Quatre grands experts démissionnent suite au départ de De Bleeker, en signe de protestation : ils pointent du doigt le cabinet du Premier ministre

C’est le grand vide au cabinet du Budget, désormais chapeauté par Alexia Bertrand (Open Vld). Dans le sillage de la démission d’Eva De Bleeker (Open Vld), quatre personnalités – le top du cabinet – ont fait leur valise en signe de protestation. Leur départ concerne le déroulement des événements sur le budget, et en particulier le rôle du Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld). « Nous avions une véritable préoccupation concernant l’avenir de ce pays. Nous l’avons mise sur la table plusieurs fois, mais nous avons été ignorés. Toute la discussion sur la réduction de la TVA a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », nous ont expliqué les concernés. « C’est la mauvaise personne qui a dû partir », estiment-ils. Les experts ne veulent pas en dire beaucoup plus, mais l’un d’entre eux, le macroéconomiste Kris Van Cauter, s’en est vivement pris au cabinet De Croo ce week-end : « Le Premier ministre a lui-même approuvé la première version du budget, qui a été remise au Parlement », affirme-t-il, en faisant allusion aux messages whatsapp, dans lesquels un accord a été trouvé avec le Seize. D’autres personnalités confirment : « Il a donné le feu vert ». Du côté du cabinet du Premier ministre, on nie les faits. Dans l’opposition, Sander Loones (N-VA) demande maintenant à voir les communications entre les cabinets.

Dans l’actualité : Quatre cadres supérieurs quittent le cabinet du budget.

Les détails : Le mécontentement était trop profond, malgré l’appel de De Bleeker pour les maintenir en poste.

  • « Tout est vrai, le bureau du Premier ministre était parfaitement au courant de notre décision d’inclure ce coût de la réduction de la TVA », ont-ils déclaré. Pour les acteurs clés du cabinet de l’ancienne secrétaire d’État au budget, Eva De Bleeker, il n’y a aucun doute : « Les explications du Premier ministre sont complètement fausses. »
  • De Bleeker a démissionné du gouvernement fédéral il y a une dizaine de jours, après avoir été d’abord humiliée publiquement par le Premier ministre, et contrainte de retirer 1,3 milliard d’euros de dépenses budgétaires, causées par la TVA à 6% sur le gaz et l’électricité, dans le budget 2023. Alexander De Croo a parlé d’une « erreur matérielle », alors que De Bleeker a dû tout avaler à quelques mètres de lui à la Chambre, en gardant un silence forcé.
  • Deux jours plus tard, elle démissionnait, après de nouvelles erreurs de calcul dans un deuxième projet. « Jeudi soir, quand Alexia Bertrand a été interrogée par la direction du parti (pour reprendre le poste, ndlr), Eva ne savait rien. Il y a vraiment des façons plus propres de faire les choses », commente amèrement aujourd’hui le sommet du cabinet précédent.
  • Car si Bertrand a repris le portefeuille, elle n’a pas hérité du personnel le plus expérimenté. Pourtant, lorsqu’elle est partie, De Bleeker a exigé de son parti que son cabinet obtienne des garanties : personne ne devait être licencié. « Ces personnes ont toutes besoin de sécurité, ce sont des jeunes avec des enfants et des prêts immobiliers, a-t-elle déclaré. Eva a fait un plaidoyer pour que tout le monde reste en poste. » Cela convenait à Egbert Lachaert (Open Vld) et De Croo : ils voulaient simplement assurer la continuité pour Bertrand.

L’essentiel : les meilleurs experts ont quitté la Vivaldi. Aigris.

