Entre les déclarations de De Croo et les discussions autour du taux d’épargne minimum, la Vivaldi vit un nouveau clivage gauche-droite

Une après-midi mouvementée attend la Vivaldi ce jeudi à la Chambre et plus tard au sein du kern. Deux dossiers sont sur la table du gouvernement fédéral et, par deux fois, ils opposent la gauche à la droite. Il y a d’abord le dossier du taux d’épargne minimum obligatoire. Les socialistes font feu de tout bois, avec un soutien important des Verts : ils veulent relever le taux d’intérêt minimum obligatoire, en limitant la différence entre le taux de la BCE et les taux d’épargne à 2%. Le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (cd&v) est clairement sous pression : « Il s’est mis dans une situation délicate », disent les socialistes, qui veulent maintenant « des résultats ». Mais ce n’est pas le seul dossier brûlant : le Premier ministre s’est mis tout seul dans la panade en voulant mettre sur « pause » les réglementations environnementales, dans un dossier qui était pourtant européen. Les Verts calment un peu le jeu, mais sont prêts à jouer aux échecs : « Nous n’allons pas faire sauter le gouvernement. Mais quoi qu’il en soit, si le gouvernement ne fonctionne plus et que le Premier ministre doit aller voir le roi à cause de ses propres déclarations stupides, alors, il nous aura fait un cadeau : le climat deviendra central dans la campagne », a déclaré une source écologiste de haut rang.

Dans l’actualité : De Croo doit s’attendre à une après-midi difficile à la Chambre.

Le détail : « Comment diable va-t-il encore conclure des accords aussi importants que les pensions ou la fiscalité », demandent en chœur ses propres vice-premiers ministres.

