Le mois dernier, Intel a (légèrement) défié Pékin dans une lettre annuelle adressée aux fournisseurs. L’entreprise américaine le regrette. Après s’être confondue en excuses, elle se met à l’autocensure.
Dans sa lettre initiale, publiée fin décembre, Intel indiquait vouloir « s’assurer que sa chaîne d’approvisionnement n’utilise pas de main-d’œuvre ou ne s’approvisionne pas en biens ou services dans la région du Xinjiang », suite aux restrictions imposées par « plusieurs gouvernements ». Dans le but d’éviter d’avoir recours à des produits ayant possiblement impliqué du travail forcé des Ouïgours.
Le document avait été publié sur le site Web d’Intel en plusieurs langues, afin de toucher les consommateurs chinois. Dans la foulée, de nombreux Chinois avaient fait part de leur mécontentement, certains appelant même au boycott des produits Intel.
Suite à la colère de la Chine, le fabricant américain de puces électroniques s’était empressé de présenter ses plus plates excuses via son compte officiel sur WeChat, la plus grande plateforme de réseaux sociaux de Chine
« Nous tenons à présenter nos excuses à nos respectueux clients et partenaires chinois ainsi qu’au public. Nous avons une relation profonde avec la Chine, avec plus de 36 ans d’investissement, une coopération approfondie et plus de 10.000 employés en Chine », avait expliqué Intel. L’entreprise avait ajouté avoir simplement voulu se conformer à la loi américaine, ce qui lui avait permis de ne plus se positionner sur la question des Ouïghours.
Place à l’autocensure
Cette semaine, le Wall Street Journal annonce qu’Intel est encore passé à un autre stade. Celui de l’autocensure. Le paragraphe consacré au Xinjiang ne figure désormais plus dans la lettre de la société. On n’y retrouve d’ailleurs même plus de référence à la Chine.
La lettre stipule désormais qu’Intel interdit « tout travail involontaire ou issu de la traite des êtres humains, tel que le travail forcé, la servitude pour dettes, la prison, le travail sous contrat ou l’esclavage, dans l’ensemble de [ses] chaînes d’approvisionnement étendues ».
Une mise à jour lui permettant de ne plus avoir de problème avec Pékin, tout en continuant de faire valoir certaines valeurs. En apparence, bien sûr.
Une autocensure qui a eu tôt fait de faire réagir le sénateur Marco Rubio, l’un des quatre politiciens américains qui ont introduit la loi sur la prévention du travail forcé ouïghour le mois dernier, appelant à une interdiction des importations en provenance du Xinjiang en raison d’allégations de travail forcé dans cette région.
« La lâcheté d’Intel est une autre conséquence prévisible de la dépendance économique vis-à-vis de la Chine », a-t-il déclaré via un communiqué de presse. « Au lieu de présenter des excuses humiliantes et de faire de l’autocensure, les entreprises devraient déplacer leurs chaînes d’approvisionnement vers des pays qui n’utilisent pas le travail forcé ou ne commettent pas de génocide. Si des entreprises comme Intel continuent à obscurcir les faits concernant la loi américaine juste pour apaiser le parti communiste chinois, alors elles devraient être inéligibles à tout financement dans le cadre de la loi CHIPS. »
Cette loi CHIPS (pour Creating Helpful Incentives to Produce Semiconductors) permet (notamment) d’accorder des subventions à des entités comme Intel pour la production d’installations de semi-conducteurs afin de concurrencer la Chine.
Intel est loin d’être seule
Notons enfin qu’Intel n’est évidemment pas la première – et sans doute pas la dernière – multinationale à subir les foudres de Pékin pour avoir osé aborder la question du Xinjiang.
En mars de l’année dernière, Nike et H&M avaient elles aussi été la cible de l’indignation des Chinois car elles s’étaient inquiétées de la possibilité que des minorités ouïgoures soient utilisées pour cueillir le coton dans la région. L’entreprise suédoise avait finalement dû fermer au moins 20 magasins en Chine, tandis que l’américaine avait survécu, réussissant même à présenter des chiffres de vente élevés en Chine en avril.
En juillet, Kodak avait été amenée à présenter ses excuses aux Chinois après avoir partagé sur Instagram une photo d’un photographe qui accusait Pékin de violer les droits de l’homme au Xinjiang. Ce qui avait là aussi suscité la colère et l’émoi chez bon nombre de Chinois.
Les experts des Nations unies, quant à eux, affirment que plus d’un million de Ouïgours et d’autres minorités musulmanes sont détenus dans des camps au Xinjiang. Ces personnes y seraient victimes, entre autres, de torture et de stérilisations forcées. Le gouvernement chinois continue de le nier, estimant que ces camps sont une sorte de centres de formation destinés à stimuler l’emploi de ces minorités et à contrer l’extrémisme musulman.