Les marchés mondiaux ont été perturbés durant la pandémie de coronavirus. Et si au début de cette crise, le taux d’inflation se dirigeait vers zéro, les choses ont rapidement évolué, de sorte qu’aujourd’hui, ce taux se rapproche dangereusement des 10% aux Etats-Uni. Une situation qui ne devrait pas s’arranger de si tôt, selon un éminent économiste. Ce dernier estime qu’un changement sismique est en cours au sein de l’économie mondiale.
La pandémie de coronavirus a provoqué un véritable bouleversement sur les marchés mondiaux, de sorte qu’une nouvelle ère de pénurie de main-d’œuvre et de prix élevés succède à des décennies de surabondance de main-d’œuvre bon marché qui avait maintenu des prix et des salaires bas, avance l’ex-banquier central britannique Charles Goodhart. Au début de la crise, lorsque les marchés se sont effondrés, il avait prédit contre toute attente que l’inflation atteindrait 5 à 10 % en 2021, mais surtout que celle-ci resterait élevée pour longtemps, à contre-sens de toutes les prévisions de la Fed à l’époque.
« La pandémie de coronavirus marquera la ligne de démarcation entre les forces déflationnistes des 30 à 40 dernières années et la recrudescence de l’inflation des deux prochaines décennies », a-t-il avancé dans une interview. L’inflation sera de 3 à 4 % fin 2022 dans les économies avancées et restera à ce niveau durant des décennies, contre 1,5% en moyenne durant la décennie qui a précédé la pandémie, d’après lui. À l’heure actuelle, l’inflation aux États-Unis est de 7,5%. Dans l’Europe, elle est en moyenne de 5,8%, avec toutefois de grandes disparités, l’inflation belge étant plus proche des 8%.
Une théorie qui inquiète
La prédiction de M. Goodhart inquiète les banquiers centraux des États-Unis, de l’Europe et de Chine. Tous cherchent à savoir s’il à raison, alors que les principales banques centrales tentent de déterminer quelle est la meilleure position à adopter face à l’inflation qui ne cesse de grimper, phénomène qui pourrait être favorisé dernièrement par le conflit russo-ukrainien. Si la théorie de l’éminent économiste est vraie, alors les banques centrales sont déjà en retard. Elles « ne devraient pas seulement penser à réduire leurs bilans plus rapidement, mais à le faire dès maintenant et à augmenter les taux sans attendre », a prévenu Willem Buiter, ancien banquier central à la Banque d’Angleterre au Wall Street Journal.
Le cas du Japon
Évidemment, tous ne sont pas d’avis de Charles Goodhart, c’est notamment le cas de Gita Gopinath, première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international. Prenant l’exemple du Japon, elle estime que la baisse du nombre de travailleurs et l’augmentation du nombre de retraités pourraient en réalité avoir un impact bénéfique sur l’inflation et la faire baisser. Pour elle, les changements démographiques sont un facteur à prendre en compte pour aboutir à la conclusion de l’économiste.
Les travailleurs en baisse
Pourtant, d’après Charles Goodhart, c’est bien ces changements démographiques qui vont maintenir une inflation élevée. Car si dans les années 90, l’inflation était basse, c’est en grande partie grâce à l’arrivée de centaines de millions de travailleurs chinois et d’Europe de l’Est bon marché au sein de l’économie mondiale. Cela a fait baisser les salaires, de même que les produits qu’ils exportaient.
Mais aujourd’hui, les choses ont changé. La population en âge de travailler a fortement baissé, de même que les taux de natalité. Et cela devrait continuer ainsi au cours des prochaines années, de sorte que la main-d’œuvre va se raréfier. Les travailleurs mettront la pression sur leurs patrons pour augmenter leur salaire, ce qui fera grimper les prix.
L’évolution des salaires dans le secteur manufacturier chinois démontre déjà le phénomène. Aujourd’hui, le salaire moyen chinois n’est que 4 fois inférieur à celui du secteur manufacturier américain. En 2001, lorsque la Chine a rejoint l’Organisation mondiale du commerce, le rapport était de 26.
On peut également citer l’impact de la pandémie sur la vision des personnes en âge de travailler vis-à-vis de leur boulot. Les États-Unis ont fait face à un véritable exode de travailleurs. De nombreuses personnes ont quitté leur job pour trouver un poste qui avait plus de sens ou qui payait plus. Cela a poussé les employeurs à offrir des salaires et des primes démentiels pour attirer les candidats.
Un changement de vision
Jusqu’à récemment, bon nombre de personnes travaillant dans les banques centrales assuraient que l’inflation serait très certainement transitoire. Ce fut notamment le cas du président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell, et de l’économiste en chef de la BCE, Philip Lane, mais les deux hommes ont changé d’avis. Aujourd’hui, ils ne tiennent plus le même discours. Le premier, en tant que président de la FED, s’apprête à toute une série de hausses des taux d’intérêt, alors que le second estime désormais que l’inflation restera élevée même après la fin de la pandémie en raison de l’évolution du rôle de la Chine dans l’économie mondiale et du vieillissement des populations.
La BCE et Christine Lagarde se sont montrées particulièrement conservatrices, expliquant que l’inflation européenne était surtout due aux prix de l’énergie.
« Après une longue période d’inflation très faible, beaucoup ne s’attendaient pas à ce que l’inflation revienne rapidement et avec force », a déclaré Mme Schnabel, de la Banque centrale européenne, qui avait initialement accueilli la théorie de M. Goodhart avec scepticisme. « Ensuite, la perturbation économique sans précédent s’est produite, causée par la pandémie, et l’inflation est soudainement revenue. »
Mais certains persistent, utilisant l’exemple des pays avec beaucoup de retraités et moins de travailleurs et un taux d’inflation très bas, comme au Japon. Or, d’après Goodhart, certains signes indiquent que même au Japon, les choses sont en train de changer. L’inflation pourrait augmenter.
D’autres encore assurent que le vieillissement de la population va inciter les personnes à moins investir, consommer et innover, ce qui va générer une surabondance d’épargne. Mais pour Goodhart, les travailleurs ne parviendront pas à épargner suffisamment ce qui, in fine, va contribuer à augmenter l’inflation.
La dette mondiale va atteindre de niveaux records et les prix des actifs vont continuer à croitre, de sorte que les banquiers centraux devront provoquer une profonde récession en réponse à une forte inflation incontrôlable. « La vie deviendra beaucoup plus difficile », a-t-il déclaré.