  • La coupe était pleine pour les fidèles de De Bleeker. Quatre collaborateurs de haut niveau ont claqué la porte : la cheffe de cabinet, Lieve Schuermans, et les experts Tom Blockmans, Kris Van Cauter et Stephan Deprez. Tous les quatre ont un parcours sans faute, Schuermans venant de l’Inspection des finances, mais aussi, elle était l’experte SEC (Système européen des comptes nationaux et régionaux) du cabinet, dont la tâche est de régler toutes les discussions sur les mesures « structurelles » ou « ponctuelles » avec l’UE. « Désolé, mais c’est le top en Belgique, il n’y a pas mieux », c’est ainsi qu’un ancien membre du cabinet décrit le groupe.
    • « Nous sommes tous très touchés, car on ne fait pas ce métier comme ça. En bonne conscience, vous préparez des conseils, pour le gouvernement. Ce faisant, nous avons tous partagé notre préoccupation concernant les chiffres. Vous pouvez voir que les choses vont mal dans le pays, que des interventions sont nécessaires. Mais nos conseils ont été systématiquement ignorés », nous dit-on.
    • « Vous devez toujours être capable de vous regarder dans le miroir à un moment donné. Et ce qui s’est passé là, c’était la chute de trop. S’il n’y a pas de soutien, pas de soutien de la part du Premier ministre, qui après tout dirige ce gouvernement, alors cela devient très difficile. »
    • « De Bleeker peut retourner à la Commission européenne, elle se remettra sur pied. Mais le personnel était convaincu d’une chose : ce qui s’est passé était totalement faux. Parce que sur le fond, elle avait raison dans cette discussion sur la réduction de la TVA. Et en plus de ça, ils ont donné le feu vert. »
    • Kris Van Cauter, l’un des quatre, l’a souligné sur LinkedIn ce week-end. « Le cabinet du Premier ministre a explicitement donné son accord via Whatsapp pour la version comportant les 1,3 milliard de réduction de charges, ce qui signifie que le Premier ministre lui-même a approuvé la première version remise au Parlement », y a-t-il déclaré.
    • « Alors démissionner, plutôt que de continuer à coopérer avec quelque chose que vous ne pouvez plus soutenir, est la seule option », pour les quatre démissionnaires.
  • Le fait que le Premier ministre et son cabinet aient été si explicitement attaqués a obligé les Seize à réagir, via Belga. En effet, un projet de budget est toujours examiné par un « comité de lecture » : les cabinets des vice-premiers ministres sont attentifs, deux cabinets (celui des Finances avec Vincent Van Peteghem (CD&V) et celui de la Justice avec Vincent Van Quickenborne (Open Vld) ont même cosigné le projet). Mais il est certain qu’avec le Premier ministre, on procède normalement à un examen très approfondi. D’où la surprise dans les jours qui ont suivi, lors de la présentation du premier projet de budget, il y a maintenant quinze jours, le lundi. De Bleeker avait-elle agi seule, comme une sorte de Jeanne d’Arc, en luttant contre les chiffres erronés du budget ? L’opposition n’en croit pas un mot.
  • Voici ce que les diverses sources de l’ancien cabinet de De Bleeker confirment toutes : le Premier ministre était effectivement au courant. Cela soulève donc d’autres questions : était-ce donc délibéré que l’on entraîne De Bleeker dans une débâcle, afin de la remplacer ?
  • « Une chose est sûre, le contact avec Bertrand était là depuis bien plus longtemps. Ce scénario était prêt, et Eva devait sortir, d’une manière ou d’une autre. Ce plan n’a pas été conçu soudainement en 24 heures », insiste une source haut placée.

Et maintenant ? Cet exode confirme une fois de plus l’impression que la crédibilité n’est plus au rendez-vous, dans le budget.

