De Croo convoque finalement un kern sur l’interdiction des publicités pour les jeux de hasard ; Bouchez triomphe et bloque rapidement le dossier : « Tout le monde doit respecter la règle de la collégialité »

On n’est que mercredi et la Vivaldi a déjà vécu une mauvaise semaine. Le vice-premier ministre Vincent Van Quickenborne (Open Vld) a ouvertement défié le MR de Georges-Louis Bouchez. Avec son tour de passe-passe – l’arrêté royal – il a voulu contourner les objections du parti libéral francophone sur l’interdiction de la publicité pour les jeux d’argent. Mais le MR tire le signal d’alarme : ce texte figurera bien à l’agenda du kern. Le dossier devient donc une question gouvernementale, et le Premier ministre devra maintenant la résoudre. Ne comptez pas sur le MR pour céder facilement. Par ailleurs, la question des malades de longue durée est également en train de s’envenimer, les libéraux applaudissant Frank Vandenbroucke (Vooruit) « qui tient bon ». Last but not least: une fuite délibérée du Conseil supérieur des finances fait sortir le PS de ses gonds, et met en pièces les propositions de réforme fiscale. Rien ne va plus, semble-t-il. Les rumeurs d’une durée de vie écourtée pour la Vivaldi enflent.

Dans l’actualité : « Le texte est porté au kern », déclare le président du MR, Bouchez, à propos de l’arrêté royal de Van Quickenborne.

Les détails : Le gouvernement fédéral doit maintenant délier le noeud dans la « collégialité ». Il y a de fortes chances que le MR bloque le dossier.

  • Le fait que Georges-Louis Bouchez soit un twitteur frénétique a encore été démontré hier soir, vers 00h30. Cette fois pour répondre en personne à Karl Van den Broeck, le rédacteur en chef d’Apache, un site d’investigation flamand. Ce dernier faisant une analyse assez froide du dossier qui anime ce début de semaine : « En interdisant les publicités pour les jeux de hasard avec un AR, sans le soutien du MR, le reste de la Vivaldi donne un signal à Bouchez : ‘Nous pouvons gouverner sans vous si nécessaire’. »
  • En fait, cette conclusion avait été tirée par à peu près tout le monde, rue de la Loi. La méthode employée par le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, laissait peu de place aux doutes: une prise de parole dans les journaux et à la radio avec beaucoup d’enthousiasme pour annoncer une interdiction très étendue des publicités pour les jeux de hasard.
  • Le libéral flamand a eu la main lourde dans cette affaire : le MR n’était peut-être pas d’accord, mais Van Quickenborne voulait tout simplement contourner le parti frère, en le réglant la chose lui-même via un arrêté royal (AR). Six ministres et quatre partis du gouvernement l’ont signé, s’est-il justifié, ajoutant sans doute maladroitement qu’il n’avait « pas besoin du MR pour décider ».
  • Sans surprise, Bouchez a réagi vivement, parlant de « l’arrêt de mort du football belge » si cette interdiction devait être introduite. Le président du MR, lui-même président d’un club local, le Royal Francs Borains, est depuis longtemps le plus farouche défenseur du football professionnel de toute la rue de la Loi. Il s’était déjà opposé à toute réforme fiscale qui ferait payer aux footballeurs professionnels une contribution sociale normale, là encore, contre l’avis de tous les partenaires de la coalition.
  • Mais Bouchez n’a pas poussé le dossier jusqu’à la crise dans un premier temps : il a bien demandé une « consultation du secteur » et marmonné quelque chose sur « l’organisation d’un débat au parlement », ce qui ressemblait plus à une excuse pour ne pas laisser éclater une guerre totale au sein de la coalition.
  • Jusqu’à hier soir : « Non, le texte sera porté au kern. L’interdiction n’est donc pas en vigueur. La collégialité est une règle de fonctionnement du gouvernement que l’on doit respecter », a déclaré M. Bouchez.

Dans tous les cas : le vice-premier ministre gâche le voyage de son propre Premier ministre.

