Devant les écrans, le MR et l’Open VLD se réconcilient, en coulisses, Lachaert court (littéralement) chez Magnette

La Commedia dell’arte dans la Rue de la loi. Alors que l’Open Vld et le MR prêchaient la réconciliation dans un communiqué de presse commun, Egbert Lachaert (Open Vld) a dîné avec Paul Magnette pour accorder ses violons. Il y a reçu un message clair : avec ce MR et ce Georges-Louis Bouchez-là, le PS, comme les autres partis francophones, ne veulent plus prolonger au-delà de 2024. Rien de vraiment nouveau, mais une fois de plus, l’Open Vld ne lie donc plus du tout son destin au récalcitrant Bouchez. « Il est comme un enfant, qui ne comprend qu’une chose : le langage dur », c’est par ces mots qu’Alexia Bertrand (Open Vld) a fait son baptême du feu au bureau du parti libéral flamand. Là-bas, son discours sur le budget a impressionné. Mais est-ce que cela fonctionnera dans la Vivaldi ? Un premier grand test – un accord sur les salaires et l’enveloppe bien-être – s’annonce déjà particulièrement passionnant au sein du gouvernement fédéral. Parce que (comment avez-vous deviné ?) le MR est en désaccord.

Dans l’actualité : « Comme dans toutes les familles, des divergences peuvent survenir. Mais celles-ci ne peuvent remettre en cause notre ciment commun : la défense d’un projet libéral pour une Belgique de liberté et de progrès. »

Les détails : Le communiqué de presse signé par le MR et l’Open VLD, hier après-midi, est le meilleur jeu d’acteur de la rue de la Loi depuis bien longtemps.

  • Scène surprenante, hier, dans la rue Melsens, au siège de l’Open Vld. C’est là-bas qu’Egbert Lachaert tente de quitter le bâtiment discrètement par une porte dérobée, juste après midi. Le bureau du parti de l’Open Vld vient de se terminer, les journalistes ont été informés qu’il y aurait une déclaration commune avec le MR. Quelques dirigeants de l’Open Vld font des déclarations vagues et sans signification : personne ne veut dire grand-chose.
  • Lachaert ne veut pas davantage faire de commentaire, il essaie de s’échapper comme une souris. Mais il est repéré par une équipe de Terzake qui décide d’accélérer le pas pour rattraper le président de l’Open Vld. On veut savoir « si tout va toujours bien dans la famille libérale ? ». Lachaert répond à la sauvette : « Très bien », avant de faire soudainement un virage à 180 degrés et d’entamer un sprint loin des caméras. « Pourquoi vous enfuyez-vous, M. Lachaert ? », demande la journaliste.
  • Ce faisant, le président de l’Open Vld a enfreint une règle d’or en matière de communication : ne jamais, jamais, fuir ou s’esquiver devant les caméras, sinon les images peu gracieuses et embarrassantes feront le tour des médias et des réseaux sociaux. Le président de l’Open Vld a semblé s’en rendre compte par la suite : il a essayé de négocier avec la VRT pour qu’elle ne diffuse pas cette scène. Un « non » catégorique est arrivé en retour de Reyers.
  • Quelques heures plus tard, tout le quartier de la rue de la Loi se gratte la tête : qu’est-ce qui a poussé Lachaert à partir en courant ? De quoi avait-il si « peur » alors que son communiqué commun était en route ? Le président de l’Open Vld a surtout fait rire ses collègues présidents de parti, qui ont fait des remarques cinglantes sur la « Eliane Liekendael de la rue de la Loi », du nom d’une illustre juge qui a fui devant les caméras au début du procès Agusta.
  • Immédiatement, des mèmes ont fait surface sur les réseaux sociaux, via d’autres politiciens. Joris Vandenbroucke (Vooruit) y a apposé le message suivant : « Des millionnaires quand ils entendent que Vooruit veut leur faire payer des impôts équitables ». Le président Conner Rousseau (Vooruit) a partagé avec empressement les images sur son compte Instagram.
  • L’explication après coup s’est avérée aussi simple que logique : un peu plus bas, le président du PS, Paul Magnette, attendait déjà Lachaert depuis vingt minutes, pour un dîner discret. Ce dernier était donc déjà en retard, mais les messages entre Bouchez et l’Open VLD étaient toujours en cours d’échange, à propos du « grand calumet de la paix » qui allait devenir le communiqué de presse.
  • Lachaert ne voulait donc pas faire attendre Magnette plus longtemps, mais plus important : la dernière chose que le président de l’Open VLD voulait faire était de conduire des équipes de journalistes auprès du président du PS. « Il pouvait difficilement emmener ces personnes à la porte du restaurant. Et c’était au coin de la rue. Il était donc réellement piégé, et cette course était donc impulsive », explique-t-on simplement au siège de l’Open Vld.

