Plus d’1 million de barils par jour en moins : l’OPEP+ coupe à nouveau dans ses quotas de production. Le marché est stupéfait. Quelles pourraient être les raisons de cette décision soudaine ?
La réduction soudaine de la production de l’OPEP+ passe mal : un doigt d’honneur aux banques centrales

Pourquoi est-ce important ?
L'Organisation des pays exportateurs de pétrole et ses alliés (OPEP+) représente 40% de la production mondiale de pétrole. Ses décisions sur les quotas de production ont habituellement un impact important sur les marchés et les cours du baril.Dans l’actu : la réduction surprise de la production de l’OPEP, ce dimanche soir.
- Le cartel a décidé de réduire la production de 1,16 million de barils par jour, dès le mois de mai et jusqu’à la fin de l’année. L’Arabie saoudite a lancé l’offensive en coupant 500.000 barils par jour, devant les Émirats arabes unis (-144.000), le Koweït (-128.000), l’Oman (-40.000), l’Irak (-210.000), l’Algérie (-48.000) et le Kazakhstan(-78.000).
- La Russie avait annoncé réduire sa production de 500.000 barils par jour également, il y a plusieurs semaines.
- En octobre, les pays membres avaient déjà décidé de réduire la production de deux millions de barils par jour, dans un contexte de ralentissement économique. Ensuite, ils avaient fait plusieurs annonces selon lesquelles ils garderaient l’offre « stable ». D’où l’effet de surprise de cette nouvelle réduction.
Conséquence : les prix sont partis en flèche. Le baril de WTI est en hausse de plus de 6% et se négocie à 80 dollars. Le Brent a aussi gagné plus de 6% et se négocie à 85 dollars, à l’heure d’écrire ces lignes.
Pourquoi une telle réduction ?
L’essentiel : les raisons derrière la décision.
- Offre et demande ? La variable de l’offre et de la demande ne semble pas être l’élément déterminant dans cette décision. Au contraire : avec la reprise en Chine, certains experts s’attendaient même à ce que l’OPEP augmente ses quotas de production.
- Gonfler le prix ? Il faudrait plutôt regarder de ce côté-là pour comprendre la décision. Avec le stress bancaire, les prix de l’or noir étaient retombés à leur niveau le plus bas depuis fin 2021. Or, on le sait, l’OPEP préfère quand le prix est élevé.
- L’organisation ne s’en cache pas. « Au sein de l’OPEP+, l’honnêteté du Kremlin est rafraîchissante : les réductions de la production de pétrole étaient destinées à maintenir ‘les prix du pétrole brut et des produits pétroliers à un certain niveau’, a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, selon l’agence de presse russe Interfax », commente Javier Blas, spécialiste de l’énergie pour Bloomberg, sur Twitter.
- Cette décision pourrait aussi avoir été prise pour court-circuiter les spéculateurs qui pariaient sur une baisse continue du prix du baril, note Bloomberg. Les paris sur une baisse du prix étaient en hausse en mars, et se trouvaient à leur plus haut en quatre ans. Les paris sur la hausse du cours étaient au plus bas en plus de dix ans.
- Géopolitique ? La réponse pourrait aussi se trouver de ce côté-là. C’est en tout cas ce qu’indique Simone Tagliapetra, expert en énergie pour le think tank Bruegel, sur Twitter : « La décision surprise de l’OPEP+ de réduire sa production de pétrole de plus d’un million de barils en dit plus sur la géopolitique que sur les marchés de l’énergie. Riyad semble de plus en plus éloigné de Washington et de plus en plus proche de Moscou et de Pékin. »
- L’Arabie Saoudite s’approche en effet de plus en plus de Pékin, même sur le plan sécuritaire et militaire. Saudi Aramco vient d’ailleurs de signer d’importants contrats de livraison de pétrole, à long terme, avec des entreprises chinoises. Pékin est ainsi en quelque sorte protégé contre les effets qui découlent de cette baisse de production.
Zoom arrière : un doigt d’honneur à Biden (et aux banques centrales).
- Toujours dans la géopolitique : la décision de réduire la production va fortement déplaire à la Maison Blanche. En octobre déjà, les États-Unis avaient essayé de dissuader les pays de réduire la production et promis des représailles après la décision. Biden avait décidé de puiser dans les réserves de pétrole pour limiter la hausse des prix du baril.
- Aujourd’hui, Biden ne peut plus tellement se reposer sur cette option. Avec l’inflation, il a puisé dans ces réserves comme aucun président avant lui. Rien que sur l’année 2022, elles ont baissé de près de 40%. Le niveau actuel (dernier recensement : 24 mars) est de 371 millions de barils.
- Les États-Unis attendaient un prix situé entre 65 et 70 dollars le baril (de WTI) environ pour commencer à remplir les réserves. Or, ce train est visiblement parti, pour un bout de temps. Avec des conséquences graves pour les États-Unis, qui perdent un atout important pour lutter contre l’inflation et pour contrer les marchés (et l’OPEP).
- Coup dur aussi pour les banques centrales : un prix du pétrole élevé est une pression inflationniste. Si l’inflation repart à la hausse, les banques centrales, comme la Fed et la BCE pourraient devoir augmenter les taux d’intérêt plus que ce qui est actuellement estimé. L’économie pourrait alors ralentir de trop et tomber en récession, plongeant le secteur bancaire dans la crise.