« Ce gouvernement peut-il réformer ? ». Cette question n’émane pas de la N-VA, mais de l’intérieur de la Vivaldi, du côté des socialistes flamands et du ministre Frank Vandenbroucke. Le CD&V s’impatiente aussi.
« L’épreuve décisive est la suivante : pouvons-nous prendre des décisions et réformer ? ». Le vice-premier ministre Frank Vandenbroucke, le membre le plus expérimenté du gouvernement fédéral, est clair : cette équipe doit (re)trouver son souffle. La déflagration qui a suivi les déclarations de Paul Magnette (PS) sur le commerce électronique doit trouver une réponse à la table du gouvernement. Cela doit se traduire par un accord sur la réforme du marché du travail, mais aussi par la mise en œuvre de son plan de réforme des soins de santé : un signal important. Car le CD&V tire également la sonnette d’alarme, au sein même du gouvernement flamand : dans un marché du travail en surchauffe, Dermagne doit agir au plus vite. La pression sur la Vivaldi est énorme.
Dans l’actualité : Frank Vandenbroucke (Vooruit) place la barre haute pour la Vivaldi.
Les détails : Il est rare que le vieux loup du gouvernement s’exprime sur l’équipe. Il est donc intéressant qu’il le fasse maintenant.
- « Les semaines à venir seront importantes pour le gouvernement fédéral : de grands enjeux nous attendent », a déclaré M. Vandenbroucke ce matin sur Radio 1. Il était là pour se projeter vers le comité de concertation de vendredi (où on se dirige vers un code orange), mais en même temps, le vice-premier ministre Vooruit envoyait un signal clair à ses partenaires de coalition, et surtout au Premier ministre, Alexander De Croo (Open Vld).
- « Nous voulons améliorer la vie des gens, et pour cela, il faut oser réformer. L’épreuve décisive est donc la suivante : pouvons-nous prendre des décisions et réformer ? Qu’il s’agisse du commerce électronique, de la réforme des hôpitaux ou de l’investissement dans les soins de santé. Si vous voulez que les choses avancent, il faut oser réformer », a soutenu le poids lourd socialiste.
- Ce message ne tombe pas du ciel. Depuis des mois, les socialistes, en particulier le PS, sont mécontents des attentes non satisfaites qui entourent la Vivaldi, et certainement du rôle du Premier ministre dans cette affaire. C’est moins explicite chez Vooruit, mais c’est la façon de dire que les socialistes flamands attendaient eux aussi plus de cette coalition. Et même chez Vooruit, ils ne sont pas toujours satisfaits par la méthode De Croo, malgré la bonne entente entre le Premier ministre et son vice-premier ministre.
- La déclaration de Vandenbroucke fixe clairement la barre. En effet, outre le marché du travail, il y a les retraites, les projets en matière d’hôpitaux et de soins de santé, et le grand débat sur l’énergie, qui se résume en un seul point : l’examen du budget en mars. Cela signifie que les semaines à venir pourraient être assez excitantes pour l’équipe fédérale. Ou désastreuses, si la Vivaldi ne concrétise pas.
- Au cours de la période arc-en-ciel du début des années 2000, Vandenbroucke avait déjà plaidé en faveur de réformes radicales, notamment pour les pensions et le marché du travail, afin de mettre la Belgique « définitivement en ordre de marche ». Cela lui a valu beaucoup de reproches de la part du gouvernement fédéral (Vandenbroucke était alors vice-premier ministre flamand), et une relation brisée avec le président de son propre parti, Steve Stevaert. Vingt ans plus tard, Vandenbroucke n’est plus radical, mais son message reste le même : des réformes sont désespérément nécessaires. Et cette fois, les relations avec le président de son propre parti sont excellentes : Conner Rousseau (Vooruit) est sur la même longueur d’onde.
Important : le CD&V fait également le forcing.
- Rien de surprenant, mais il est tout de même important de le mentionner : du côté du gouvernement flamand, on s’irrite depuis un certain temps de l’attitude hésitante de Pierre-Yves Dermagne (PS), le vice-premier ministre fédéral et ministre de l’Emploi. Hilde Crevits (CD&V), la ministre flamande de l’Emploi, demande depuis près d’un an que des mesures soient prises : le marché du travail flamand est en surchauffe totale, les employeurs sont en manque de main-d’œuvre, le nombre de postes vacants atteint un niveau record et ne peut être comblé.
