Le début de l’épidémie de Covid-19 à Wuhan reste toujours assez flou. Les chiffres annoncés par la Chine semblent bien bas par rapport à la crise sanitaire que l’Europe et l’Amérique ont connue par après. Un dossier de 117 pages a été envoyé à CNN et donne un aperçu des premiers mois de l’épidémie en Chine. S’il est encore impossible de dire si des données ont été cachées volontairement, il est aujourd’hui clair que l’image donnée par la Chine de l’épidémie était loin de la réalité. Alors que s’est-il vraiment passé en Chine entre décembre 2019 et avril 2020 ?
Les documents qui ont fuité viennent du Centre provincial de contrôle et de prévention des maladies d’Hubei. Avant de les analyser, CNN est passée par plusieurs experts pour s’assurer qu’ils n’avaient pas été falsifiés. Leur véracité a été confirmée par 6 experts. Cela ne signifie toutefois pas qu’ils sont complets. Ils donnent néanmoins une idée de la situation en Chine au démarrage de l’épidémie.
Différence dans les chiffres
Les documents donnent précisément les chiffres pour deux dates : le 10 février et le 7 mars. Ils confirment que tous les cas détectés n’ont pas été annoncés. Le 10 février, la Chine a mentionné 2.478 cas de coronavirus. Mais le CDC provincial en avait détecté 5.918, soit plus du double. L’image que l’on se faisait de l’épidémie était donc bien loin de la réalité, minimisant fortement le nombre de personnes infectées.
Ce faible nombre annoncé s’explique – en partie – par une division très stricte des cas de coronavirus. Les chiffres du CDC du 10 février étaient divisés en 3:
- Les cas confirmés par un test PCR : 2.345 personnes
- Les cas diagnostiqués cliniquement grâce à des rayons X ou par CT-scan : 1.772 personnes
- Les cas suspects (un contact avec une personne malade et des symptômes) : 1.796 personnes.
Au départ, seuls les cas confirmés étaient réellement annoncés. Les cas diagnostiqués cliniquement étaient considérés comme des cas suspects, ce qui minimisait la gravité de la maladie. Au lieu de dire qu’il y avait 4.000 personnes malades pour lesquelles les médecins n’avaient aucun doute, seule un peu plus de la moitié était annoncée comme cas confirmés. Pour les 3.500 autres cas, ils n’étaient qu’une éventualité, il ne fallait donc pas s’inquiéter. À l’époque, on ne parlait pas encore des personnes asymptomatiques, mais contagieuses.
Les chiffres du 7 mars sont déjà plus proches de la réalité. Les cas diagnostiqués cliniquement ont été ajoutés aux cas confirmés. Cependant, l’écart entre les infections détectées (3.456 malades) et celles annoncées (2.989 personnes) existait toujours.
Pour Andrew Mertha, directeur du programme d’études sur la Chine au John Hopkins, les documents semblent organisés pour permettre aux autorités de peindre un tableau de la situation qui leur convenait, sans les mettre dans une situation compromettante. Les autorités pouvaient alors donner les chiffres qui les arrangeaient le mieux.
Problèmes de tests
La découverte du virus étant encore récente à l’époque, trouver de bons tests restait compliqué. Au départ, la Chine a utilisé les tests pour le SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère), mais il y avait énormément de faux négatifs. En outre, les experts du CDC suspectaient une contamination des prélèvements parce que le personnel infirmier n’avait pas de protection.
Ensuite, la Chine est passée aux tests PCR, soit des tests d’amplification des acides nucléiques pour repérer le virus dès les premiers stades de la maladie. Mais ils ont aussi connu quelques difficultés. Si aujourd’hui, ces tests sont considérés comme les tests les plus fiables de marché, à l’époque, ils ne repéraient que 30 à 50% des cas. Difficile de donner un bon aperçu des malades sans tests conformes, l’Europe s’en est bien rendue compte quand le virus est arrivé dans nos pays.
Quelques mois plus tard, la situation avait toutefois bien changé, et le nombre de tests étaient suffisant pour détecter le virus dans la population avant qu’il ne se propage.
