La Belgique peut rougir de son budget : l’Europe tape sur les doigts, mais la Vivaldi reporte le problème au mois de mars

Aujourd’hui, la Commission européenne donne des explications à la Chambre pour son point de vue sur le budget belge. Le rapport est déjà prêt, et il n’est pas tendre : la Belgique est tout simplement le pire élève de la classe européenne en matière budgétaire. Ce camouflet était attendu, mais il n’en est pas moins douloureux : le budget reçoit un avertissement après l’autre, car presque tous les indicateurs montrent une détérioration de la situation. Et bien que les chiffres soient le résultat de toutes les entités fédérées ainsi que du gouvernement fédéral, c’est le dérapage de la Vivaldi qui a de loin le plus de poids. La Commission lance un avertissement : l’économie doit être structurellement plus saine, le marché du travail bien meilleur. Elle réaffirme également que les dépenses augmentent plus rapidement que la croissance économique à long terme. Le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) et la Secrétaire d’Etat au Budget Alexia Bertrand (Open Vld) disent prendre les commentaires « très au sérieux », mais renvoient immédiatement le contrôle budgétaire au mois de mars.

Dans l’actualité : Aujourd’hui, l’Europe fait une incursion dans l’hémicycle.

Les détails : Dans une période budgétaire « normale », la Commission européenne imposerait de lourdes sanctions à la Belgique. Mais la Commission a temporairement suspendu ses règles.

  • Alors qu’il était encore vice-premier ministre, et systématiquement agacé par le manque de dynamisme du gouvernement suédois en matière de budget, et plus particulièrement par le rôle docile du Premier ministre de l’époque, Charles Michel (MR), Alexander De Croo (Open Vld) s’est vu poser la question suivante lors d’un vol transatlantique : « Voudriez-vous un jour devenir Premier ministre ? ». La conversation n’était pas formelle, et la réponse n’était pas faussement modeste, ni évasive, mais il y a réfléchi un moment.
  • « Oui, mais à condition qu’il s’agisse vraiment d’un gouvernement qui réforme, qui ose s’attaquer aux choses, et non pas pour faire du surplace », a-t-il alors clairement déclaré. « Ne pas devenir Premier ministre pour le plaisir de devenir Premier ministre. »
  • Comment le De Croo d’alors regarderait-il le travail chiffré du De Croo d’aujourd’hui ? La réponse ne peut être que critique, très critique. L’actuel De Croo pourrait bien invoquer des circonstances atténuantes : coronavirus, guerre en Europe, crise énergétique et inflation déréglée.
  • Mais l’histoire s’arrête là. L’équipe Vivaldi d’aujourd’hui risque de n’être qu’un gouvernement de crise prolongé, qui ne travaillera jamais vraiment sur les réformes dont rêvait le jeune De Croo à l’époque : remettre le pays en ordre structurel.
  • En outre, la situation est beaucoup plus délicate pour De Croo : nous sommes un poisson dans un étang européen beaucoup plus grand. Et tous ceux qui le composent souffrent de ces crises successives. Il n’est donc pas difficile d’établir une comparaison avec les autres pays de l’UE. C’est précisément la raison pour laquelle l’exercice d’examen du budget européen réalisé aujourd’hui dans l’hémicycle par quelques fonctionnaires européens est si important : comment survivre à la pierre de touche de l’Europe ?
  • Ajoutez à cela le fait que De Croo et son parti ont braqué les projecteurs sur le budget la semaine dernière : la démission brutale d’Eva De Bleeker, et le remplacement soudain et surprenant par Alexia Bertrand, signifie que le budget a connu son lot de drames et capte désormais l’attention.
  • Dans le même temps, les projecteurs se sont braqués sur une autre discussion embarrassante : une mesure énergétique non ciblée avec la réduction de la TVA sur le gaz et l’électricité, dont on ne sait pas du tout comment elle sera financée en 2023. En tout cas, le budget ne le dit pas.

Zoom avant : La Commission sans pitié.

