurs occidentaux à être soutenus par le régime communiste pour améliorer l’image de la Chine dans le monde. Et l’appui du PCC ne provient pas que de Pékin. Des diplomates chinois installés à l’étranger partagent allègrement ces vidéos sur les réseaux sociaux occidentaux, participant eux aussi à leur popularité.