Les lobbys des armes se frottent les mains face aux livraisons européennes de chars et munitions à l’Ukraine

Les producteurs d’armes de chaque côté de l’océan Atlantique cherchent à rencontrer les principaux commissaires et législateurs de l’Union européenne, tandis que les groupes de lobbying embauchent des spécialistes militaires pour leurs bureaux à Bruxelles.

Zoom-arrière : La guerre en Ukraine et les livraisons massives d’armes de la part des pays de l’Union européenne sont du pain béni pour les lobbys et fabricants d’armements.

  • « En 20 ans de carrière dans les affaires publiques, je n’ai jamais vu autant d’évolution dans un domaine politique que dans celui de la défense au cours des cinq dernières années », a déclaré à Politico Benoît Chaucheprat, cofondateur de C&V Consulting, un cabinet de conseil spécialisé dans la politique de défense.
  • Avec une hausse de 93% sur un an, les importations d’armes en Europe ont pratiquement doublé en 2022, selon un rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.
  • L’Ukraine est devenue la troisième destination mondiale de ces livraisons massives.
    • À lui seul, le pays a concentré 31% des importations d’armement en Europe et 8% des échanges mondiaux.
  • Et cela devrait aller en s’accélérant :

« L’invasion a vraiment provoqué une envolée significative de la demande d’armes en Europe, qui n’a pas encore montré sa pleine puissance et va selon toute vraisemblance mener à de nouvelles hausses d’importations. »

Pieter Wezeman, coauteur du rapport
  • En témoigne l’implication d’autant plus forte de l’UE dans les achats de munition : Bruxelles propose actuellement 500 millions d’euros supplémentaires pour financer des armes pour l’Ukraine, ce qui doublerait le financement européen en le portant à 1 milliard d’euros.
  • « L’UE devient en quelque sorte un acteur. Toutes les entreprises de défense à Bruxelles sont plus engagées avec l’UE qu’elles ne l’ont jamais été », affirme Camille Grand, membre du Conseil européen des relations étrangères, et qui a été le plus haut responsable de l’OTAN pour les investissements dans le domaine de la défense jusqu’en 2022.

Quelques exemples de ce tournant que prend désormais le lobbying à Bruxelles :

  • Boeing a recruté en décembre dernier Liam Benham pour le nommer responsable du lobbying auprès de l’UE et de l’OTAN. Il officiait auparavant comme vice-président des affaires gouvernementales et réglementaires chez IBM Europe.
    • Dans le même temps, Kristen Richmond a été nommée directrice générale de la politique européenne et directrice adjointe du bureau de Boeing à Bruxelles en août 2022.
  • L’année dernière, Rud Pedersen Public Affairs, une entreprise de conseil nordique, a engagé d’anciens responsables des achats de l’armée belge et allemande pour travailler en tant que conseillers principaux à Bruxelles.
  • APCO Worldwide, un cabinet de conseil mondial en affaires publiques et en communication stratégique, a émis un appel aux candidats ayant des connexions avec l’Union européenne et l’Otan.
  • Le géant suédois de l’aérospatiale et de la défense Saab a rencontré le responsable du marché intérieur de l’UE, Thierry Breton pour parler de défense, ainsi que la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, pour évoquer les marchés publics de défense.
  • Timo Pesonen, qui est à la tête de la division de l’industrie de la défense et de l’espace de la Commission, a assisté à plusieurs réunions avec des entreprises comme Airbus, GE et Nexter.
    • Lors d’une réunion avec le fabricant d’armes allemand Krauss-Maffei Wegmann, le débat a porté spécifiquement sur le « concept d’une armurerie européenne », selon Politico.
  • Le Parlement européen est également la cible des lobbyistes, les compagnies d’armement cherchant à exercer leur influence sur les initiatives à long terme visant à encourager la production de matériel de défense.

Le déclencheur : Jean-Claude Juncker

Sous le radar : Si la guerre en Ukraine a accéléré ces importations et ce changement de mentalité en Europe vis-a-vis des armes, elle n’a pas été l’élément déclencheur.

  • C’est la politique de Jean-Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne, qui est venue changer la donne.
  • Auparavant, Bruxelles n’avait jamais été un centre important pour le lobbying en matière de défense. La loi interdisait même à l’UE d’utiliser son budget pour financer des activités militaires.
    • Le Traité sur l’Union européenne (article 41) stipulait que la politique de l’UE en matière de défense et de sécurité commune doit respecter les obligations découlant du Traité de l’Atlantique Nord, et que le budget de l’UE ne peut être utilisé pour des dépenses liées à des opérations ayant des objectifs militaires.
  • Mais en 2016, la Commission européenne a proposé un Fonds européen de défense visant notamment à « soutenir les dépenses plus efficaces des États membres en matière de capacités de défense communes, à renforcer la sécurité des citoyens européens et à favoriser une base industrielle compétitive et innovante ».
  • Un fonds qui dispose aujourd’hui d’un budget de près 8 milliards d’euros pour la période 2021-2027.
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