Mais le plus gros problème est le temps nécessaire entre les premiers symptômes d’une personne et la confirmation de la maladie. Il fallait en moyenne 23,3 jours, soit plus de trois semaines. Les décisions prises par les autorités étaient donc basées sur des chiffres ayant plus de trois semaines de retard. Ce n’était donc pas du tout adapté à la situation sanitaire qui s’aggravait de jour en jour. Aujourd’hui, il y a toujours un temps de latence, mais il est d’environ 10 à 15 jours. C’est en moyenne le temps qu’il faut pour qu’une décision ait un impact sur le nombre de contaminations détectées chaque jour.
Épidémie de grippe
Fin 2019, la région d’Hubei a été touchée par une épidémie de grippe. Les chiffres annoncés dans les grosses villes étaient 20 fois supérieurs à ceux détectés un an plus tôt. Aujourd’hui, il est impossible de dire si cette vague de grippe est liée au Covid-19 et si parmi les patients, des cas de coronavirus n’ont pas été détectés.
Mais cette épidémie a certainement aidé à ce que l’épidémie de Covid-19 s’accélère. En effet, il y avait d’importants risques de contamination dans les hôpitaux alors bondés.
En outre, l’épidémie de grippe a aussi permis au nouveau coronavirus de rester plus discret. Le personnel hospitalier était surchargé et n’avait pas le temps de chercher les signes d’un virus encore inconnu.
Bureaucratie
Un dernier point explique en partie la lenteur de la Chine à s’attaquer au Covid-19 : le sous-financement du CDC d’Hubei. Selon les documents, l’État finançait moins de 30% des besoins réels de l’institut pour atteindre ses objectifs. Le centre manquait d’équipement et le personnel était démotivé.
En outre, bien qu’il existe un réseau informatique pour prévenir d’un nouveau virus, celui-ci est lourd et complexe. Ce réseau avait été créé après l’épidémie de SRAS pour aider à signaler rapidement la maladie et à créer un lien avec les autorités nationales. Dans les faits, la connexion est lente et les restrictions empêchent une collecte rapide des données.
Au final, les membres de l’équipe, découragés, n’auraient simplement pas fait plus que ce qui leur était demandé. Leurs capacités d’analyse auraient été sous-exploitées, ce qui n’a pas permis de prendre l’épidémie à temps.
Transparence ou non ?
La Chine a toujours affirmé qu’elle s’était montrée transparente sur la maladie et qu’elle avait transmis à l’international toutes les données qu’elle avait. Les documents montrent qu’une partie des informations n’ont pas été divulguées, intentionnellement ou non. Le pays a minimisé l’épidémie, pensant que, comme pour le SRAS, les autorités sanitaires pourraient la contenir et la faire disparaitre sans que le virus ne sorte pas du pays.
Pour Yanzhong Huang, membre senior du Conseil des relations étrangères spécialisée en santé mondiale, les erreurs de la Chine dans cette affaire ‘ont eu des conséquences mondiales’. Mais pour lui, il est difficile d’offrir une transparence à 100% : ‘Il ne s’agit pas seulement d’une dissimulation intentionnelle, vous êtes également limité par la technologie et d’autres problèmes liés à ce nouveau virus’. Il ajoute en outre que, même si la Chine avait été plus transparente, ‘cela n’aurait pas empêché l’administration Trump d’en minimiser la gravité. Cela n’aurait probablement pas empêché cette évolution de devenir une pandémie’.
Les documents reçus par CNN ne font pas toute la lumière sur les décisions chinoises. Il faudra certainement des années avant qu’on sache réellement ce qui s’est passé, si un jour on le sait. Toutefois, il aide à comprendre la situation du pays à l’époque, et sa minimisation qui a conduit plus tard à la pandémie. Même si certaines voix en Chine nient toujours l’origine de l’épidémie. Selon certains experts italiens, le Covid-19 était déjà présent en septembre 2019 en Italie. Le cas numéro 1 n’a d’ailleurs toujours pas été identifié officiellement.
Lire aussi: