« L’hydrogène bleu est plus polluant que le charbon »: le plan climatique de Biden repose-t-il sur une vaste arnaque ?

Ce jeudi, une étude américaine au sujet de l’hydrogène bleu a livré des conclusions très pessimistes. Elle va jusqu’à faire voir à certains des « cadeaux massifs » faits à l’industrie fossile dans le vaste projet de loi sur les infrastructures de l’administration Biden, un outil clé de la lutte contre le réchauffement climatique. De quoi faire sortir les lobbys de leurs gonds.

Ce mardi, le Sénat américain a adopté le plan d’infrastructures de 1.200 milliards de dollars proposé par l’administration Biden. Il doit encore être adopté par la Chambre des représentants. Etant donné que celle-ci est à majorité démocrate, tout porte à croire que le plan sera avalisé.

La foultitude de mesures comprises dans le pack sont notamment guidées par un grand objectif: la réduction des émissions des gaz à effet de serre de moitié d’ici 2030 (par rapport aux niveaux de 2005), et le passage au zéro-émission pour 2050.

Pour ce faire, les États-Unis comptent, entre autres, s’appuyer sur l’hydrogène, pour lequel un investissement de 8 milliards de dollars est prévu. Ses partisans présentent cette solution comme une alternative à faibles émissions pour le transport maritime, le camionnage, l’aviation, voire même le chauffage domestique.

Hydrogène vert, bleu, rose, jaune: quelles différences ?

L’hydrogène a le vent en poupe depuis quelques années. Il semble offrir une solution pour soutenir notre mode de vie de façon bien plus responsable sur le plant écologique. Mais il existe plusieurs façons d’en produire, chacune désignée par des couleurs.

La « star » du moment est l’hydrogène vert. C’est celui qui consiste à produire de l’hydrogène à partir d’énergie renouvelable (éolienne ou solaire, par exemple) , par le processus d’électrolyse de l’eau. Il y a consensus: il s’agit d’un carburant propre, décarboné.

Il existe également l’hydrogène bleu. Cette méthode consiste à diviser le gaz naturel en hydrogène et en dioxyde de carbone, puis à capturer et à stocker le CO2 pour éviter qu’il ne réchauffe la planète. Jusqu’à présent, on le considérait comme une alternative bas carbone (et non non carbone), dans la mesure où l’entièreté du CO2 induit par sa production ne peut pas être captée.

On retrouve encore toute une panoplie d’autres couleurs. L’hydrogène jaune repose sur un mix de sources renouvelables et fossiles, tandis que le rose, par exemple, est produit avec l’énergie nucléaire. Sans oublier le gris, le plus produit actuellement, qui repose non pas sur l’électrolyse de l’eau mais sur le gaz naturel, via des combustibles fossiles. Ses émissions de CO2 ne sont pas captées, ce qui n’en fait donc pas une solution pour le futur.

L’hydrogène bleu détruit par une nouvelle étude

Ce jeudi, deux chercheurs, de l’université Stanford et de l’université Cornell (États-Unis) ont publié dans la revue Energy Science & Engineering un article très négatif envers l’hydrogène bleu. Si on savait qu’il n’était pas parfait, cette nouvelle étude le fait passer comme étant totalement obsolète.

Les auteurs de l’étude alertent sur le fait que le processus de production de l’hydrogène bleu implique le rejet accidentel de méthane, un puissant gaz à effet de serre, et utilise une énorme quantité d’énergie pour séparer puis stocker le dioxyde de carbone, dont une partie finit par s’échapper quoiqu’il arrive.

D’après leurs calculs, la production de cet hydrogène crée en réalité 20% de gaz à effet de serre de plus que le charbon, communément considéré comme le combustible fossile le plus polluant, lorsqu’il est brûlé pour produire de la chaleur, et 60% de plus que la combustion de diésel.

« Notre analyse suppose que le dioxyde de carbone capturé peut être stocké indéfiniment, une hypothèse optimiste et non prouvée », précisent-t-ils encore. « Même si elle est vraie, l’utilisation de l’hydrogène bleu semble difficile à justifier pour des raisons climatiques. »

Quelle sera la couleur de l’hydrogène prôné par Biden ?

Cette nouvelle étude fait encore plus polémique dans la mesure où le projet de loi américain sur les infrastructures ne fait pas mention de la version de l’hydrogène pour lequel 8 milliards de dollars seront mobilisés. Pour l’instant, le texte prévoit de développer de « l’hydrogène propre » via la création de quatre nouveaux centres régionaux. S’agit-il d’hydrogène vert, d’hydrogène bleu, d’un autre, ou d’un mélange de plusieurs couleurs ? On ne connaît pas encore la réponse.

Néanmoins, cette dénomination « d’hydrogène propre », plutôt que de parler directement « d’hydrogène vert », inquiète les auteurs de l’étude. Ils craignent qu’au moins une partie de ces investissements massifs n’aillent dans la production de l’hydrogène bleu, apparemment ultrapolluant.

