Un nouveau régime de droits d’auteur limité aux « vrais artistes » : qu’est-ce que ça veut dire ?

Le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (cd&v) veut réformer le régime des droits d’auteur en le limitant aux seuls « vrais » artistes, car il trouve le système actuel « abusif ». Dans les faits, qu’est-ce que cela signifie ?

Pourquoi est-ce important ?

De plus en plus de créatifs de toutes sortes de professions ont recours à un régime fiscal dans lequel ils sont payés en partie en droits d'auteur. Il s'agit notamment de rédacteurs, de photographes, d'architectes, de personnes travaillant dans le secteur artistique et bien d'autres encore. Or seul un impôt à la source de 15 % est payé sur les revenus des droits d'auteur. Pour les revenus de la tranche la plus basse, une autre moitié des coûts forfaitaires peut être déduite.

L’essentiel : au début du mois d’octobre, le gouvernement fédéral a décidé de rendre ce régime beaucoup plus strict. M. Van Peteghem souhaite que seuls les « vrais » artistes puissent encore l’utiliser. Cela se reflète également dans l’avant-projet du gouvernement.

  • Ce système va donc disparaître pour de nombreuses professions. Il s’agit notamment des spécialistes du marketing, des architectes, des avocats, des professionnels de l’informatique et des concepteurs UX. Ils bénéficieront d’une période de transition d’un an pour passer à un régime normal.
  • Les entreprises qui utilisent actuellement des droits d’auteur pourront encore le faire à 50 % pendant la période de transition. En 2022, les revenus jusqu’à 64.070 euros pourront être déduits au titre des droits d’auteur.
  • Les artistes, les journalistes, les auteurs et les développeurs de jeux pourront toujours utiliser le régime du droit d’auteur. Toutefois, pour ce dernier groupe, la question de savoir s’ils répondent aux nouvelles exigences sera évaluée au cas par cas.
  • Mais même pour ceux qui ont encore droit au régime, celui-ci deviendra de toute façon moins avantageux. Actuellement, il est possible de verser 50 % des salaires sous forme de redevances. En vertu du nouveau projet de loi, ce pourcentage ne sera bientôt plus que de 30 %.
  • Un autre changement important est que les autorités fiscales examineront désormais à plus long terme les revenus des artistes et professions assimilées. S’ils gagnent plus de 64.070 euros par an pendant une période de quatre ans, ils ne pourront plus bénéficier de ce régime.

À noter : Le gouvernement veut économiser 112,5 millions d’euros au cours des prochaines années en appliquant cette mesure. En 2023, il espère récolter 37,5 millions, et 75 millions l’année suivante.

  • Toutefois, ce n’est pas la seule raison. Le nombre de personnes utilisant le régime a fortement augmenté ces dernières années ; selon plusieurs institutions financières, le système est devenu tellement hors de contrôle qu’une intervention est nécessaire.
  • Mais cette mesure ne fait pas l’unanimité. Matthias Vandamme, du cabinet d’avocats Sirius Legal, a déjà écrit un article le 18 octobre expliquant pourquoi il est en désaccord avec la proposition.
  • La suppression de ce régime serait pernicieuse pour l’économie belge et entraînerait un désavantage concurrentiel, car d’autres pays disposent encore de tels avantages fiscaux. En outre, il serait difficile de déterminer ce qui est ou n’est pas de l’art. Enfin, M. Vandamme affirme que les recettes pour le gouvernement seront négligeables, alors que l’impact sur de nombreux secteurs sera important.
  • Le régime suscite également des sentiments mitigés dans le secteur des technologies informatiques. Si certaines entreprises admettent que la mesure a fait l’objet d’abus, pour verser, par exemple, des redevances à des informaticiens qui n’ont aucun travail créatif à produire, d’autres sont furieuses que tout le secteur soit exclu d’un seul coup.
  • Cette réforme risque aussi d’appauvrir les journalistes indépendant, alarme l’AJP dans un communiqué, alors que 60% d’entre eux gagnent moins de 2.000€ bruts par mois. « […] Les journalistes freelances peuvent en effet facturer jusqu’à 50% du prix global la cession de leurs droits sur leurs productions journalistiques. Si la réforme envisagée devait passer comme telle, cela signifierait une perte nette importante pour ces travailleurs du secteur média, en raison de l’accroissement de la pression fiscale » signale l’association des journalistes dans un communiqué. Le nouveau ratio de 30% des rémunérations en cession de droits d’auteur représenteraient ainsi une perte sèche pour un secteur parfois à la limite du travail précaire, une fois remplie la déclaration d’impôts.
  • Des craintes qui d’ailleurs s’étendent à d’autres branches du secteur de la production culturelle : « Le texte qui nous est présenté aujourd’hui conduit à une réforme complète qui sera totalement inapplicable dans la pratique et qui méconnaît le travail des auteurs et des artistes. Pire encore, les projets de textes ignorent certains principes fondamentaux du droit d’auteur », alarme ainsi la Maison européenne des Auteurs et des Autrices dans un communiqué. « Ainsi, l’objectif initial de lutte contre les abus – sur lequel tout le monde s’accorde – se transforme en textes qui bouleversent complètement le traitement fiscal du droit d’auteur pour les auteurs et les artistes. Non seulement la sécurité juridique disparaîtra de ce fait, mais les auteurs et les artistes de bonne foi seront une fois de plus privés de leurs revenus, dont ils ont tant besoin. »

Vendredi, le gouvernement poursuivra quand même le débat sur le projet de loi-programme. Tout semble actuellement indiquer que la proposition ne sera pas modifiée d’ici là, même si cela reste possible en théorie.

MB

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