La dernière crise migratoire de l’Europe se déroule dans l’un des endroits les plus improbables, et le pourquoi est encore plus extraordinaire

La Lituanie, une nation balte grande comme deux fois la Belgique mais comptant moins de 3 millions d’habitants, n’est pas connue comme une destination favorite pour les réfugiés sans papiers. Cela semble pourtant changer. La raison derrière ce changement est inédite : le président biélorusse Alexandre Loukachenko utilise la migration comme une arme.

Pourquoi est-ce important ?

C'est un phénomène totalement nouveau: plus de 3 000 personnes sont délibérément arrivées par avion d'un pays très éloigné et sont laissées juste à la frontière de l'UE. "C'est un niveau d'agression et de représailles complètement différent."

Ces dernières années, en Lituanie, ils ont vu en moyenne environ 70 personnes franchir illégalement la frontière depuis la Biélorussie. Par an. Rien qu’en juin, les autorités lituaniennes ont arrêté plus de 470 personnes le long de cette frontière. En juillet, ce nombre est passé à plus de 2 600. Pour être clair, il ne s’agit pas de Biélorusses, mais principalement de migrants originaires d’Irak et d’Afrique subsaharienne. Les responsables s’attendent à ce que leur nombre augmente dans les semaines à venir.

Selon les responsables lituaniens et européens, ce nouveau flux de personnes n’a pas commencé de manière organique. Il s’agit plutôt du résultat d’un plan audacieux du président biélorusse Alexandre Loukachenko visant à utiliser les migrants comme une arme en réaction aux sanctions européennes contre la Biélorussie.

Cette vague concernerait principalement des Yézidis, dont l’Irak semble vouloir se débarrasser

« Le nombre croissant de migrants illégaux envoyés à la frontière entre la Lituanie, l’UE et la Biélorussie est une attaque hybride orchestrée par le régime de Loukachenko », a déclaré le président lituanien Gitanas Nausėda dans un communiqué. « Le régime utilise l’immigration clandestine comme une arme d’État en représailles à la politique lituanienne et européenne. »

En juin dernier, M. Loukachenko a menacé de permettre aux passeurs d’êtres humains et de drogue d’entrer en Europe. Maintenant, il semble que son gouvernement encourage également les immigrants à le faire : il y a une coordination avec une agence de voyage biélorusse pour offrir des visas de tourisme, organiser des vols et ensuite transporter les personnes de Minsk à la frontière lituanienne. Il s’agirait principalement de la minorité yézidie irakienne, qui a survécu au génocide perpétré par l’État islamique et a lutté dans les années qui ont suivi contre les exils forcés. Une minorité dont le gouvernement irakien semble vouloir se débarrasser.

« Il s’agit d’un niveau d’agression et de représailles très différent »

Les autorités lituaniennes disent avoir des preuves de l’implication du gouvernement et des entreprises publiques de Biélorussie dans le transport des migrants vers la frontière. Les analystes sont d’accord et qualifient la démarche de brutale et dangereuse. « Ce sont 3 000 personnes qui ont été délibérément amenées par avion d’un pays très éloigné et laissées juste à la frontière de l’UE. Et c’est un phénomène totalement nouveau », déclare Camino Mortera-Martinez, chargé de recherche au Centre for European Reform. « C’est un niveau très différent d’agression et de représailles. »

Le ministre lituanien des Affaires étrangères, Gabrielius Landsbergis, s’est rendu à Bagdad à la mi-juillet pour rencontrer son homologue irakien. Cet effort diplomatique, auquel ont participé de hauts responsables de l’Union européenne, visait à limiter les migrations. En public, les négociateurs affirment que les discussions se déroulent bien, mais les vols de l’Irak vers la Biélorussie, pendant ce temps, continuent.

Un nouveau défi pour l’UE

La Biélorussie nie être à l’origine de ce nouveau flux de migrants. Selon Andrei Lozovik, représentant du pays auprès de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’augmentation du nombre de migrants est due à l’assouplissement des restrictions liées à la pandémie et aux tensions dans les pays d’origine des migrants, rapporte l’agence de presse nationale biélorusse BelTA. Il a également immédiatement accusé l’Europe et la Lituanie de politiser la question.

Ce conflit naissant est encore loin de l’ampleur de l’urgence internationale de 2015 et 2016, lorsque 1,4 million de migrants sont entrés illégalement en Europe. Il n’en reste pas moins qu’il constitue un défi pressant à la frontière extérieure de l’UE avec un voisin de plus en plus agressif, qui, il y a deux mois à peine, a détourné un avion de ligne civil et un journaliste dissident. Ce conflit met en évidence l’absence de politique cohérente en matière de migration et d’asile au sein du bloc européen, ce que même ses propres fonctionnaires reconnaissent comme une faiblesse.

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