Pourquoi la Russie viserait-elle ses propres infrastructures gazières ?

Après les fuites de Nord Stream 1 et 2, et les explosions sous-marines repérées au même moment, les dirigeants européens n’ont plus beaucoup de doutes sur la possibilité d’une attaque ou d’un sabotage. Personne ne vise explicitement la Russie pour le moment, mais les suspicions sont grandes. Reste à comprendre pourquoi Moscou endommagerait ses propres infrastructures.

Pour la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, il s’agit « d’une action de sabotage ». Les Premières ministres danoise et suédoise, Mette Frederiksen et Magdalena Andersson, sont également convaincues « d’un acte délibéré », comme les États-Unis. Mais personne ne connait l’origine exacte de l’explosion à l’heure d’écrire ces mots.

Seul le conseiller présidentiel ukrainien Mikaylo Podolyak parle « d’une attaque terroriste de la Russie pour déstabiliser l’UE ».

En envisageant un sabotage russe, il faut en comprendre les raisons. Le contexte d’abord : le projet Nord Stream 2 a été mis en suspens dès le début du conflit en Ukraine. Il ne fonctionnait pas, mais contenait quand même du gaz. Concernant Nord Stream 1, il était officiellement à l’arrêt depuis la fin août après avoir fonctionné à capacité réduite pendant des mois. Moscou était accusé de jouer avec les vannes pour faire grimper les prix et tenter de mettre la pression sur l’UE.

La Russie pourrait vouloir faire passer un message

Les fuites sont apparues le jour où la Pologne et la Norvège ont célébré l’ouverture d’un autre gazoduc – le Baltic Pipe – dont le débit doit commencer ce samedi.

Le moment choisi pourrait être délibéré, selon Simone Tagliapietra, chargé de recherche au groupe de réflexion Bruegel. « Le gazoduc de la Baltique est l’un des principaux moyens pour la Pologne de se diversifier en s’éloignant de la Russie… Il pourrait s’agir d’un geste symbolique », explique l’expert.

« Si ce que nous avons vu aujourd’hui se produit sur l’un de nos gazoducs en provenance de Norvège ou d’Algérie pendant l’hiver, nous aurons de gros problèmes. Des gazoducs aux usines de GNL, la sécurité et la surveillance des infrastructures doivent être renforcées dans toute l’Europe », a prévenu le chercheur qui parle de stress-test pour l’Europe.

Le conflit passerait dans une autre dimension

Si les infrastructures énergétiques européennes sont menacées, le conflit passerait sans aucun doute dans une autre dimension. Robert Habeck, le vice-chancelier allemand, en est bien conscient : « Nous sommes, bien sûr, dans une situation en Europe et en Allemagne où les infrastructures critiques sont des cibles potentielles. L’Allemagne est un pays qui sait se défendre, et l’Europe est un continent qui peut protéger ses infrastructures énergétiques », a-t-il fait savoir.

La Norvège a pour sa part levé le niveau d’alerte de sécurité de ses installations pétrolières et gazières.

Mais cela peut aller au-delà de l’énergie. La Grande-Bretagne craint depuis un certain temps que les câbles sous-marins qui alimentent internet ne soient une cible potentielle. En tout cas, les sous-marins russes qui rôdent dans l’Atlantique et la mer Baltique ont toujours été des sources d’inquiétudes.

Moscou n’accuse personne

Il est à noter que Moscou adopte une communication prudente et n’accuse personne. Il n’est pas question ici d’une menace d’utilisation d’armes nucléaires comme c’est par exemple le cas dans le contexte des territoires annexés et de leur référendum. Le porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov, n’exclut lui non plus « aucune possibilité », et pour lui, « il est évident que la canalisation a été détruite d’une manière ou d’une autre. Avant les résultats de l’enquête, il est impossible d’exclure une quelconque option. »

Rappelons que NS1 et NS2 ne fournissent plus d’énergie. À court terme, le coût est donc quasi nul pour Gazprom. A contrario, les prix du gaz s’envolent. Dans tous les cas, cet incident pourrait justifier bien d’autres manœuvres et une escalade du conflit.

« Merci les États-Unis »

Radek Sikorski, ancien ministre de la Défense polonais et désormais député européen, regarde lui vers les États-Unis. Il a partagé sur Twitter la photo qui a fait le tour du monde, avec la légende « Merci, USA ».

Le tweet de M. Sikorski, actuellement président de la délégation européenne qui gère les relations entre l’UE et les États-Unis, suggère donc que les États-Unis sont derrière le sabotage. Ce n’est un secret pour personne que les États-Unis se sont fortement opposés aux gazoducs, qui acheminent le gaz russe vers l’Europe. Plus tôt cette année, le président américain Joe Biden a déclaré qu’il n’y aurait « plus de Nord Stream 2 » si la Russie envahissait l’Ukraine. « L’époque mettra fin à cela. Je vous garantis que nous serons en mesure de le faire ». Les États-Unis ont toujours dit qu’ils voulaient que l’Europe devienne moins dépendante de la Russie en matière d’énergie.

Quel que soit le responsable, il convient également de noter que la CIA, l’agence américaine de renseignement extérieur, a averti l’Allemagne il y a plusieurs semaines que les pipelines NS pourraient être la cible d’une attaque, écrit le magazine allemand Der Spiegel.

En Pologne, on réagit très négativement aux insinuations de Sirkoski : « Il s’agit de propagande russe, qui lance une campagne de diffamation contre la Pologne, les États-Unis et l’Ukraine, en accusant l’Occident du sabotage de NS 1 et NS 2. Confirmer maintenant les mensonges russes, c’est mettre en danger la sécurité de la Pologne. Quelle irresponsabilité flagrante ! », a tweeté Stanisław Żaryn, vice-ministre de l’Intérieur chargé de la coordination des forces spéciales.

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