« C’est assez frappant, j’ai été surpris par les résultats », a déclaré au Guardian Robert Howarth, scientifique de l’université Cornell. « L’hydrogène bleu est un joli terme de marketing que l’industrie pétrolière et gazière tient à promouvoir, mais il est loin d’être exempt de carbone. Je ne pense pas que nous devrions dépenser nos fonds de cette manière, pour ce genre de fausses solutions. »

Le journal britannique a également recueilli la réaction de Carroll Muffett, directeur général du Center for International Environmental Law (CIEL), un cabinet d’avocats qui se donne pour objectif de tendre vers un monde plus juste et plus respectueux de l’environnement.

« Nous regardons ce projet de loi et voyons des cadeaux massifs aux infrastructures de combustibles fossiles qui sont incompatibles avec une action sérieuse en faveur du climat », a dénoncé M. Muffett. « Le Congrès a fait tout son possible pour ne pas spécifier l’hydrogène vert et ce financement ne fait que soutenir l’industrie des combustibles fossiles. Le potentiel de ces technologies est régulièrement surestimé, alors même que les impacts sont sous-estimés. »

L’Empire contre-attaque

Face à l’abandon progressif des combustibles fossiles, les géants du milieu tentent vaille que vaille de se reconvertir. Notamment dans l’hydrogène. Plusieurs compagnies pétrolières telles que BP, Total ou Shell font d’ailleurs partie du Conseil de l’hydrogène, un groupe qui promeut l’hydrogène, dont il considère qu’il a un « rôle clé à jouer dans la transition énergétique mondiale » en remplaçant les carburants plus polluants.

L’industrie fossile mise notamment beaucoup sur l’hydrogène bleu, puisqu’il repose sur le gaz naturel et qu’il était, jusqu’à cette étude, considéré comme une alternative bas carbone. D’autant plus qu’à l’heure actuelle, les énergies renouvelables restent encore trop peu répandues et trop chères, selon elle, pour parier entièrement sur l’hydrogène vert.

Voir une étude bousiller les plans des leaders des énergies fossiles ne leur a pas plu du tout. Moins de 24h après la publication de l’article, Policy Resolution Group (PRG), un lobby industriel basé à Washington et axé sur l’énergie, a réagi pour critiquer le travail des deux chercheurs américains. Ceux-ci auraient appliqué de manière erronée des résultats à court terme à une vision à long terme.

« Tous deux sont bien connus pour leurs recherches sur les sujets liés au climat, mais il semble que toute analyse du cycle de vie à court terme est certaine de surestimer les impacts à long terme et de sous-estimer les avantages potentiels de l’hydrogène », a déclaré Frank Maisano, directeur principal du lobby, cité par MarketWatch. « Je trouve ironique que, dans leurs analyses précédentes, ils aient examiné l’ensemble du scénario climatique et se soient projetés dans l’avenir, mais que, lorsqu’ils se penchent sur l’hydrogène, ils semblent minimiser son potentiel à long terme et les progrès technologiques réels qui seront probablement réalisés. »

M. Maisano a aussi indiqué que l’hydrogène bleu serait utilisé principalement pour des piles à combustible, en exploitant ses propriétés électrochimiques et non son énergie thermique. Ce qui rend, selon lui, les conclusions des chercheurs bien moins pertinentes. « Cela dit essentiellement que si vous voulez chauffer de l’eau, l’hydrogène bleu n’est pas aussi écologique que les autres combustibles », a-t-il résumé.

Un « faux choix » ?

D’autres spécialistes, pas forcément impliqués dans des lobbys défendant les intérêts des géants des énergies fossiles, ont tenu à nuancer les conclusions de l’étude. C’est notamment le cas de Mike Fowler, directeur de la recherche sur les technologies énergétiques avancées au sein de la Clean Air Task Force (CATF), une organisation à but non lucratif qui milite pour des politiques de décarbonisation fondée sur la science.

D’après lui, les deux chercheurs se sont basés sur des taux de fuite de méthane supposés plus élevés que ce qui a été calculé jusqu’ici en moyenne aux Etats-Unis (2,3%) dans le cadre de la production de l’hydrogène bleu. Ce qui n’empêche pas M. Fowler de souligner que l’étude met le doigt là où il faut. Elle doit être un signal en vue multiplier les efforts pour réduire ces taux de fuite.

Enfin, selon lui, l’étude oppose l’hydrogène vert et le bleu comme des concurrents, alors « qu’il est probable que pour parvenir à la décarbonisation d’ici le milieu du siècle, nous aurons besoin des deux ». « Actuellement, les sources bleues sont moins chères que les vertes et pourraient constituer une source importante d’hydrogène à faible teneur en carbone pendant que le coût des vertes diminue. Étant donné l’urgence de la décarbonisation, le document présente un faux choix », conclut-il.

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