« Folie gauchiste », « anticonstitutionnel »: les critiques pleuvent sur la Bulgarie, qui a bloqué la hausse des prix de l’énergie

Face à la flambée des prix de l’énergie, le Parlement bulgare a récemment imposé un moratoire visant à bloquer la hausse les prix de l’électricité, du chauffage central et de l’approvisionnement en eau pour les ménages. Une décision qui fait polémique… et qui pourrait valoir des sanctions au pays.

Le marché bulgare de l’énergie est semi-réglementé. Toutes les entreprises achètent de l’électricité à la bourse de l’énergie, mais les prix pour les ménages sont réglementés administrativement et seront libéralisés en 2025. La semaine passée, le pays est entré dans un véritable chaos politique, lié à la volonté du Parlement de bloquer la hausse des prix de l’énergie.

Dans un premier temps, rapporte Svobodna Evropa, le Parlement a voté en faveur d’un moratoire sur les prix pour qu’ils restent bloqués à leurs niveaux à partir du 1er janvier 2021, sans préciser de date limite. Problème: le vote a été organisé dans la précipitation, sans débat. Rapidement, les députés ont reconnu avoir commis une « erreur », selon les termes du député du BSP (coalition de centre-gauche, au pouvoir) et ancien ministre de l’Économie Dragomir Stoynev.

Dans la foulée, un nouveau vote a été organisé en vue de fixer une échéance au moratoire: il courra jusqu’au 31 mars 2022. Le point de départ des prix gelés a lui aussi changé, passant du 1er janvier au 16 décembre 2021. Cela concerne les prix de l’électricité, du chauffage et de l’approvisionnement en eau pour les ménages. Les quatre partis au pouvoir (depuis le 13 décembre et la nomination d’un troisième gouvernement en moins d’un an) ont approuvé la mesure. Une bonne partie de l’opposition aussi.

Le régulateur indépendant perd ses pouvoirs

De son côté, la Commission de régulation de l’énergie et de l’eau (EWRC), le régulateur indépendant normalement chargé de proposer des modifications sur les prix du marché réglementé, avait proposé non pas de les bloquer pendant une certaine période, mais de les augmenter à partir du 1er janvier 2022. Des hausses d’environ 11,5% pour l’électricité et 16% pour le chauffage étaient sur la table.

Il n’en sera rien, le moratoire voté par le Parlement ayant gelé ses pouvoirs jusqu’à la fin du mois de mars.

Depuis, de nombreux économistes et experts en énergie vilipendent la décision du Parlement. Ils déplorent l’ingérence politique vis-à-vis du régulateur indépendant, et estiment que cela va perturber le marché. Ivan Hinovski, interrogé par Euractiv, prévoit que le moratoire causera des dommages importants – une image négative de la Bulgarie dans l’UE et un risque sérieux de faillite des opérateurs de réseau – au gestionnaire du système électrique et aux sociétés de distribution d’électricité.

« Ils traversent actuellement une forte crise de liquidités, ils ont besoin d’argent pour payer l’énergie qu’ils achètent, pour effectuer des réparations, et ils ont également des coûts technologiques », a-t-il expliqué. Il a ajouté que les mesures prises par le gouvernement n’ont pas pu calmer le marché ou les gens car les prix des actions continuent d’augmenter.

Sanctions européennes ?

D’après Kaloyan Staykov, un autre expert bulgare en énergie, malgré la crise, l’UE est loin de vouloir raviver le protectionnisme sur le marché de l’énergie. « Cela n’est possible à long terme que si les incidents de prix augmentent », a-t-il précisé.

« Le marché européen est intégré et libre, et nous exportons de l’énergie dans toute l’Europe. Les négociants de tout le continent achètent en Bulgarie, je ne dirais pas qu’il y a un risque de protectionnisme sur le marché de l’énergie dans le bloc », a confirmé M. Hinovski. Selon lui, le moratoire expose même la Bulgarie à des sanctions européennes.

« Toute l’Europe va se retourner contre la Bulgarie, il peut y avoir des sanctions parce que c’est une violation de la Constitution – le corps législatif a annulé la décision de l’organe de régulation indépendant. L’indépendance des régulateurs en Europe est surveillée de très près. C’est un principe de base de la démocratie », a-t-il souligné.

Les distributeurs indignés

Forcément, les sociétés bulgares de distribution et de fourniture d’électricité, ainsi que l’opérateur du réseau, ont condamné le moratoire. Ils estiment que cela pourrait entraîner l’effondrement de l’ensemble du système électrique et, par conséquent, de l’économie bulgare. Ils ont exhorté les législateurs à trouver d’autres moyens de soutenir les ménages au lieu de maintenir les prix artificiellement bas. Les distributeurs réclament, en outre, des indemnisations.

Notons enfin les mots très durs de l’ancien vice-Premier ministre et ministre dans deux cabinets Nikolay Vassilev. Il a qualifié la décision des députés de « folie ».

« C’est une folie passagère de tous les groupes parlementaires sauf celui du MRF (le seul parti, d’opposition, qui s’est abstenu de voter, dénonçant une ingérence vis-à-vis du régulateur, ndlr), ce qui est un honneur pour eux. La raison est le gauchisme, et le résultat est le gauchisme », a-t-il déclaré, lui qui est également économiste.

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