Comment 725 millions d’euros sont tombés du ciel pour aider De Croo à boucler son budget

« Le ciel s’éclaircit », a annoncé le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) à propos de l’audit budgétaire, sur lequel il est parvenu à trouver un accord hier. Un accord pour prouver que la Vivaldi fonctionne toujours et que le gouvernement « ose » faire des économies. Il l’a d’ailleurs farouchement défendu à la Chambre, où le Premier ministre s’est immédiatement rendu. Mais si l’on fouille dans les chiffres, on découvre une manne financière particulière : 625 millions d’euros de recettes inattendues, provenant de l’argent russe gelé chez Euroclear. En outre, le nouvel impôt minimum pour les multinationales a également été calculé de manière très optimiste : il était déjà censé rapporter 300 millions d’euros, qui deviennent soudainement 634 millions pour les socialistes. Pourtant, le Comité de Monitoring avait déjà prévenu que le montant initial était très élevé. Enfin, il y a aussi la douloureuse conclusion que seul 0,1 % du PIB a été économisé cette année, et pas vraiment à l’endroit le plus logique : sur le marché du travail. Cette constatation a été faite non seulement par l’opposition, mais aussi par le député Wouter Beke (cd&v), qui se présente de plus en plus comme un expert financier.

Dans l’actualité : L’argent est tombé du ciel, sous la forme d’une manne de 625 millions d’euros d’impôt des sociétés de chez Euroclear.

Les détails : de l’argent russe gelé à Bruxelles pour « couvrir » les coûts de la guerre en Ukraine. C’est devenu immédiatement la plus grosse opération financière de tout le contrôle budgétaire.

  • Il arrive qu’une surprise de taille sorte du placard lors d’un conclave politique. Dans le budget, ce cadeau à la Vivaldi se trouve dans le tableau sous la ligne « recettes supplémentaires de l’impôt des sociétés : correction technique du rapport du comité de monitoring ». À cela s’ajoutent 625 millions d’euros cette année et 100 millions d’euros l’année prochaine de recettes supplémentaires inattendues.
  • La raison de cette somme supplémentaire ? Le siège d’Euroclear, la plus grande « clearinghouse » au monde. Elle traite les transactions nationales et internationales d’actions, d’obligations, ainsi que les produits dérivés et les fonds. En raison des sanctions contre la Russie, des milliards d’euros d’actifs russes y sont gelés depuis un certain temps.
  • « Il est vrai que Vincent Van Peteghem (cd&v) nous a un peu surpris avec ce revenu additionnel. Et pour l’année prochaine, nous n’avons fait qu’une estimation de ce qui a déjà été acquis, mais il est probable que le montant sera le même que cette année, si la guerre continue », a indiqué une source gouvernementale de haut rang.
  • Et ces milliards russes gelés rapportent de l’argent, car Euroclear continue de les investir. L’impôt des sociétés prélevé sur les bénéfices de ces investissements explique donc à lui seul ces centaines de millions supplémentaires.
  • De Croo a ensuite eu recours à une astuce : avec sa secrétaire d’État au budget Alexia Bertrand (Open Vld), il a compensé les 625 millions de cette année par les dépenses belges consacrées à la guerre en Ukraine. Le budget initial comprenait déjà la fourniture de matériel militaire (105,5 millions) et le revenu de subsistance des Ukrainiens (144,5 millions).
  • Mais la révision du budget a ajouté 263 millions d’euros supplémentaires, en salaires, et 112 millions d’euros d’autres dépenses : on arrive ainsi à exactement 625 millions de dépenses au total. Donc une « guerre budgétairement neutre », comme on le souligne dans la Vivaldi. Il s’agit d’une explication ; en réalité, ils ont habilement creusé un trou qui sera comblé ailleurs.
  • Il est à noter que pour 2024, c’est-à-dire l’année prochaine, 100 millions d’euros supplémentaires provenant d’Euroclear sont apparus, en tant que recettes supplémentaires dans le budget. Mais il n’y a soudainement plus de dépenses pour l’Ukraine. C’est bizarre, car soit la guerre s’arrête et il n’y a plus de coûts, mais alors, il n’y a plus d’argent gelé, soit il y a à nouveau des dépenses pour des centaines de millions pour les armes et d’autres formes de soutien.
  • Enfin, la considération importante reste que la Belgique se montre très généreuse envers les réfugiés ukrainiens. Dans les pays voisins, tels que les Pays-Bas et l’Allemagne, ils sont largement employés sur le marché du travail, où ils reçoivent des prestations beaucoup moins généreuses qu’en Belgique, par le biais des CPAS.

L’autre calcul optimiste : la nouvelle « taxe sur les multinationales » a miraculeusement doublé.

