De l’Europe vers l’Afrique : le remplacement de nos voitures thermiques ne fait que déplacer le problème

L’UE veut couper net dans ses émissions en renouvelant son parc automobile, mais ce n’est pas pour autant que les voitures qui ne peuvent plus rouler chez nous ne circulent pas ailleurs. L’Afrique, en particulier, accueille un immense marché de l’occasion. Nos voitures les plus polluantes continuent à émettre, loin des regards et sans véritable contrôle.

Pourquoi est-ce important ?

Le marché des véhicules d'occasion est transnational : de nombreuses voitures sont revendues à l'étranger après leur prime jeunesse, ce qui maintient en circulation des engins qui, dans leur pays d'origine, ne seraient plus forcément autorisés à rouler librement. Or, les émissions de gaz à effet de serre sont nocives pour le climat, qu'elles proviennent du trafic automobile de Paris, Bruxelles, ou Cotonou.

Déclassées en Europe, revendues en Afrique

Selon l’étude Used vehicles and the environment réalisée par les Nations Unies, et qui a étudié le marché de l’occasion de 2015 à 2021, celui-ci ne fait que croître à l’échelle internationale. En 2019, 4,9 millions de véhicules utilitaires légers d’occasion ont été exportés dans le monde, contre « seulement » 3,4 millions en 2015. Ce chiffre est estimé à la baisse pour 2020 avec 4 millions, suite au ralentissement des flux commerciaux dû à la pandémie.

  • Les quatre pôles majeurs d’exportation de véhicules d’occasion sont, sans surprises, ceux où l’on peut acheter le plus de véhicules neufs : les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud, et l’Union européenne. Sur les 23 millions de véhicules d’occasion exportés entre 2015 et 2020, 49% provenaient de l’UE.
  • Si une partie de ces véhicules atterrit dans des pays voisins, 66% du marché se dirige vers des pays en développement ou considérés comme en transition. C’est principalement l’Afrique qui est friande de voitures d’occasion, en particulier les pays de l’Ouest du continent comme le Nigeria, le Bénin, ou le Ghana.

Les conséquences : les voitures dont les Européens ne veulent plus pour des raisons environnementales – les engins au diesel, les voitures les plus anciennes ou qui émettent des taux de particules supérieurs aux normes – ne quittent pas forcément la circulation. Elles roulent tout simplement ailleurs, pour ne pas dire loin de notre regard.

Marché noir de pots catalytiques

  • Or, les pays de destination de ces voitures d’occasion sont aussi parmi les plus vulnérables au changement climatique, ainsi que ceux où la qualité de l’air respiré est réputée plutôt mauvaise dans les agglomérations.
  • Le problème est d’ailleurs connu et suscite déjà des mesures : en 2020, le Bénin et 14 autres membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ont mis sur pied un ensemble de réglementations relatives aux émissions ainsi qu’une limite d’âge de 10 ans pour les véhicules d’occasion.
  • Mais il est difficile de savoir dans quelle mesure ces réglementations sont appliquées de manière stricte ; une application qui peut d’ailleurs varier d’un pays à l’autre. Les Nations unies s’alarment de voir des moyennes d’âge de 14, 16, voire 20 ans pour les véhicules en circulation dans certains pays d’Afrique.
  • En outre, une partie des véhicules n’est exportée que pour être désossée – une activité qui peut aussi s’avérer très polluante quand elle n’est pas régulée. Pire encore, certaines parties précieuses des voitures, comme les pots catalytiques, sont parfois démontées pour être revendues en contrebande, car ils contiennent des métaux précieux, comme le platine. Mais le véhicule, encore plus polluant, se retrouve quand même sur le marché, selon une enquête de CNN.

« Ce que nous voyons actuellement, c’est une grande variété de véhicules d’occasion exportés du Nord vers le Sud. Non seulement le nombre augmente, mais la qualité diminue. […] Aujourd’hui, avec le changement climatique, l’endroit où les émissions sont produites n’a pas vraiment d’importance, que ce soit à Washington ou à Lagos, cela ne fait aucune différence.

Rob de Jong, fonctionnaire du Programme des Nations unies pour l’environnement, interrogé par CNN.
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