Pour Henry Kissinger, les États-Unis ont « perdu toute orientation stratégique » en Afghanistan

Il n’était pas possible de transformer l’Afghanistan en une démocratie moderne, note l’homme d’État américain Henry Kissinger dans The Economist. Mais une « diplomatie créative » associée à une action décisive aurait pu endiguer définitivement la terreur islamiste émanant du pays.

Pourquoi est-ce important ?

Âgé de 97 ans, Henry Kissinger a été secrétaire d'État américain dans les gouvernements des républicains Richard Nixon et Gerald Ford. Il est l'un des principaux géo-stratèges des six dernières décennies ; il y a des bibliothèques à remplir uniquement de biographies de cet homme. Un article d'opinion de sa part sur le retrait américain de l'Afghanistan était donc inévitable.

Désormais, le sauvetage de dizaines de milliers d’Américains, d’alliés et d’Afghans dissidents est une priorité, selon Kissinger. Mais après cela, une question « fondamentale » se pose : comment l’Amérique a-t-elle été « amenée (…) à se retirer (…) ? » La décision a été prise « sans beaucoup d’avertissement ou de consultation avec les alliés, ou les personnes les plus directement impliquées dans ces 20 années sacrifiées ».

« Des objectifs politiques trop abstraits »

« Les États-Unis sont devenus déchirés (…) par une incapacité à définir des objectifs réalisables (…) », estime Kissinger. « Les objectifs militaires étaient trop absolus et inatteignables et les objectifs politiques trop abstraits et insaisissables. Notre incapacité à lier ces objectifs a entraîné l’Amérique dans des conflits sans point final définissable (…) ».

« Nous avons envahi l’Afghanistan avec un large soutien de l’opinion publique en réponse à l’attaque d’Al-Qaïda contre l’Amérique depuis l’Afghanistan contrôlé par les talibans. La campagne militaire initiale a été très efficace. Les talibans ont survécu principalement dans des sanctuaires pakistanais, d’où, avec l’aide de certaines autorités pakistanaises, ils ont mené des insurrections en Afghanistan. »
Mais, « lorsque les talibans ont fui le pays, nous avons perdu notre orientation stratégique. Nous étions convaincus que le seul moyen d’empêcher la réimplantation de bases terroristes était de transformer l’Afghanistan en un État moderne doté d’institutions démocratiques et d’un gouvernement régi par la Constitution. Aucun calendrier compatible avec les processus politiques américains ne pourrait être établi pour une telle entreprise. »

Après tout, l’Afghanistan n’a jamais été un État moderne, affirme Kissinger, mais une société de tribus ; un regret souvent exprimé.

« Une diplomatie créative avec l’Inde, la Chine, la Russie et le Pakistan »

Kissinger trouve donc que le retrait a été trop abrupt. Il considère notamment l’absence de dialogue avec les voisins de l’Afghanistan comme une erreur cruciale. « Le cours politico-diplomatique aurait pu explorer l’un des aspects particuliers de la réalité afghane : le fait que les voisins du pays – même s’ils sont hostiles les uns aux autres et parfois à nous – se sentent profondément menacés par le potentiel terroriste de l’Afghanistan. »

Par conséquent : « Aurait-il été possible de coordonner certains efforts communs de lutte contre le terrorisme ? (…). Une diplomatie créative avec l’Inde, la Chine, la Russie et le Pakistan aurait pu aboutir à des mesures communes pour endiguer le terrorisme en Afghanistan. Cette stratégie est la manière dont la Grande-Bretagne a défendu l’accès terrestre de l’Inde au Moyen-Orient depuis un siècle, sans bases permanentes, mais avec une volonté permanente de défendre ses intérêts, avec des alliés régionaux ad hoc. »

Mais : « cette alternative n’a jamais été explorée. Après avoir fait campagne contre la guerre, les présidents Donald Trump et Joe Biden ont entamé des négociations de paix avec les talibans, que nous nous étions engagés il y a 20 ans à exterminer, et ils ont persuadé nos alliés de nous aider. Ces négociations ont maintenant abouti à ce qui équivaut à un retrait américain inconditionnel de la part de l’administration Biden. »

En conclusion, « l’Amérique ne peut échapper à un rôle clé dans l’ordre international en raison de ses capacités et de ses valeurs historiques. Elle ne peut y échapper en se retirant. La lutte (…) contre le terrorisme, renforcée et soutenue par des pays disposant (…) de technologies de plus en plus sophistiquées, restera un défi mondial. Elle doit être menée avec des intérêts stratégiques nationaux, ainsi qu’avec la structure internationale que nous pouvons créer par une diplomatie appropriée. »

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