  • « Le Premier ministre pense qu’il peut tout se permettre aujourd’hui. Et c’est peut-être vrai, car personne n’ose vraiment débrancher la prise ». Une analyse sévère, qui fait tache d’huile au sein de la Vivaldi.
  • Ces dernières 24 heures, les partenaires de la coalition d’Alexander De Croo, de gauche à droite, ont assisté, bouche bée, au baril de poudre allumé par le Premier ministre, au sein de sa coalition. En se présentant lui-même devant les caméras de Terzake, mardi soir, et en torpillant la loi européenne sur la protection de la nature, il a frappé ses partenaires écologistes, qui ont pourtant souvent été ses meilleurs alliés au sein de la coalition, et du reste, les moins critiques de son action.
  • Groen et Ecolo ont été blessés. En interne, ils font une analyse sévère. Car « c’était déjà la troisième attaque de De Croo en une semaine », affirment-ils :
    • « D’abord, il y a eu le fait que nous allions former des pilotes de F-16, nous avons dû lire cela dans le journal. »
    • « Ensuite, à Berlin, il y a eu un plaidoyer passionné en faveur du nucléaire. »
    • « Et puis mardi soir, il y a eu ce projet de loi sur la restauration de la nature. »
  • « Nous devrons en parler au sein du kern, parce qu’il n’est pas du tout dans son rôle. Peut-être espère-t-il vraiment que nous démissionnerons ? », se demande-t-on en haut lieu chez les Verts.
  • Non seulement le Premier ministre a mis son pied dans la fourmilière, mais il affirme en plus qu’il n’a pris personne par surprise : « Il y a déjà plusieurs mois, il a été décidé à la Direction générale des affaires européennes (DGE) que nous poserions de sérieuses questions sur cette loi sur la protection de la nature », s’est-il défendu.
  • C’est absurde, rétorquent Groen et Ecolo. « La DGE est un organe consultatif technique, où les questions sont évidemment posées. Mais aucune position du gouvernement fédéral n’y a été déterminée ». En outre, aucun partenaire de la coalition Vivaldi ne croit à l’explication du Premier ministre selon laquelle il ne chercherait pas délibérément un conflit.
  • « Tout le monde sait que le gouvernement flamand est opposé à cette loi de rétablissement de la nature, alors que la Wallonie et Bruxelles y sont favorables : en Europe, nous nous serions de toute façon abstenus. Il n’y avait donc aucune raison d’enflammer la Vivaldi à ce sujet », a déclaré un vice-premier ministre. Ce faisant, plusieurs sources au sein du gouvernement soulignent à nouveau la planification de la carrière internationale du Premier ministre : « Il est parfaitement dans la ligne de Mark Rutte et d’Emmanuel Macron. Or, ces derniers devront bientôt l’aider à trouver un emploi ».
  • Entretemps, il est clair que ni Groen ni Ecolo ne quitteront le gouvernement sur cette question : en fin de compte, il ne s’agit même pas d’un dossier fédéral, mais d’un dossier européen. Il n’en reste pas moins que le conflit pourrait encore s’envenimer très violemment. Les écologistes n’en ont certainement pas peur : « Supposons que les choses explosent, il nous offre notre thème de campagne sur un plateau », disent-ils d’un ton combatif. Du côté des partisans, il y avait clairement une certaine pression : le climat est à peu près le dernier thème sur lequel les écologistes n’ont pas encore fait de concessions.
  • « Si vous voulez vraiment jouer aux échecs, vous devez le faire jusqu’au bout », disent encore des sources écologistes à propos du Premier ministre. « Nous n’allons pas faire sauter le gouvernement. Quoi qu’il en soit, si le gouvernement ne fonctionne plus et que le Premier ministre doit aller voir le roi à cause de ses propres déclarations stupides, alors il nous aura fait un cadeau : le climat deviendra central dans la campagne. »
  • Mais la bataille sera rude pour les Verts. Car dans ce dossier, l’Open VLD, le MR et le cd&v ont clairement resserré les rangs derrière le Premier ministre. Idéologiquement, tous s’opposent à la décroissance, qui selon eux ruinerait l’industrie et l’agriculture européennes. Au Parlement européen, ces partis ont d’ailleurs déjà voté contre l’intégration de cette nouvelle loi de la restauration de la nature. De plus, il s’agit d’un dossier qui doit être peaufiné avec les entités fédérées, et le gouvernement flamand ne bougera certainement pas. Au mieux, la Belgique s’abstiendra donc bientôt de participer aux dossiers climatiques européens, pour la énième fois.
  • Bref, il s’agit surtout d’une affaire idéologique et émotionnelle, d’abord à la Chambre, où le Premier ministre peut s’attendre à passer un mauvais moment. L’opposition pourra alors tranquillement constater qu’il n’y a presque plus de gouvernement. Quelques heures plus tard, au sein du kern, la Vivaldi devra une fois de plus tenter de recoller les morceaux.

L’essentiel : la discussion la plus animée ce soir au sein du kern portera plutôt sur les taux d’épargne.

  • Car dans ce dossier, le PS et Vooruit sont bien plus sur le pied de guerre que pour la loi sur la restauration de la nature. Ce faisant, ils se sont empressés de prendre le train en marche que le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) d’abord, puis la secrétaire d’État à la Consommation Alexia Bertrand (Open Vld) ensuite, ont lancé.
  • Seulement, les socialistes et les Verts veulent manifestement aller plus loin dans ce dossier que la droite de la Vivaldi. Alors que le duo susmentionné a écrit une lettre au secteur et menacé d’une « intervention ultime », les députés de Vooruit et d’Ecolo/Groen sont passés à l’action cette semaine. En effet, Melissa Depraetere (Vooruit) et Dieter Van Besien (Groen) et Gilles Vanden Burre (Ecolo) ont écrit des propositions de loi pour obliger les banques à agir.
  • Cela a provoqué quelques frictions entre les deux camps : il s’est avéré que Groen n’avait pas vraiment de proposition concrète et élaborée, et qu’il voulait finalement rejoindre Vooruit. Aujourd’hui, tous deux sont d’accord pour dire que le « spread » entre le taux d’intérêt de la BCE et celui des livrets d’épargne ne doit pas dépasser 2%.
  • Actuellement, la Banque centrale européenne paie au moins 3,25 % d’intérêts aux banques qui y placent leurs dépôts. Mais dans le même temps, toutes les grandes banques belges n’accordent qu’un peu plus de 0,5 % d’intérêt sur les livrets d’épargne : les bénéfices s’accumulent. Avec les nouvelles règles, CBC, BNP Paribas, ING et Belfius seraient soudainement enjointes de donner 1,25%.
  • Mais le projet de loi au Parlement n’est qu’une voie parmi plusieurs possibles. La vraie voie, beaucoup plus rapide, est de passer par le gouvernement, avec un projet de loi. C’est donc sur ce point que les socialistes et les Verts veulent se battre ce soir, en particulier contre Van Peteghem, qui a mis le feu aux poudres, mais ne veut pas aller aussi loin.

