Plus de 100 jours d’une guerre non déclarée : des soldats russes épuisés qui n’en peuvent plus

Des soldats russes se filment en réclamant des comptes à leur commandement et au monde politique. Certains combattent sans interruption depuis plus de trois mois, dans une guerre qu’ils ne comprennent pas toujours. Beaucoup réclament publiquement de pouvoir rentrer voir leurs proches, certains contactent même des avocats.

Ces dernières semaines, l’armée russe a obtenu quelques gains territoriaux notables dans la bataille du Donbas, mais la résistance ukrainienne reste farouche et le front ne s’est toujours pas effondré. Sur le front de Kherson dans le sud, ce sont les Ukrainiens qui progressent lentement et espèrent reprendre la ville pour menacer les arrières russes, tandis que des partisans multiplient les sabotages sur les arrières. Une situation de plus en plus dure pour les soldats des deux camps et les civils pris dans les combats.

Mais là où les Ukrainiens défendent leur pays et leurs aspirations démocratiques, les militaires russes, eux, sont de plus en plus nombreux à atteindre leurs limites, après plus de trois mois de combats loin de chez eux.

Des soldats qui réclament des comptes

Selon une série de témoignages relayés par le quotidien britannique The Guardian, de nombreux soldats russes sont à bout. Certains combattants ont lancé un appel public à Vladimir Poutine pour qu’une enquête soit menée sur les conditions de vie sur le champ de bataille et sur la légalité de leur déploiement au front. Parmi ceux-ci, quelques-uns sont allés jusqu’à témoigner en vidéo, listant leurs malheurs tout en offrant ainsi au monde – et aux Russes – un son de cloche bien différent de celui de la propagande du Kremlin.

L’approvisionnement et les soins médicaux ne suivent pas

Ces soldats se plaignent des conditions de vie dans lesquels ils se trouvent dans l’est de l’Ukraine, mais aussi du délabrement de la logistique et de l’inadéquation des soins médicaux – y compris de santé mentale.

D’autres font part de leur amertume après trois mois en territoire étranger, déployés dans un conflit qu’ils n’ont pas demandé, et alors qu’ils sont séparés de leur famille et de leurs proches. « Notre unité a été confrontée à la faim et au froid », peut-on entendre proclamer des soldats du 113e régiment de Donetsk, sous contrôle russe. « Pendant une période significative, nous étions sans aucun soutien matériel, médical ou alimentaire. » […] « Compte tenu de notre présence continue et du fait que parmi notre personnel, il y a des gens qui ont des problèmes médicaux chroniques, des gens qui ont des problèmes mentaux, de nombreuses questions se posent qui sont ignorées par les hauts responsables au quartier général. »

Une armée qui manque de troupes fraiches

La grogne parmi les soldats russes faisait l’objet de rumeurs depuis des mois, mais cette fois, ceux-ci prennent la parole collectivement et publiquement. Il faut dire que dans cette guerre, les deux armées ont peu l’occasion d’organiser une rotation des unités de combat afin d’offrir un temps de repos à ceux qui ont passé un certain temps au front. Malgré leur motivation, des signes d’épuisement ont été rapportés du côté ukrainien. Mais c’est sans doute pire côté russe, où les soldats semblent souvent avoir été embarqués dans une invasion qui n’a pas dit son nom sans qu’on les informe des objectifs réels de la campagne.

En outre, et à l’inverse de l’Ukraine, la Russie n’a pas pu décréter la mobilisation générale, car elle n’est selon elle pas en guerre. Comme, en tant de paix, les réservistes de l’armée russe ne sont pas censés être déployés à l’étranger, celle-ci dispose de très peu de troupes pour combler les pertes ou pour remplacer les unités éprouvées par d’autres, plus fraiches, et ce malgré des expédients, voire des menaces, pour augmenter le nombre de soldats professionnels mobilisables. L’armée russe a un parc à matériel énorme, mais fort peu d’infanterie pour l’accompagner, et ce sont en fait les Ukrainiens qui ont plutôt l’avantage du nombre, si l’on compte l’ensemble du personnel disponible.

40.000 pertes humaines, dont de nombreux gradés

Les Russes restent donc longtemps en ligne et, si on les renvoie à l’arrière, il n’y a pas grand-monde pour combler les pertes, en particulier parmi les officiers, dont le taux de mortalité est très élevé. Tous ces facteurs usent encore le moral d’une armée qui a beaucoup souffert : la semaine dernière, le Renseignement français estimait le total de ses pertes humaines à 40.000 soldats. Et c’est là une estimation plus élevée que celle des Anglo-Saxons, mais plus basse que les chiffres avancés par les Ukrainiens.

Certains soldats ont déclara au Guardian avoir tenté d’en savoir plus sur la légalité de leur engagement prolongé dans une opération à l’étranger afin de tenter de trouver une porte de sortie: « Les trois mois de combat me semblent déjà plus longs que les quatre années que j’ai passées à servir dans l’armée en temps de paix », a déclaré Andrei, du 113e régiment. « J’ai déjà contacté un avocat en ligne qui m’a dit que, selon la loi, le général peut nous garder ici jusqu’à la fin de notre contrat, donc il n’y a pas grand-chose que nous puissions faire. »

Le désespoir des frontoviks

Ce climat de désespoir et de défiance envers les autorités parmi les frontoviks, les soldats du front selon un mot issu des guerres mondiales, prouve encore une fois que Moscou et son armée pariaient sur une guerre courte et victorieuse, pas un long conflit d’usure. Or, usés, les soldats le sont incontestablement, et qui connait un peu l’histoire de Russie tracera immanquablement le parallèle avec l’année 1917, quand les troupes du Tsar se sont massivement débandées, ne comprenant plus pourquoi elle faisait la guerre à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie depuis trois ans pendant qu’à l’arrière, leurs familles manquaient de tout.

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