  • Le rapport de l’UE a déjà été publié, et il fait du remous. Par exemple, la Commission note qu’à peine six pays de la zone euro auront un niveau d’endettement supérieur à 100 % du PIB d’ici 2023 : Belgique, Grèce, Espagne, France, Italie et Portugal. Mais ce n’est qu’en Belgique que cette dette risque encore d’augmenter. Les estimations montrent qu’elle passera de 105,3 % du PIB en 2022 à 108,2 % en 2023. La Commission rappelle à plusieurs reprises que la norme européenne en matière de taux d’endettement est en fait de 60 % du PIB.
  • C’est loin d’être le seul point négatif. La Commission rappelle que l’année dernière, elle avait déjà demandé une « prudent fiscal policy« , c’est-à-dire d’être beaucoup plus prudent avec le budget, « notamment en ne laissant pas les dépenses nationales dépasser la croissance économique à moyen terme ».
  • Ce faisant, elle affirme littéralement que « ce n’est pas le résultat de mesures temporaires et ciblées visant à soutenir les ménages et les entreprises au niveau des prix de l’énergie ou du coût de l’accueil des réfugiés ukrainiens ». Non, l’augmentation des dépenses est principalement due à « l’indexation automatique des salaires et des prestations sociales des fonctionnaires », note délicatement la Commission : un système qui n’existe qu’à Malte et au Luxembourg également.
  • En outre, il existe des « coûts structurels du vieillissement » qui ne cessent d’augmenter et « qui ne sont pas absorbés par les recettes compensatoires ».
  • Les mesures d’aide à l’énergie ont coûté 0,9 % du PIB total à l’État cette année et coûteront encore 0,4 % en 2023. La Commission note aussi « qu’un plan de réduction permanente de la TVA ne figure pas encore dans le budget, ni dans les prévisions de la Commission », « mais il est proposé de l’introduire en même temps que de nouveaux droits d’accises ». La Commission est donc indulgente : elle a clairement suivi les chiffres que la Vivaldi a corrigés après « l’erreur matérielle » de De Bleeker.
  • Et donc, la Commission déterminera avec le gouvernement fédéral lors de l’examen du budget en mars s’il y a ou non un coût supplémentaire, par la suite. Les partenaires de la coalition Vooruit, PS, Ecolo, Groen et CD&V assurent depuis longtemps qu’il y en aura un : la réduction de la TVA restera, et il n’est pas question de reprendre cela de l’autre main par une « réforme des accises », en tout cas, à court terme.
  • À cet égard, la Commission est manifestement irritée par les « mesures de soutien peu ciblées » dans le domaine de l’énergie : elle considère la réduction de la TVA (une intervention qui s’applique à tout le monde) comme l’exemple type de ce qui ne faut pas faire : beaucoup trop large. La Commission estime que 70 % de toutes les mesures de soutien en Europe sont mal ciblées.
  • La Commission appelle à une « politique plus prudente, à moyen terme », et aussi à une « réduction crédible et progressive de la dette ». Mais la Commission ne peut pas faire plus que d’exhorter gentiment, vu que toutes les règles (surtout un déficit ne dépassant pas 3 % du PIB) ont été temporairement suspendues avec la crise. Mais il est clair qu’il faudra faire quelque chose, les règles pouvant revenir en vigueur avant 2024. Et avec un déficit de près de 6 %, des mesures très importantes devront de toute façon être prises.

La réaction : le Premier ministre prêche le « sérieux ».

  • Devant les caméras de la VRT, De Croo a déjà réagi en disant qu’il « prend le rapport très au sérieux ». Il a ensuite réitéré sa défense selon laquelle les mesures étaient « vraiment nécessaires », en se concentrant sur les dépenses de soutien ponctuelles, qui, selon la Commission, ne constituent pas réellement le problème.
  • « Nous avons apporté un soutien énergétique important à des personnes qui étaient vraiment en grande difficulté. Mais nous avons également apporté un soutien énergétique à la classe moyenne, qui, elle aussi, pendant un certain temps, n’a pas vu le bout du tunnel. Mais soyons clairs : les mesures devront être plus précises [à l’avenir] », a-t-il prédit pour 2023.
  • Ce faisant, il s’est projeté dans une bataille qui risque de se livrer avec acharnement au sein de la Vivaldi : quand donc ces accises seront-elles introduites en échange de la réduction de la TVA ? Car le premier ministre semble agir comme si ce sera déjà le cas l’année prochaine, et donc, pour le budget 2023. Or, cela va totalement à l’encontre de l’accord selon les écologistes et les socialistes, qui soulignent que les notifications de la discussion budgétaire mentionnent que ces accises ne seront introduites que « lorsque le niveau de prix de 2021 sera atteint ». C’est ce que prévoit la CREG pour 2026.
  • Mais De Croo s’est exprimé en ces termes : « La Commission européenne suit également notre raisonnement selon lequel la réduction de la TVA ne peut être permanente que s’il y a une réforme des accises. Les taxes d’accise vous donnent plus de possibilités de mener des politiques et d’encourager les gens à passer du gaz à l’électricité. Elles permettent également de différencier beaucoup plus les gros consommateurs des personnes qui font des efforts pour consommer moins. »
  • D’emblée, le Premier ministre et Bertrand pointent du doigt « l’important examen du budget au printemps », lorsque la Vivaldi passera au peigne fin toutes les finances de 2023. Il y a déjà un revers : en raison du fort ralentissement de l’économie, et donc d’une croissance plus faible du PIB, le déficit augmente encore d’un cran en termes relatifs. L’Europe prévoyait un déficit de 5,8 %, mais Bertrand prévoit maintenant un déficit de 5,9 %. Et ce, sans compter le coût de la réduction de la TVA.

L’analyse politique : de quel dossier Bertrand hérite-t-elle maintenant ?