  • Pour l’instant, aucun des anciens employés ne veut rendre l’affaire publique. De Bleeker elle-même ne parle pas (pour l’instant), elle n’a pas encore donné sa version des faits. Mais qu’il s’agisse d’une situation dangereuse, surtout pour le Premier ministre De Croo, ne laisse aucun doute : tôt ou tard, quelqu’un voudra dire tout haut ce que l’on entend déjà en coulisse. Et cela donne une image particulièrement peu flatteuse de la façon dont la secrétaire d’État en charge du Budget a été mise sur la touche.
  • L’opposition a déjà senti le sang: « Comment appelez-vous un Premier ministre qui donne d’abord son accord, puis retire sa parole et licencie ensuite quelqu’un d’autre alors qu’il était lui-même dans l’erreur ? », a réagi ce week-end le député N-VA Sander Loones. « Le gouvernement De Croo a déjà dit trop de contre-vérités sur son budget. Il faut que ça cesse. »
  • Il demande maintenant à voir les communications entre le cabinet de De Bleeker et celui du Premier ministre, notamment les Whatsapps et les emails, en préparation du projet de budget.
  • L’Open Vld, en particulier, est affecté au cœur de son fonds de commerce : la crédibilité sur les chiffres. Pour les libéraux, qui historiquement ont toujours été les gardiens de la comptabilité des gouvernements successifs, c’est une position très désagréable. « Après tout l’épisode autour de De Bleeker et Bertrand, ils sont encore plus ‘sur la défensive’, ils devront supplier à genoux pour pouvoir encore faire quelque chose sur l’effort budgétaire. Le PS ne pouvait pas rêver mieux« , dit un initié.
  • Ajoutez à cela le fait que la nouvelle venue, Alexia Bertrand, n’a pas démarré son mandat sans faire de vagues. D’abord, il y a sa propre brouille avec son ancien président, Georges-Louis Bouchez (MR). Lors de son premier bureau de parti de l’Open Vld, elle a traité ce dernier de « petit enfant qui ne comprend que le langage dur », une déclaration difficile à démentir, étant donné le nombre élevé de participants à cette réunion. Au Zevende Dag, où, à quelques mètres à peine de Bouchez, on lui a demandé si elle avait vraiment dit cela, elle ne l’a pas vraiment nié, mais a déclaré, un peu gênée, « avoir lu cela dans la presse également », puis « ne vouloir que regarder devant elle ». Le sourire de Bouchez avait rarement été aussi grand, un banc plus loin dans le studio de la VRT.
  • Mais en plus, amis et ennemis font le calcul électoral suivant pour Bertrand. A-t-elle échangé sa place auprès du MR à Bruxelles contre une place incertaine sur une liste commune MR-Open Vld pour la Chambre à Bruxelles ? Une quatrième, ou une cinquième place sur la liste, sous la houlette de Sophie Wilmès (MR) et Hadja Lahbib (MR) ? « Personne ne le croit », dit un initié.
  • Logiquement, il y a donc une certaine inquiétude dans le Brabant flamand, à l’Open Vld : le parti y jouera-t-il bientôt la carte Bertrand, pour tirer la liste à la Chambre ? « S’ils pensent qu’ils peuvent juste déposer quelqu’un ici comme ça, contre notre avis, ils se trompent. La base ici est livide, avec ce qui est arrivé à De Bleeker, qui est très populaire après des années passées à parcourir tous les quartiers ici », a déclaré une source haut placée.
  • Et enfin, il y a le profil de Bertrand, membre des 20 familles les plus riches de Belgique, mais surtout, jusqu’à récemment, administratrice du holding Ackermans & Van Haaren. Le PTB crie au meurtre « parce que les millionnaires sont maintenant au gouvernement ». Mais l’entrée de Bertrand soulève en même temps des questions légitimes sur la bonne gouvernance : la Chambre doit-elle s’efforcer de filtrer la position de richesse des membres du gouvernement, comme c’est le cas dans de nombreux autres pays de l’UE ? Il serait certainement bon, étant donné les nombreuses décisions du gouvernement en matière d’énergie, de travaux d’infrastructure et de relations étrangères, que la Chambre ait une visibilité sur les actions et autres intérêts des membres du gouvernement.

Aujourd’hui aussi : enfin un accord salarial.

  • Vendredi, la Vivaldi n’a pas réussi à trouver un accord sur les salaires : ennuyeux pour le Premier ministre, qui espérait se rendre à Kiev l’esprit tranquille, avec un accord en poche. Car cela ne faisait aucun doute : l’équipe fédérale avait besoin d’un succès, pour faire oublier tout l’épisode défavorable sur le budget. Mais aussi couper l’herbe sous le pied du MR, qui avait relancé son offensive sur l’énergie nucléaire. Et de donner une réponse à un autre chef de parti, Sammy Mahdi (CD&V), qui a demandé des réformes via une lettre ouverte.
  • Donc ce matin, une autre réunion du kern pour forcer la décision. Entre la gauche et la la droite, tout comme ce fut le cas entre les employeurs et les travailleurs, qui n’ont pas réussi à trouver un accord au sein du Groupe des Dix.
  • Comme annoncé dans cette newsletter la semaine dernière, il n’était plus vraiment question de loi de 1996 ou d’indexation automatique des salaires, deux mécanismes qui seront préservés, mais bien de primes. Droite et gauche se disputaient encore sur les montants à accorder.
  • Les primes seront comprises entre 500 et 750 euros iront aux employés dont les entreprises ont réalisé des bénéfices (importants ou exceptionnels) pendant la crise. Ces concepts doivent encore être définis.
  • L’enveloppe bien-être de près d’1 milliards d’euros se sera notamment consacrée au financement d’un bonus emploi permettant de relever les bas salaires. La part pour les allocations de chômage sera par contre réduite de 3,6% à 1,3% de l’enveloppe. La Vivaldi a donc privilégié l’emploi aux demandeurs d’emploi. Mais les allocation sociales et les pensions connaitront comme prévu une augmentation de 2%.
  • De quoi faire réagir le leader de l’opposition, Bart De Wever (N-VA) : « La Belgique a le plus grand déficit budgétaire de l’UE. Pourtant, le gouvernement augmentera à nouveau les allocations de chômage de longue durée, après qu’elles aient déjà été augmentées de façon record cette législature. Le courage de sauvegarder notre prospérité à long terme a été complètement perdu. »
  • Le ministre de l’Emploi, Pierre-Yves Dermagne (PS) s’est réjoui de l’accord et renvoit la balle aux partenaires sociaux « qui négocieront les contours » de l’accord, secteur par secteur.