Dans l’espoir d’obtenir rapidement davantage de systèmes d’armes occidentaux, l’Ukraine les a pour la plupart payés à l’avance. Aujourd’hui, le pays est plus pauvre de plusieurs centaines de millions d’euros et plus riche de bien moins d’armes qu’espéré. Une grande partie du matériel n’est pas encore arrivée, alors que certaines armes sont tellement usées qu’elles ne peuvent servir que de pièces de rechange.
L’Ukraine a versé des centaines de millions d’euros pour des armes dont elle n’a pas vu la couleur

Pourquoi est-ce important ?
L'armée ukrainienne compte de plus en plus sur le soutien de l'Occident face à la Russie. Au début de la guerre, elle disposait elle-même de systèmes d'armes soviétiques obsolètes, complétés par ses propres développements. Le début chaotique de l'invasion, surtout du côté russe, a permis à l'Ukraine de confisquer et d'utiliser de nombreux chars et véhicules abandonnés. Plus tard, des livraisons d'armes occidentales sont venues s'y ajouter.Dans l’actualité : Il y a une grande différence entre le nombre de systèmes d’armes promis par l’Occident et ce qui a déjà été livré.
- Au total, les pays occidentaux ont promis quelque 7.000 pièces d’artillerie et véhicules blindés et près de 800 chars, auxquels s’ajoutent plus de 500 systèmes de défense aérienne, hélicoptères, avions et véhicules du génie, entre autres. Bien qu’une grande partie de ces équipements ait été donnée, l’Ukraine en a également acheté une partie sur fonds propres. Or, ces achats ne se déroulent pas sans heurts.
- Sur l’ensemble des systèmes d’armes promis, seule une fraction est déjà arrivée en Ukraine. Par exemple, l’armée ukrainienne dispose aujourd’hui de quelque 1.700 pièces d’artillerie et véhicules blindés, soit seulement un quart de ce qui avait été annoncé. Plus de 400 des chars promis sont déjà arrivés, et la moitié des systèmes de défense aérienne sont déjà déployés.
- En outre, des documents ukrainiens datant de la fin de l’année dernière révèlent que des commandes d’une valeur de 800 millions de dollars n’ont pas encore été exécutées ou ne l’ont été que partiellement. Deux Ukrainiens travaillant sur ces dossiers ont déclaré au New York Times que certaines armes avaient été livrées par la suite. D’autres contrats ont été annulés, après quoi l’Ukraine a récupéré son argent. Mais aujourd’hui encore, des contrats d’une valeur de plusieurs centaines de millions de dollars restent simplement en suspens.
De plus, le matériel livré est parfois de très mauvaise qualité, voire inutilisable.
- Une grande partie du matériel fourni provient des stocks militaires des pays occidentaux ; des systèmes qui ne sont donc plus vraiment en service dans les forces armées. Cela signifie que de nombreux véhicules sont en plus mauvais état qu’on ne le pense. Ainsi, 30 % de l’ensemble du matériel fourni serait actuellement en cours de maintenance, un chiffre particulièrement élevé, selon les experts. Ben Barry, expert à l’International Institute for War Studies de Londres, ne mâche pas ses mots : « Si j’étais à la tête d’une armée fournissant des armes à l’Ukraine, je serais professionnellement embarrassé si je livrais du matériel en mauvais état ».
Un exemple : 33 obusiers italiens sont arrivés en particulièrement mauvais état.
- Le moteur de l’un d’entre eux dégageait de la fumée noire, celui d’un autre présentait des fuites de liquide de refroidissement. Selon l’armée italienne, ces véhicules avaient été retirés du service il y a plusieurs années, mais l’Ukraine a tout de même demandé à les recevoir. « Ils doivent être réparés et remis en service, compte tenu de l’urgence de disposer de ressources supplémentaires pour lutter contre l’agression russe », peut-on lire dans un communiqué.
- Selon des documents du gouvernement ukrainien, les obusiers ont ensuite été expédiés aux États-Unis, où ils ont été réparés par une entreprise de défense. 13 obusiers ont déjà été livrés, mais ne pourront pas être déployés. Le contrat a rapporté 19,8 millions de dollars à l’entreprise, une somme que l’Ukraine souhaite plus que probablement récupérer.
- L’entreprise elle-même nie avoir livré des véhicules en mauvais état, rejetant la faute sur l’Ukraine. La fuite de refroidissement serait « apparue comme par magie », ricane le PDG d’Ultra Defense Corporation. L’inspecteur général du Pentagone va maintenant enquêter plus avant.
Sous-entendu : le problème ne concerne pas seulement les entreprises occidentales.
- Le ministère ukrainien de la Défense éprouve de nombreuses frustrations à l’égard de ses propres entreprises, dont beaucoup appartiennent même à l’État ukrainien. Par exemple, un audit gouvernemental de l’année dernière, sur lequel le NYT a mis la main, indique que le ministère a poursuivi deux entreprises en justice parce qu’elles n’avaient pas rempli leur part des contrats.
- Le ministère doit également s’appuyer sur des rapports qui ne s’avèrent pas toujours corrects. Une unité de l’armée américaine stationnée au Koweït a reçu l’ordre de transférer 29 jeeps Humvee en Ukraine. Les commandants de l’unité avaient indiqué que les véhicules, à l’exception d’un seul, étaient parfaitement adaptés aux missions. Toutefois, selon un rapport du Pentagone, 26 des véhicules se sont avérés inaptes après que la commande a été passée. Fin août, les véhicules ont été réparés par certaines entreprises puis livrés. Lorsqu’ils sont arrivés en Pologne, prêts à être embarqués dans un train à destination de l’Ukraine, les pneus de 25 d’entre eux étaient complètement usés. Six obusiers M777 de cette unité semblent également loin d’être prêts à être livrés à l’Ukraine, n’ayant pas été révisés depuis 19 mois. Après avoir été réparés et livrés à la Pologne, il s’est avéré que l’ensemble des pièces n’était toujours pas prêt à fonctionner.
MB