  • « Une taxe de 15 % pour toutes les multinationales, pour laquelle nous récolterons 634 millions d’euros, provenant de 1.785 entreprises ! Aux maisons mères ici en Belgique, mais aussi aux multinationales étrangères ! » Les posts sur les réseaux sociaux du PS étaient déjà prêts, en ce compris les points d’exclamation, pour vendre au mieux le « nouvel » impôt : le vice-premier ministre Pierre Yves Dermagne a immédiatement triomphé.
  • Ce faisant, il s’est fait reprendre par Georges-Louis Bouchez : « Vous parlez d’une taxe de l’OCDE, qui vient d’être introduite dans le monde entier ? Restons sérieux. » En d’autres termes, le PS n’a pas « lutté et gagné », car cette taxe existerait de toute façon, a tenu à souligner le MR.
  • Toutes les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 750 millions d’euros devront désormais payer au moins 15 % d’impôts. Mais le vrai débat autour de cette taxe n’est pas de savoir s’il s’agit ou non d’un mérite de la Vivaldi ou de l’OCDE, mais de savoir combien on estime qu’elle va rapporter.
  • En effet, cette taxe figurait déjà dans le budget 2023, mais pour un montant de 300 millions d’euros. Cette somme a donc plus que doublé. Mais il est frappant de constater que le comité de monitoring et le SPF Finances ont déjà averti que ce chiffre de 300 millions n’était pas certain. Toutefois, dans le cas d’un tax-shift majeur, dont Vincent Van Peteghem (cd&v) rêve, ce montant pourrait être plus élevé.
  • « Ces 334 millions supplémentaires font l’objet d’une discussion très technique. Mais nous n’avons pas pris de risque : c’est ce que tous les spécialistes estiment. Si nous ne collectons pas cet argent, les pays voisins le feront. Et cela laisse encore beaucoup de place pour les réformes de Van Peteghem. En fin de compte, nous avons pris moins de 10 % des 6 milliards qu’il prévoyait », se réjouit un membre du gouvernement.
  • Aujourd’hui, la Vivaldi propose 634 millions d’euros de recettes lors de l’examen du budget, sans aucune certitude quant au tax-shift. Cela reste très optimiste : aux Pays-Bas, où les multinationales sont beaucoup plus nombreuses, l’impôt a fourni 1 milliard d’euros de recettes, proportionnellement beaucoup moins que le gouvernement belge.
  • Fait étonnant : Van Peteghem a défendu la mesure alors que les premières étapes de sa réforme fiscale sont déjà devenues réalité. Il ne pouvait guère faire autrement, mais la vérité est que c’est exactement ce qu’il craignait : sa réforme est déjà dilapidée.

L’éléphant dans la boutique : le marché du travail fait l’objet de toute une série de mesures, mais l’impact fiscal est nul.

  • La principale conclusion de l’examen du budget : il faut du sang, de la sueur et des larmes pour économiser 0,1 % du PIB cette année et 0,3 % l’année prochaine. Au sein de la Vivaldi, le mécontentement a vraiment augmenté suite à la manière brutale dont Alexander De Croo a imposé la question.
  • Mais il y a un autre constat plus douloureux : la plupart des mesures sont ponctuelles, et non des interventions structurelles qui permettraient d’assainir le budget à long terme. Le taux d’emploi de 80 % reste plus que jamais le Saint-Graal, qui est littéralement dans l’accord de coalition Vivaldi, comme l’objectif ultime.
  • C’est le député Wouter Beke (cd&v), de plus en plus spécialiste des questions financières au sein de son parti, qui l’a mentionné à juste titre : « Si nous atteignons ce taux d’emploi, cela signifie au moins 12 milliards d’euros de recettes pour le gouvernement fédéral par le biais des impôts et de la sécurité sociale. Cela éliminera complètement l’augmentation du déficit. Mais quand ces réformes du marché du travail verront-elles le jour ? », a-t-il fustigé hier après-midi.
  • En son temps, la Vivaldi a déjà parlé de 14 milliards de recettes potentielles, Bouchez a même avancé le chiffre de 40 milliards à un moment donné. C’est dire s’il y a de quoi faire. Le raisonnement est assez clair : pour chaque emploi supplémentaire, le gouvernement « gagnerait » quelque 28.000 euros dans le budget. Passer à un taux d’emploi de 80 % signifie en gros que 530 000 emplois seraient créés. Seulement, politiquement, c’est archi compliqué : des propositions dans ce sens ont longtemps été sur la table pendant la nuit et la matinée des négociations, mais le PS les a finalement balayées.
  • Le tableau budgétaire qui a finalement été envoyé à la Chambre contient toute une série de mesures sur le marché du travail, de loin la note explicative la plus importante de tout le document. Il s’agit néanmoins d’interventions mineures sur le chômage temporaire et la limite d’âge pour un « emploi décent », ainsi que d’un « dialogue avec les ministres régionaux de l’Emploi ». Mais l’impact net sur le budget est sans pardon : zéro euro en 2023, 90 millions en 2024. Des cacahuètes, en somme.
  • En tout cas, cela met la pression sur ce qui reste à venir : les réformes des pensions ainsi que la fiscalité. Ces deux chantiers devraient avoir un impact sur le marché du travail, en donnant aux gens plus d’incitations et de récompenses s’ils obtiennent ou conservent un emploi. La question est de savoir jusqu’où De Croo et ses collègues iront lorsqu’ils commenceront à travailler sur ces dossiers avant ou après les vacances de Pâques.
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