Ailleurs : les précieux millions d’Euroclear qui ont permis à De Croo de boucler son budget sont-ils en danger ?

  • Depuis le début des sanctions européennes à l’égard de la Russie, des milliards d’euros d’avoirs russes sont gelés au sein d’Euroclear. En réinvestissant cet argent, la multinationale belge a fait des bénéfices plantureux. Tout profit pour l’État belge et le budget étriqué de la Vivaldi.
  • Ce mercredi, le Financial Times apprend que des représentants des États membres et de la Commission européenne ont discuté, et envisagent d’utiliser les intérêts générés par les avoirs russes au profit de l’Ukraine.
  • Euroclear est la plus grande « clearing house » au monde. Elle traite chaque jour les transactions nationales et internationales pour des milliards d’euros.
  • Les sanctions y ont gelé 196.6 milliards d’actifs russes, dont 180 milliards d’euros de la Banque centrale russe. Avec ces actifs, l’entreprise belge génère des liquidités qu’elle réinvestit avec peu de risque pour générer des intérêts.
  • C’est le jackpot : au cours du premier trimestre de cette année, Euroclear a déclaré 734 millions d’euros d’intérêts provenant des avoirs russes.
  • L’UE envisage désormais d’utiliser ces intérêts pour soutenir l’Ukraine.

Et pourtant : l’impôt des sociétés profitait à plein pot à l’État belge.

  • La grande question qui trotte dans la tête de l’UE est de savoir à qui appartiennent vraiment ces intérêts. Jusqu’à maintenant, la Belgique et le budget de la Vivaldi en ont bien profité.
  • En effet, lors du dernier audit budgétaire, en mars dernier, des discussions toujours houleuses ont eu lieu au sein du gouvernement De Croo. Dans l’impasse, pour savoir où effectuer des économies, le Premier ministre et sa secrétaire d’État au Budget, Alexia Bertrand (Open VLD), ont vu tomber du ciel pas moins de 625 millions d’euros, qui ont été ajoutés dans la colonne des actifs du tableau comptable. Ils étaient issus de l’impôt sur les bénéfices plantureux de la multinationale belge.
  • Le gouvernement belge justifiait cet apport par ses dépenses dans l’aide à l’Ukraine, une explication qu’il livre à nouveau ce mercredi au journal économique. Dans la réalité, cette manne financière issue des avoirs russes a été bien supérieure aux dépenses.
  • Le problème, c’est que la Vivaldi compte déjà sur cet apport important pour boucler son budget 2024, et en espère même 100 millions d’euros supplémentaires, selon les estimations.
  • Cet impôt sur les intérêts va-t-il dès lors partir en fumée, si ces intérêts sont directement injectés à l’Ukraine au niveau européen ? Interrogée, une source au sein du gouvernement nous affirme que cette décision au niveau européen « n’aurait aucun impact » sur le budget belge. C’est sans doute vrai pour le budget 2023, mais quid du budget 2024 ?
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