  • En Belgique francophone, on continue de s’interroger sur le passage de Bertrand à l’Open Vld : il y a longtemps qu’une personnalité de cette envergure n’avait pas soudainement changé de langue et de parti. Le premier à apparaître spontanément dans cette liste est l’ancien Premier ministre Wilfried Martens (CD&V), qui s’est déplacé à Bruxelles pour apporter également des voix francophones.
  • Du côté flamand, au sein de la Vivaldi, les commentaires portent principalement sur le passé de Bertrand : elle est la fille de Luc Bertrand, l’un des Belges les plus riches, en tant qu’actionnaire principal du holding Ackermans & Van Haaren, où Alexia devrait démissionner du conseil d’administration. Après tout, un mandat exécutif en tant que membre du gouvernement n’est pas compatible. « Mais quelle image, des millionnaires pour l’Open Vld au gouvernement », commente-t-on. « Est-ce maintenant le message que le parti veut faire passer ? »
  • Accessoirement, la question est de savoir où Bertrand sera ensuite élue. Car à Bruxelles, une discussion acharnée nous attend pour la liste MR à la Chambre. « Va-t-elle faire la paix et se contenter d’une quatrième place sur la liste ? » Immédiatement, on évoque l’issue la plus logique : un siège bien garanti dans le Brabant flamand, en tant que possible tête de liste. « Mais est-ce qu’elle et son profil francophone vont y affronter Theo Francken (N-VA) ? Cela ne peut que se terminer mal », dit-on chez un partenaire de coalition de l’Open Vld.
  • Le MR et le PS s’interrogent alors sur la manière dont l’Open Vld pense pouvoir marquer des points avec Bertrand sur le dossier du budget. « C’est l’héritage le plus troublant de la Vivaldi, et maintenant, tout d’un coup, il doit être redressé par Bertrand ? Alors que l’exercice a déjà été réalisé pour 2023 et 2024 ? Le tout avec le Premier ministre de son propre parti ? Bonne chance », a déclaré une source haut placée.
  • Le fait que des membres de l’Open Vld, dont Bertrand elle-même, aient tenu des propos aussi hostiles à l’égard de Bouchez, au bureau de parti, lundi, a manifestement déclenché des tensions. « Si la moitié du parti veut que Bouchez parte, pourquoi est-il encore assis là ? Peut-être parce que c’est juste faux ? La presse pousse constamment un message anti-Bouchez, mais elle devrait peut-être venir à un congrès du parti un jour. Les critiques viennent de partis qui ne pèsent plus que 8%, alors que nous sommes à 22 % (en Wallonie, 21,2% à Bruxelles, ndlr), nous ne devrions vraiment pas recevoir de conseils de leur part », fait écho l’entourage de Bouchez.

En Europe : le plafonnement des prix du gaz proposé par la Commission est une « farce ».

  • La Commission propose de plafonner le prix du gaz à 275 €. Ce mécanisme s’appliquerait à compter du 1er janvier 2023 pour une durée d’un an et prendrait comme référence le cours de marché à un mois sur le marché gazier néerlandais TTF.
  • Il serait appliqué dès que les prix dépasseraient les 275 €/MWh pendant deux semaines consécutives, à condition qu’ils soient supérieurs de 58 € au prix mondial moyen du gaz naturel liquéfié pendant 10 jours.
  • Les ministres européens de l’Énergie doivent encore discuter de cette proposition ce jeudi. Ce sera ensuite aux États membres de se positionner.
  • Cette proposition prudente est le résultat d’une tension extrême au sein des États membres. « Ce n’est pas une solution miracle », a reconnu la commissaire européenne à l’Énergie, Kadri Simon, « mais [elle] fournit un outil puissant que nous pouvons utiliser lorsque nous en avons besoin. »
  • Dans les faits, ce plafond serait totalement inutile. Tout simplement parce que les conditions mentionnées ci-dessus n’ont jamais été rencontrées cette année, malgré un décuplement des prix qui ont atteint temporairement les 350 euros le MWh en août.
  • « C’est une blague… C’est une proposition qui n’apportera rien d’utile à quiconque, même dans le cadre du scénario extrême observé en août. Il s’agit d’un non-plafonnement », a déclaré Simone Tagliapetra, maître de conférences au groupe de réflexion Bruegel, au Financial Times.
  • Pour certains hauts diplomates européens, cette proposition de la Commission n’a d’autre but que de tuer l’idée d’un plafonnement européen des prix du gaz, l’Allemagne craignant de gros problèmes d’approvisionnement pour l’année prochaine.

Zoom avant : la stratégie de la Vivaldi en lambeaux.

  • La Belgique plaide depuis le mois de mars pour fixer un plafond au niveau européen. La ministre de l’Énergie, Tinne Van Der Straeten (Groen) s’est personnellement engagée, annonçant même un accord qui n’est jamais arrivé.
  • En août dernier, elle avançait qu’un plafonnement des prix sur base du modèle ibérique permettrait d’enlever 770 euros par an sur la facture. Le projet a été coulé.
  • La Belgique a ensuite proposé un corridor avec une variation de 5% à la hausse et à la baisse par rapport à un prix fixé. Le projet a été coulé.
  • Si les ministres européens de l’Énergie n’arrivent pas à renverser la proposition de la Commission ce jeudi, le projet d’un plafonnement des prix au niveau européen pourra être considéré comme coulé. Il sera alors peut-être enfin temps d’agir au niveau belge.