L’exemple balte : comment la Lituanie s’est préparée de longue date à la fermeture des vannes de gaz russes

Alors que les pays d’Europe occidentale s’activent à développer des alternatives au gaz russe pour leur balance énergétique, trois petits États de l’Union s’étaient préparés de longue date à ce genre d’éventualité. La Lituanie s’est même octroyé le plaisir de mettre fin elle-même à l’approvisionnement. Mais pour en arriver là, il a fallu se préparer afin de ne plus être vulnérable aux vannes du Kremlin.

Au début de ce mois d’avril, le gouvernement lituanien a annoncé qu’en réaction à l’invasion russe de l’Ukraine, son pays se passerait totalement de gaz venu de Russie, incitant au passage les autres États-membres de l’Union européenne à faire de même. La Lettonie lui a emboité le pas dans les jours qui ont suivi, tandis que l’Estonie s’était déjà affranchie des sources russes d’énergie depuis plusieurs années. Mais pour l’instant, aucun autre pays européen n’a pu reproduire un tel camouflet à la face du président russe.

La navire qui consacre l’indépendance (énergétique) du pays

Il faut rappeler que, au vu de leur histoire et de leur position géographique, les républiques baltes s’attendaient à ce que le gaz soit de plus en plus utilisé comme une arme géopolitique. Et la Lituanie s’y est préparée bien assez tôt : dès 2012, le pays a mis à flot Klaipėdos Nafta, un opérateur de terminaux pétroliers contrôlé par l’État, dont le directeur Rokas Masiulis s’est vu aussi confier la mise en service et la livraison d’un navire-terminal flottant de gaz naturel liquéfié.

« J’étais enthousiasmé par le projet Independence lorsque nous l’avons entrepris, mais je ne pouvais pas imaginer l’ampleur qu’il prendrait en fin de compte », a déclaré M. Masiulis auprès de Politico, qui a ensuite été ministre lituanien de l’Energie et des Transports et qui dirige aujourd’hui un gestionnaire de réseau électrique contrôlé par l’État.

Independence, c’est le nom qu’a reçu ce navire-terminal flottant qui permet de décharger les vaisseaux gaziers venus alimenter la Lituanie en énergie. Mis en service en 2014, il a été construit pour garantir que les consommateurs lituaniens puissent continuer à recevoir du gaz même si les relations politiques avec la Russie s’envenimaient au point que nous connaissons actuellement. Une précaution prise de longue date donc, et qui doit faire envie à de nombreux pays.

La France s’en sort, l’Allemagne sous pression

Si la France est encore bien fournie en terminaux sur sa côte atlantique, elle doit en construire un nouveau dans le port du Havre pour décharger le GNL américain. Mais l’Italie et l’Allemagne par exemple, ne disposent pas d’installations adaptées dans leurs ports et n’ont pas de débouché sur l’Atlantique, ce qui rend ces pays dépendants des gazoducs existants.

Le ministre allemand du Climat et de l’Économie, Robert Habeck, a déclaré qu’il faudrait attendre 2024 pour que l’Allemagne puisse être sevrée du gaz russe, au grand dam des Ukrainiens qui réclament un embargo total dès à présent. Or, pour ce pays comme pour d’autres, investir dans une unité flottante de stockage et de regazéification (FSRU) semblable à Independence semblerait un bon début, d’autant que cela peut se faire plus vite que de construire de nouvelles infrastructures portuaires sur les côtes. Ce type de navire peut pomper le GNL transporté par un vaisseau gazier, puis convertir le liquide en gaz, et enfin le stocker et l’acheminer là où il est nécessaire.

Berlin consomme 45 fois plus que Vilnius

Une solution idéale pour un petit pays avec une petite consommation comme la Lituanie, et qui pourrait s’insérer dans un projet plus large ailleurs. L’Italie, les Pays-Bas et l’Estonie ont déclaré qu’ils étudiaient des projets de FSRU, tandis que Berlin prévoit trois unités de ce type qui pourraient livrer 27 milliards de m3 de gaz par an.

Mais ces navires risqueraient de ne pas suffire pour garantir l’approvisionnement d’un pays tel que l’Allemagne, qui consomme 45 fois plus de gaz que la république balte (90 milliards de mètres/cubes contre 2 milliards) ; un flux qui doit être transporté par gazoduc.

L’Europe reste dépendante à moyen terme du gaz russe quoi qu’il arrive. Tout le GNL du monde ne comblerait que 50% de la demande, selon le patron d’Engie. Mais le prix de l’inaction coûte également très cher: l’Allemagne pourrait endurer une perte de 220 milliards d’euros en cas d’arrêt du gaz russe.

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