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La visite de Nancy Pelosi valait-elle vraiment la peine pour Taïwan ?

La visite de Nancy Pelosi valait-elle vraiment la peine pour Taïwan ?
Nancy Pelosi & Tsai Ing-wen (Getty Images)

Mercredi, la politicienne américaine de haut rang Nancy Pelosi a visité l’île démocratique de Taïwan. La présidente de la Chambre des représentants jure que les Américains n’abandonneront pas Taïwan lorsque la Chine voisine exercera davantage de pression en faveur d’une « réunification » avec l’île. La Chine répond par des exercices militaires près de Taïwan et des sanctions économiques. La visite de Mme Pelosi en valait-elle la peine pour Taïwan, ou le pays devra-t-il payer un prix trop élevé pour sa quête d’une plus grande reconnaissance internationale ?

La visite de Nancy Pelosi à Taïwan et sa rencontre avec la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen peuvent sembler historiques, mais ne sont en fait pas nouvelles. Newt Gingrich, alors également président de la Chambre des représentants, s’était déjà rendu à Taïwan en 1997. Gingrich s’était aussi entretenu avec le président taïwanais de l’époque, Lee Teng-hui.

La visite de Mme Pelosi aujourd’hui est toutefois beaucoup plus sensible. Mme Pelosi a évoqué la solidarité américaine avec la démocratie taïwanaise. « Nous n’abandonnerons pas notre engagement envers Taïwan et nous sommes fiers de notre amitié durable », a déclaré Mme Pelosi.

Ces déclarations sont une représentation symbolique de l’érosion récente de la soi-disant « ambiguïté stratégique » que les États-Unis ont maintenue au cours des dernières décennies, lorsqu’il s’agissait de soutenir Taïwan comme une sorte d’allié de l’ombre. L’année dernière, il a été révélé que les États-Unis disposaient depuis longtemps d’un personnel de soutien militaire à Taïwan. Puis, en juin, il a été annoncé que la Garde nationale américaine allait effectuer des exercices militaires avec l’armée taïwanaise ; une étape décisive dans la politique de défense américaine en Asie. Pendant ce temps, les ventes d’armes à Taïwan, qui depuis 2020 comprennent même les désormais tristement célèbres systèmes de missiles HIMARS, se poursuivent sans relâche.

De manière générale, la visite de Pelosi et les dernières années sont, à première vue, une victoire pour le gouvernement Tsai et Taïwan. Le pays, que la Chine a transformé en paria international au siècle dernier en l’excluant des Nations unies et de ses institutions, est constamment sous les feux de la rampe et gagne de nouveaux alliés internationaux. La Lituanie, membre de l’UE, a par exemple autorisé Taïwan à ouvrir une ambassade officielle en novembre 2021. À Bruxelles, on ne parle encore que d’un « bureau de représentation de Taipei », une sorte de pseudo-ambassade de Taïwan qui sert de rempart à un rapprochement plus poussé avec l’Europe.

Pourtant, les conséquences géopolitiques pour Taïwan et l’ensemble de la région ne sont pas négligeables. La Chine est contrainte de répondre à ce qu’elle considère comme des tentatives de Taipei et de Washington de pousser la nation insulaire vers une déclaration d’indépendance totale. C’est là que réside le risque d’une escalade dangereuse.

« Comment pouvez-vous dédommager Taïwan pour votre voyage ? »

C’est le journaliste de Bloomberg, Samson Ellis, qui a posé une question importante à Mme Pelosi lors d’une conférence de presse à Taipei, mercredi. « Quels avantages concrets et tangibles pouvez-vous promettre à Taïwan pour compenser le coût de votre voyage ? » a demandé Ellis. Mme Pelosi a largement esquivé la question, parlant surtout de la récente décision américaine d’injecter plus d’argent dans le secteur des puces et de la manière dont cela profiterait à Taïwan.

La réalité est que Taïwan pourrait payer un prix très élevé pour la visite de Pelosi.

Premièrement, les conséquences économiques sont déjà là. Mardi, plus de 100 produits taïwanais figuraient déjà sur la liste noire de la Chine. Il s’agissait notamment de « marques très populaires de mignardises et de biscuits ». Il n’est pas tout à fait clair dans quelle mesure les 35 producteurs en question seront affectés par cette mesure. Mercredi, la Chine a annoncé qu’elle n’importerait plus une série de fruits et de produits de la pêche en provenance de Taïwan. La Chine n’exportera plus non plus de sable naturel vers Taïwan, une matière première essentielle à la construction, en raison de son rôle dans la production de béton.

Les liens économiques entre Taïwan et la Chine ne doivent pas être sous-estimés. Entre janvier et juin de cette année, les importations chinoises de produits taïwanais ont représenté 122,5 milliards de dollars.

Les conséquences militaires ne se feront sentir qu’à partir de jeudi. Pékin a annoncé des exercices militaires dans et autour du détroit de Taïwan peu de temps après l’arrivée de Pelosi. Ils se dérouleront du jeudi au dimanche. Cette fois, l’armée chinoise s’approchera beaucoup plus près de Taïwan que lors des exercices de tir de missiles qui ont eu lieu pendant la troisième crise de Taïwan. Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est que les zones annoncées où se dérouleront ces exercices chevauchent dans certains cas les eaux territoriales de Taïwan. Le ministère taïwanais de la défense accuse déjà la Chine de violer le droit international.

Les menaces chinoises sont devenues un « bruit de fond » pour les Taïwanais

Pendant ce temps, la vie quotidienne à Taiwan continue comme d’habitude. Le journaliste taïwanais Brian Hioe a écrit la semaine dernière que les constantes menaces militaires chinoises contre Taïwan « sont devenues un bruit de fond ».

« Les menaces de la Chine ne sont pas nouvelles. Elles font partie de ma vie, de celle de mes parents et des leurs. En fait, Taïwan est menacée par la RPC depuis près de 70 ans. Les trois crises du détroit de Taiwan en sont la preuve », a écrit la journaliste taïwanaise Clarissa Wei dans une tribune publiée par CNN mercredi.

(BL)

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