Acte 1 : Au bureau de parti de l’Open VLD, Alexia Bertrand lâche une bombe.

  • La nouvelle secrétaire d’État au Budget a fait impression : en fait, tout le monde était d’accord sur ce point hier, parmi les libéraux flamands. Sur le plan du contenu, elle est intervenue avec force, montrant qu’elle connaît les nuances d’un budget sur le bout des doigts, à peine un week-end après sa nomination : « Elle a immédiatement donné une analyse qui tenait debout comme une maison, et parfaitement conforme à notre vision libérale », a déclaré un participant.
  • Cette bonne entame de Bertrand a calmé un peu la critique qui circulait en interne, à savoir que cette séquence a été une intervention brutale contre Eva De Bleeker (Open Vld). « Le triumvirat du parti, avec le Premier ministre Alexander De Croo, Lachaert et le vice-premier ministre Vincent Van Quickenborne, a montré une fois de plus qu’il ne se prive pas d’intervenir de manière tranchante, presque inhumaine. Parce que le jeu est joué de manière très cynique », a-t-on constaté dans les couloirs du parti.
  • Au niveau du président, cette critique a été quelque peu contrée: « Ce n’était pas une période évidente. Nous étions vraiment dans la merde pendant un moment. Mais quand la poussière retombe, nous sommes dans une position plus forte. Avec Bertrand, nous avons maintenant quelqu’un qui sait parfaitement où sont les points sensibles de ce budget après seulement deux jours. »
  • Seulement, Bertrand a aussi impressionné le bureau de parti avec une analyse tranchante sur son ancien président de parti. Les sourcils se sont levés lorsqu’elle a déclaré, selon plusieurs participants, que « Georges Louis est un enfant, qui ne comprend que le langage dur. C’est la seule façon de traiter avec lui. C’est précisément pour cela que nous devions le frapper avec cette accusation du Vlaams Belang. Cela marque les francophones. »

Acte 2 : le rôle de Sophie Wilmès ne doit pas être sous-estimé.

  • Pendant que l’analyse se faisait dans la rue Melsens, les gens de l’autre branche de la famille bleue, au MR, faisaient aussi leur part. Et remarquablement : il n’y a certainement pas que Bouchez qui a craché sa bile sur le modus operandi de l’Open VLD.
  • Car même si elle s’est temporairement mise en retrait, la véritable force électorale des libéraux francophones est l’ancienne Première ministre, Sophie Wilmès. Elle est la tête de pont à Bruxelles, où Bertrand, qui était chef de groupe au parlement bruxellois pour le MR, s’est débattue avec le président local David Leisterh. Ce dernier a rapidement pris la place de Bertrand, en tant que nouveau chef de groupe dans l’opposition.
  • « L’Open VLD nous a soulagés d’un méchant problème de personnes », expliquent certains libéraux francophones. Mais en même temps, ils ne laissent aucune place au doute : Wilmès aussi n’avait pas et n’a pas une haute opinion de Bertrand. Et les relations avec De Croo ne sont pas non plus au beau fixe depuis un certain temps : l’ex-Première ministre n’a pas oublié comment l’actuel occupant du Seize s’est comporté lorsqu’elle y siégeait pendant la crise du Coronavirus. Le dernier épisode autour de Bertrand a donc rajouté de la tension. « Reste à savoir si cette liste commune à Bruxelles existera un jour. Et si Alexia tiendra une bonne place dessus. Parce que Sophie ne va pas faire de cadeaux. »
  • D’autre part, afin de donner au MR un effet Sophie Wilmès, il y a une chance qu’elle tire bientôt la liste européenne du MR : ainsi, ils pourront faire campagne avec elle dans toutes les provinces francophones. Et cela libérerait à son tour un espace sur la liste parlementaire du MR à Bruxelles, que Hadja Lahbib (MR), l’actuelle ministre des Affaires étrangères, pourrait remplir.
  • Quoi qu’il en soit : « Si l’Open Vld et Bertrand pensent qu’ils vont bientôt obtenir ce siège parlementaire supplémentaire du MR sur un plateau d’or, détrompez-vous », analyse une source libérale.

Acte 3 : une déclaration bleue commune et édulcorée.

  • Le langage hostile entre les deux camps libéraux a été complètement enterré dans le communiqué de presse, qui était rempli de déclarations d’amour :
    • « Pour renforcer notre combat pour une société plus libérale, il est nécessaire de respecter les sensibilités au sein des deux partis. »
    • « Open Vld et MR confirment qu’ils veulent chacun renforcer l’impact du libéralisme en fonction de leur rôle dans cette coalition et qu’ils veulent assurer le bon fonctionnement et l’efficacité du gouvernement fédéral. »
    • « Lachaert et Bouchez prendront l’initiative afin de permettre la coordination de notre action sur les dossiers socio-économiques et budgétaires importants à venir comme par exemple la lutte contre les pièges à l’emploi dans le cadre de l’enveloppe bien être, le développement de notre taux d’emploi, une fiscalité moins lourde dans un cadre budgétaire assaini et la sécurité de notre approvisionnement énergétique. »
    • « Des réunions seront organisées entre les présidents, les membres du gouvernement et les parlementaires pour mieux coordonner leurs opérations. »
  • Ce dernier point est d’ailleurs frappant : un dîner prévu entre les groupes parlementaires, qui devait normalement avoir lieu demain, vient d’être annulé, en raison de l’animosité entre les deux partis.
  • Mais la mention du piège à l’emploi est également intéressante : c’est précisément ce qui est discuté actuellement au sein de la Vivaldi. Comme le Groupe des Dix, composé des syndicats et les employeurs, n’a pas pu régler la discussion autour des augmentations salariales et de l’AIP (Accord interprofessionnel), cette question est entièrement dans l’assiette de l’équipe fédérale.
  • Et c’est là que le MR a joué la carte de la grogne jusqu’à présent : le vice-premier ministre David Clarinval (MR) ne veut rien savoir d’une augmentation des allocations de chômage à partir de l’enveloppe bien-être (environ 1 milliard pour augmenter les allocations). Parce que cela ne ferait que réduire davantage l’écart entre ceux qui travaillent et ceux qui reçoivent des allocations. « Inacceptable », commentait déjà Clarinval dans La Libre. Mais l’idée de ne pas verser l’intégralité de cette enveloppe sociale se heurte à un veto dur du PS et d’Ecolo.
  • En outre, le PS a ouvert une autre discussion : la loi de 1996, qui stipule que les salaires ne peuvent pas augmenter plus que ceux des pays voisins, permet également aux entreprises de limiter les dividendes. En 26 ans d’existence de la loi, cela ne s’est jamais produit. Mais le PS veut faire passer cette mesure pour se venger de la non-augmentation des salaires. Reste à savoir s’il y parviendra, car le MR est donc lui aussi sur le sentier de la guerre : un coup dur pour le Premier ministre De Croo.

Acte 4 : le dîner entre PS et Open Vld.

  • Un front bleu donc, devant les écrans. En apparence. Car dans le même temps, Lachaert a fait hier ce que Bouchez n’a pas pu faire depuis très longtemps : aller dîner et consulter le patron du PS, Paul Magnette. Parce que du côté flamand, les libéraux se sont résignés depuis longtemps : Bouchez n’est pas un partenaire stable, et un communiqué de presse ne va vraiment pas changer cela.
  • Au cours du déjeuner, Magnette a une nouvelle fois formulé qu’il est extrêmement difficile pour le PS, mais tout autant pour les autres partis francophones, de continuer avec le MR « si c’est avec le même Bouchez et les mêmes comportements à la tête de ce parti », nous ont confirmé des sources socialistes.
  • Du côté de l’Open Vld, ils ont déjà lu le message clairement : « Avec Bouchez, pas de MR au gouvernement en 2024 ». « Mais au sein du MR, personne ne semble être en mesure de faire quoi que ce soit, même si la moitié du parti critique fortement Bouchez. On sait qu’il va les conduire tout droit dans le mur », résonne-t-on.
  • Une appréciation qui a été entérinée quelques heures plus tard dans les studios de télévision de la VRT par l’ancienne présidente de Groen, Meyrem Almaci : « J’ai traité avec l’homme pendant quelques années. Le problème n’est pas MR-Open Vld, le problème, c’est Bouchez. Il est tout simplement impossible de travailler avec cet homme. Il se comporte comme un populiste qui se heurte à tout et à tous. Vous ne pouvez pas faire affaire avec lui. Il veut être dominant partout, faisant tout pencher en sa faveur. Mais soit vous êtes dans un gouvernement, soit vous ne l’êtes pas. »
  • Un jugement frappant, car à l’époque, c’est un axe des Verts et des Libéraux qui a fait la Vivaldi, contre Vooruit et la N-VA, qui à l’été 2020 qualifiaient déjà Bouchez de « peu fiable ». « Je suis d’accord avec Bart De Wever (N-VA) sur ce point », a déclaré délicatement Almaci, deux ans plus tard.
  • L’Open VLD n’en tire qu’une conclusion : le PS et les Verts sont peut-être des adversaires sur le plan idéologique, mais ils restent des partenaires avec lesquels il faudra travailler, dans la Vivaldi, mais aussi après. S’emballer dans une stratégie suicidaire, comme celle de Bouchez, n’a alors aucun sens.
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