« Les cryptomonnaies ne reposent sur rien »: Quand le service public ne répète que ce que lui soufflent les banques

Les cryptos sont des actifs spéculatifs qui n’attirent que les curieux, les subversifs, les vénaux et les criminels, a asséné mercredi soir l’émission Déclic de la RTBF. Tout ça pour répéter une opinion catastrophiste émise par la Banque centrale européenne. Existerait-il une réalité parallèle ?

Déclic un peu sec pour celles et ceux qui s’intéressent à l’univers du bitcoin. Personnellement, ça pique encore. La RTBF se demandait hier si les cryptomonnaies allaient provoquer une nouvelle crise financière. Une question inspirée par les dires d’un membre de la BCE, qui a comparé lapidairement les actifs crypto aux fameux subprimes.

Une belle occasion de présenter ces évolutions techniques au plus grand nombre et de sensibiliser les foules aux progrès qu’elles portent. Sauf que la réponse fournie par l’émission du service public s’est inscrite dans une longue tradition de dénigrement. Involontaire ou non.

Allons, bon. Ce n’est que du code informatique, vous direz-vous. Il y a bien d’autres sujets bien plus urgents, vitaux, humains. C’est oublier que les enjeux sociétaux ne sont pas exclusifs et qu’en snobant la crypto, les médias grand public méprisent les personnes qui bâtissent ce nouvel écosystème, participent à l’avènement d’autres possibles.

Au-delà du monde bancaire

Durant son intervention, le journaliste rtbéien Arnaud Ruyssen livre comme à son habitude de limpides explications. Mais, précise notre confrère de son propre aveu, des explications tirées de discussions avec des « acteurs du monde bancaire ».

Bien conscient des contraintes de l’exercice, nous regrettons les propos ainsi relayés. Autant d’infos qui s’avèrent partiales et datées. Peu de nuance et d’actualité par rapport à un récit conservateur d’économistes et de banquiers classiques qui nous expliquent toujours principalement ce que ne sont pas les cryptomonnaies.

Il existe d’autres observateurs, penseurs ou acteurs respectables et pertinents au sujet de ces technologies émergentes -ne s’arrêtant pas aux applications financières- qui proposent une autre analyse de ce qu’ils estiment être de véritables monnaies cryptées.

Même en Belgique. Parlons-en plus souvent avec Auri Simon, l’exploratrice des métavers, Ruben Merre, le fabricant de wallets inattaquables, Kevin de Patoul, le « faiseur de marché » …

Innovation historique et prometteuse

Dans la vision de ces intervenants alternatifs, moins énergiquement rapportée par nos institutions médiatiques, depuis le bitcoin, pour la première fois dans l’histoire, la monnaie et son système de paiement sont intégrés.

Cet « argent digital » dispose d’un sous-jacent plus concret que la simple crédulité, puisqu’il repose sur un réseau informatique sécurisé où la confiance est établie mathématiquement, la valeur dépend de la communauté des utilisateurs, de l’usage qu’ils en font, et des applications par un écosystème industriel.

Petite précision au passage sur l’émulation technologique que le bitcoin a crééd. Sur les quelque 19.000 cryptomonnaies qu’on dénombre actuellement, la troisième crypto en termes de capitalisation de marché n’est pas le ripple (XRP, 30 milliards $ de marketcap) mais le tether (USDT, 83 milliards $), un stablecoin – par définition donc pas un actif numérique spéculatif volatil. Comme le nom l’indique, ce token a pour objectif fondamental de refléter en ligne le comportement d’actifs tiers tels que des devises légales par exemple.

Quant aux raisons d’investir dans les cryptos, vous nous concéderez d’emblée que personne ne place de l’argent dans le but de le voir déprécier.

Contrepoints

Nous pourrions débattre longuement et pourtant ne faire qu’effleurer le potentiel des cryptos, résultat évolutif de 40 années de recherches en informatique et réseautique. Nous n’avons même pas encore parlé de la finance décentralisée (DeFi) ou, pour sortir des sentiers bancaires, des organisations décentralisées automatiques (DAO). Cela étant dit, pour réagir brièvement aux quatre pouvoirs d’attraction des cryptomonnaies épinglés par la séquence de la RTBF :

  • Effet de curiosité ? Admettons-le même si cela fait plus de dix ans que les cryptomonnaies existent, dont plus de la moitié sous une couverture médiatique catastrophiste. La tentation du tabou, de l’interdit? Vaste débat philosophique mais cet effet ne valide pas à lui seul l’adoption par 300 millions d’utilisateurs.

  • Méfiance envers les Etats ? Précisément. Création sociale spontanée, la monnaie a été accaparée par le pouvoir politique pour devenir un moyen de pilotage de l’économie et de contrôle des citoyens. Bitcoin échappe à l’Etat. Invité pour présenter son dernière ouvrage, La monnaie fondante, le professeur/banquier privé Bruno Colmant le confirme, l’Etat perdrait de sa coercition si un crypto-actif entrait en concurrence avec une devise à cours légal. Quid du Salvador? Quid de la levée d’impôts à Buenos Aires en bitcoin? Quid de la reconnaissance comme monnaie contractuelle en Allemagne? …

  • De l’argent facile ? La tentation -encore elle- est grande dans un environnement où l’épargne coûte plus qu’elle ne rapporte et où les rendements des produits financiers classiques paraissent vite maigres face aux 9% d’intérêt offerts par des stablecoins – non spéculatifs pour mémoire- sur des programme de crypto-épargne (voire staking, farming, yielding).

  • Peu de contrôle ? Rien n’est plus faux si l’on en croit la prédominance du bitcoin sur le marché (40%, 745 milliards $) et de l’ether (20%, 346 milliards $), actifs numériques de deux blockchains qui permettent de remonter tout l’historique des transactions, un degré de traçabilité incomparable exploité à bon escient par les autorités (par exemple l’affaire Bitfinex aux Etats-Unis). Sans oublier que la proportion de transactions illicites en cryptomonnaies se révèle marginael, comme le quantifient les rapports de Chainanalysis, firme d’expertise judiciaire collaborant -entre autres- avec le FBI.

Le débat n’est pas clos. Certainement pas à l’heure où l’Union européenne risque de matraquer utilisateurs et entrepreneurs crypto.

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