- À cela s’ajoute le fait que la compétence « Travail » est toujours divisée dans ce pays : certaines prérogatives sont au niveau flamand, mais la partie fédérale joue toujours un rôle déterminant. À l’été 2019, Crevits a été très explicite sur ce qu’elle voulait : elle a envoyé à Dermagne toute une liste, dont une « politique du travail asymétrique ». Le député PS, pourtant connu comme régionaliste, a réagi tièdement : des mois plus tard, peu de choses ont bougé.
- C’est pourquoi le CD&V tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme, par l’intermédiaire de son spécialiste du marché du travail au Parlement flamand, Robrecht Bothuyne. « Message à Dermagne : il est temps de passer à la vitesse supérieure », a-t-il tweeté. « C’est la dernière chance de la législature pour que le gouvernement fédéral signifie quelque chose pour le marché du travail flamand. Sinon, cela devra se faire par une nouvelle régionalisation en 2024 », a-t-il menacé dans De Tijd.
La polémique Magnette: derrière une communication politique, il ne faut pas toujours surestimer les intentions.
- « La provocation » de Paul Magnette s’est transformée en véritable bad buzz, tous courants confondus. En général, quand un politique communique, provoque, sort une petite phrase, il faut toujours y rechercher des intentions plus profondes: s’agit-il d’un message pour sa base, ses amis/ennemis politiques, ses concurrents ? S’agit-il d’un positionnement à court ou long terme pour le parti ?
- Dans le cas présent, et le rétro-pédalage du président du PS tend à le prouver, la possibilité que sa déclaration soit simplement une bêtise ne peut certainement pas être écartée.
- Dans Sudpresse et sur La Première ce matin, Paul Magnette a bien du mal à se justifier.
- « Je pense que c’est un débat intéressant. J’espérais susciter le débat et je vois que c’est chose faite. Il s’agit d’une provocation qui suscite une autre provocation ».
- « Peut-être qu’on pourrait se passer de l’e-commerce, mais évidemment que c’est du second degré, évidemment qu’on ne va pas se passer de l’e-commerce, mais l’e-commerce pose des questions environnementales, de santé, et des questions sociétales ».
- Certes, la question sur l’e-commerce faisait partie d’une interview beaucoup plus large. Mais par sa formule, « après la sortie du nucléaire, la sortie du commerce électronique », le Président du PS s’est planté, en caricaturant lui-même le débat.
- Car sa sortie transpirait d’anachronisme et n’a finalement convaincu personne: la base (syndicats, électeurs), les concurrents (PTB), les partenaires (Ecolo), les ennemis (libéraux) et ne parlons même pas du monde économique flamand, abasourdi. La Wallonie n’avait sans doute pas besoin de cela.
- On comprend bien sûr que Paul Magnette visait surtout les multinationales, le modèle Amazon, qui de l’avis de tous, doit pouvoir être interrogé, remis en cause et régulé. Mais sa formule a échappé à ses intentions premières.
- Au sein même du PS, il ressort de cette séquence une certaine schizophrénie, quand on se souvient que certains socialistes et Magnette himself ont usé d’un lobbying intense pour faire venir le premier hub européen d’Alibaba en territoire liégeois.
- Au-delà de la formule maladroite, il y a néanmoins une analyse politique qui peut en être tirée. Le PS et son président sont frustrés au sein de cette Vivaldi. Celui qui a dû lâcher le poste de Premier ministre au profit d’Alexander De Croo voit, comme beaucoup, l’inefficacité de la Vivaldi à réformer, repoussant les uns après les autres les dossiers chauds. La vie à 7 partis promettait d’être rude, ça se vérifie depuis le début de la législature, même au niveau de la crise sanitaire. L’opposition constante entre le MR et le PS, le non-soutien des Verts sur les dossiers sociaux, les divergences de point de vue avec le parti frère Vooruit… ça fait beaucoup.
- Si Paul Magnette n’arrive pas à marquer des points sur la réforme du marché du travail (et celle des retraites), alors il aura tout perdu: crédibilité, influence et positionnement politique.
