« Il faudra s’habituer à une inflation élévée »: Bank of America annonce la couleur des années à venir

L’inflation américaine et européenne de retour à 2% en 2024, estiment de nombreux observateurs. Ah bon? Bank of America n’est pas si sûr de cela. Selon la banque l’inflation restera bien plus persistante dans les années à venir. En cause : la hausse des salaires, la pénurie de main-d’oeuvre, le sous-investissement dans les énergies fossiles, la fin de la globalisation et le vieillissement de la population.

8,2% d’inflation aux Etats-Unis, au mois de septembre (par rapport au mois de septembre de l’année précédente). Après un taux de 8,3% au mois d’août. On ne peut pas vraiment parler de ralentissement en comparant les deux. Pire encore : la Fed, banque centrale des Etats-Unis, a déjà sorti les grosses cartouches (trois hausses consécutives des taux d’intérêt de 75 points de base) pour calmer la hausse des prix, mais en vain pour l’instant. Elle perd ainsi son combat contre l’inflation.

Un constat qui amène la banque de Wall Street, Bank of America (BofA), à réfléchir à un scénario différent et assez sombre. La décennie d’inflation à 2% maximum c’est fini, et il faut s’habituer à une décennie d’inflation élevée, notent les experts dans un rapport consulté par Markets Insider. « Historiquement, il faut en moyenne 10 ans à une économie développée pour retrouver une inflation de 2%, une fois le seuil de 5 % franchi », écrivent les analystes.

Ils s’attendent donc à ce que l’inflation reste élevée pendant longtemps. Bien plus longtemps que 2024, année vers laquelle de nombreux observateurs pointent pour le retour vers les 2%. Pour cette prévision, ils se basent sur trois éléments différents.

Des salaires trop bas et un marché du travail qui va rester tendu

« La croissance des salaires des non-cadres aux États-Unis a atteint 6 % au début de l’année pour la première fois en 45 ans et s’élève actuellement à 5,8 %. La croissance des salaires inférieure à 3 % au cours des deux dernières décennies semble être la valeur aberrante, car la dynamique des salaires commence à refléter celle du XXe siècle », expliquent les analystes.

En d’autres termes, si la hausse des salaires garde un tel cap, les prix des biens vont aussi augmenter plus rapidement. Mais dans l’absolu, ce n’est pas une mauvaise chose, si les deux se suivent et que le pouvoir d’achat reste le même (et si l’inflation ne s’emballe pas comme de manière affolante). Ce n’est cependant pas le seul élément du côté des salaires pouvant favoriser l’inflation constaté par BofA.

La banque note qu’environ un million de personnes âgées de 55 ans ou plus ne sont pas retournées sur le marché du travail, depuis la pandémie. Et ne vont sans doute pas y retourner. Cela crée une pénurie de main-d’oeuvre, qui mettra un certain temps à se résorber (et qui pourrait même s’aggraver, lire ci-après). Or, rappelons que la pénurie de main-d’oeuvre est une des raisons qui a contribué à créer l’inflation qui sévit actuellement aux Etats-Unis, en poussant rapidement les salaires à la hausse.

Sous-investissement dans l’énergie

La deuxième raison pour des années de forte inflation se trouve du côté de l’énergie. Voilà un élément qui parlera également au continent européen, où une des principales raisons de l’inflation est l’explosion des prix de l’énergie ; un problème existant aussi aux Etats-Unis, mais de manière moins prononcée.

Pour BofA, et la banque est loin d’être la seule à faire cette observation, il y a un problème de sous-investissement dans les énergies fossiles, dans le but de s’en débarrasser certes (pour essayer de réduire les émissions de CO2 et limiter le réchauffement climatique), mais qui se retourne aujourd’hui contre les pays. « Les investissements annuels dans le pétrole et le gaz sont tombés bien en dessous de 500 milliards de dollars après avoir atteint un pic de 750 milliards de dollars au milieu des années 2010. L’investissement dans des sources d’énergie relativement inefficaces, diffuses, coûteuses et pas encore prêtes (éolien et solaire) a laissé l’Europe exposée aux caprices d’un adversaire, contribuant substantiellement au déclenchement de l’inflation mondiale », explique BofA.

En résumé, l’on a essayé de rapidement se débarrasser des énergies fossiles, mais l’offre d’énergies renouvelables n’a pas suivi assez rapidement, ce qui crée une distorsion entre offre et demande. En plus de cela, les exploitations de gaz et de pétrole ont besoin d’investissements constants pour fonctionner ; la réduction des investissements détruirait ainsi une partie de l’offre. Ce problème va rester en place et contribuer à l’inflation, selon la banque.

Notons tout de même que les investissements dans le fossile ont doublé entre 2020 et 2021, et ont encore de beaux jours devant eux. Mais investir davantage dans les énergies renouvelables pourrait aussi être une solution au problème, et c’est d’ailleurs ce que de nombreux pays ont décidé de faire depuis l’invasion de l’Ukraine. Mais dans les deux cas, ça ne se fera pas en un jour.

Démographie

Pour la banque, ces deux premiers éléments peuvent être résolus par des décisions politiques. Mais un troisième élément, qui ne commence qu’à se profiler, va maintenir une pression inflationniste sur les prix.

« Le vieillissement de la population a été l’une des plus fortes forces déflationnistes de ces 30 à 40 dernières années. Il deviendra inflationniste dans les 30 à 40 prochaines années, à cause du nombre de travailleurs ayant des personnes à charge. Selon l’ONU, les ratios de dépendance américains ont atteint leur niveau le plus bas en 2010 et pourraient atteindre des sommets historiques dans les 40 prochaines années, ce qui suggère des risques de hausse de l’inflation à long terme », écrivent les analystes.

Une pénurie de main-d’oeuvre (comme ces personnes auront moins de temps à consacrer à l’emploi) gigantesque se forme ainsi à l’horizon. Une pénurie où la robotisation de certains métiers pourrait cependant servir de tampon.

A côté du vieillissement de la population, les analystes s’attendent aussi à une « déglobalisation ». Cela a également un effet sur l’inflation, car certaines zones du monde sont spécialisées dans certains types de production, comme la Chine qui est traditionnellement vue comme la « manufacture du monde ». Le temps de ramener certaines productions « à la maison » (en Occident notamment), il y aura des pénuries, ce qui créera une hausse des prix. Comme on peut le voir aujourd’hui avec les puces électroniques.

Bref, à en croire BofA, on pourrait devoir s’habituer à une inflation bien plus persistante que ce que l’on pense pour l’instant.

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