Et maintenant ? Un accord sur le travail ne semble pas impossible.
- « Ce qui est étrange, c’est qu’au sein du gouvernement, il n’y a en fait plus de discussion sur le commerce électronique. Il n’y a plus rien à discuter », a déclaré laconiquement Vandenbroucke ce matin. En d’autres termes : Magnette a fait du bruit, alors que Dermagne avait en fait déjà pris sa décision sur le sujet. Les réformes ne sont pas du tout spectaculaires : la question reste de savoir si ce secteur reviendra un jour en Belgique.
- Le PS ne veut pas assouplir les règles au-delà du travail de soirée. Le mantra: le travail de nuit ne doit pas être facilité aux mêmes conditions que le travail de jour. Les socialistes veulent profiter de cette réforme pour renforcer les droits sociaux – notamment des travailleurs de l’économie de plateforme (Uber, Deliveroo) – et pas pour apporter toujours plus de flexibilité, la vision des libéraux.
- Mais il y a aussi une bonne dose d’optimisme dans les couloirs de la Vivaldi concernant d’autres aspects de l’accord sur le travail : les positions ne sont pas tellement éloignées les unes des autres. La Belgique est et reste ancrée dans la culture de la concertation sociale, des compromis prudents, de la non-violence, et donc des ajustements très modérés.
- Même autour de la question vraiment sensible de l’économie de plateforme, on semble se diriger vers un consensus. Car le PS ne va pas jusqu’à imposer totalement la « présomption de salariat » au secteur : des critères permettront d’évaluer le degré de dépendance d’un coursier ou d’un chauffeur vis-à-vis de la plateforme. Bien sûr, le diable est dans les détails : aucun accord n’a encore été trouvé sur le degré de rigueur de ces critères. Et il y a, bien sûr, des tensions entre libéraux et socialistes à ce sujet.
- Mais il n’en reste pas moins que c’est devenu un phénomène régulier : des présidents de parti qui font des déclarations très fortes, mais qui, dans le même temps, indiquent depuis longtemps qu’ils ne vont pas laisser tomber la Vivaldi. Il en va de même pour la sortie du nucléaire, par exemple : Georges-Louis Bouchez (MR) continue de faire des remous, mais les libéraux francophones ne vont pas faire sauter le gouvernement pour autant, ils l’ont déjà indiqué.
- Mais en attendant, les jeux continuent : hier, Marie-Christine Marghem (MR), l’ancienne ministre de l’Énergie et némésis de l’actuel ministre Tinne Van der Straeten, a quitté la salle, alors qu’un vote devait avoir lieu sur l’amendement de la loi réglementant les centrales à gaz qui remplaceront le parc nucléaire. Normalement, un membre du parlement qui refuse de voter avec la majorité est une information. Ici, l’attitude dissidente de Marghem ne surprend plus personne.
- La Vivaldi continue à se débattre, et le bruit autour de l’équipe est si fort qu’il noie tout le travail gouvernemental. L’impact négatif sur la quasi-totalité des membres du gouvernement est clair : dans les sondages, de tous les vivaldistes, Vooruit est le seul à avoir réalisé des bénéfices. La crainte d’éventuelles élections n’est donc pas négligeable : pour l’instant, cela semble être le seul ciment de la coalition fédérale.
Ailleurs: La Libre a mis la main sur le plan mobilité « Vision 2040 » du ministre Georges Gilkinet (Ecolo)
- Le quotidien précise d’emblée que le document de 38 pages doit encore passer de nombreux filtres politiques, syndicaux et patronaux.
- Mais il ressort quelques grandes lignes:
- Doubler l’utilisation du train des Belges: passer de 8% à 15% de tous les déplacements.
- Assurer deux trains par heure dans chaque gare du pays.
- Des trains 100% verts d’ici 2040: utilisation de 100% d’énergie renouvelable pour alimenter le rail, en plus du développement d’autres sources d’énergie. La cible: l’hydrogène.
- Révolutionner les tarifs sans porter préjudice aux finances de la SNCB: vers des tarifs plus chers en heure de pointe ?
- Le texte sera discuté dans les prochaines semaines au sein du Kern. Aucune indication sur le budget ou le délai n’a encore pu être dégagée.