  • Alexander De Croo (Open Vld) était à Berlin pour une visite de deux jours en Allemagne. Il voulait surtout mettre en avant ses propres projets et ses ambitions européennes, et étayer les contacts humains nécessaires avec l’un des patrons de l’Europe : le chancelier allemand Olaf Scholz est important dans à peu près tous les plans de carrière internationaux qui peuvent suivre pour De Croo. Son prédécesseur Charles Michel (MR) attachait également une grande importance à entretenir une ligne cordiale avec Berlin, ce qui après coup s’est avéré payant.
  • Cependant, l’incident à Bruxelles concernant la publicité pour les jeux d’argent a éclipsé cette visite allemande : Van Quickenborne a appuyé sur l’accélérateur. Lundi, il a surpris tout un secteur, en ce compris le secteur audiovisuel, qui venait de programmer une réunion mardi pour élaborer un cadre d’autorégulation de la publicité pour les jeux de hasard. Sans oublier le football professionnel, qui a dû constater la nouvelle sans concertation.
  • De plus, la méthode que Van Quickenborne a élaborée, consistant à mettre ouvertement sur la touche un partenaire de coalition par le biais d’un arrêté royal, a soulevé des questions : qu’en est-il du principe de « collégialité » au sein du gouvernement ? Le précédent serait énorme, ont prévenu les spécialistes.
  • Le professeur Carl Devos (UGent) a ressorti de la poussière une circulaire de 1995, décidée jadis par le gouvernement Dehaene, qui était très claire quant à l’utilisation individuelle des arrêtés royaux par les membres du gouvernement : un arrêté royal ayant des « répercussions politiques importantes » doit toujours être soumis au Conseil des ministres. Ce que faisait le vice-premier ministre Van Quickenborne semblait donc être une violation claire de cette circulaire.
  • En outre, dans les coulisses, le MR n’est pas le seul à s’être senti snobé : le cd&v, dont les noms de trois ministres sont apparus dans l’AR, n’avait pas été informé correctement à l’avance. L’initiative en solo a irrité plusieurs membres du gouvernement.
  • Le Premier ministre a ensuite dû répondre à des questions désagréables depuis Berlin sur son gouvernement, où il a de nouveau été mis en difficulté. Sur Radio 1, il a dû se défendre face à la critique récurrente d’un Premier ministre plus concerné par ce qui se passe à l’étranger : « Ma tête est toujours dans mon pays », a-t-il répondu. Curieusement, le Premier ministre n’a reçu aucune question critique sur l’affaire en question – l’utilisation étonnante d’un AR par son propre vice-premier ministre.
  • Dans le Standaard d’hier, il a finalement admis qu’il n’était « pas heureux » de la tournure des événements. Dans son entourage, on a apparemment pointé du doigt Van Quickenborne, qui en forçant les choses semble avoir créé un précédent dangereux. Le Premier ministre a toutefois fait allusion au fait que le président du MR était aussi président d’un club de football.

L’essentiel : un consensus doit maintenant être trouvé, mais le MR ne devrait pas céder facilement.

  • C’est maintenant l’heure du kern, où David Clarinval (MR) remplace Sophie Wilmès (MR) qui a temporairement fait un pas de côté. Reste à savoir si Clarinval a les épaules pour obtenir quelque chose au sein du Conseil des ministres restreint : le MR sera de toute façon isolé dans ce dossier, qui pourrait coûter aux clubs de football un total de 10 à 15 millions d’euros de sponsoring par an.
  • Mais cela ne semble pas décourager Bouchez pour l’instant : il a déjà montré dans d’autres dossiers qu’il ose freiner. Il existe en réalité un problème financier bien plus important autour du football professionnel, celui des cotisations de sécurité sociale sur les salaires des footballeurs professionnels.
  • Un accord a été conclu à cette occasion pour supprimer une partie de ce régime fiscal favorable : l’ensemble du secteur du sport devrait alors débourser 43 millions d’euros supplémentaires. Des estimations provisoires montrent que ce sera plus : pour le seul football professionnel, ce sera environ 50 millions.
  • Pour Vooruit, le parti à la pointe du dossier, c’est encore insuffisant : les socialistes flamands voulaient que l’ensemble du régime favorable soit aboli. Ce qui est ironique, c’est que ce système a été introduit à l’origine par l’ancien patron du sp.a, Johan Vande Lanotte, pour donner un coup de pouce au sport professionnel (et notamment au basket à Ostende).
  • Et puis il y a l’autre caillou dans la chaussure du gouvernement: la Loterie nationale. Elle échapperait complètement à la mesure : le sponsor Lotto sur les maillots resterait pour Anderlecht et l’Union, tandis que les autres équipes perdraient leur sponsor principal (huit clubs ont une agence de paris comme plus grand sponsor sur le maillot). Mais le MR a déjà dénoncé haut et fort cette hypocrisie, et le secrétaire d’État Sammy Mahdi (cd&v), qui est compétent en la matière, a indiqué qu’il était prêt à réécrire l’accord de gestion.
  • L’intervention à la radio du CEO de la Loterie Nationale, Jannie Haeck, était si ridicule – (« nous ne sommes pas une entreprise de jeux de hasard ») qu’il semble désormais difficile pour la Vivaldi d’exempter totalement la société publique, dont la Belgique est pourtant actionnaire à 100%.
  • Il y a donc de fortes chances que le projet échoue : Van Quickenborne, malgré sa grande expérience politique, semble avoir joué de manière trop offensive.

Un autre mauvais présage : Les plans fiscaux du Conseil supérieur des finances sont déjà rejetés, avant même d’avoir été correctement élaborés.

  • Y aura-t-il une autre grande réforme fiscale ? Cette question hante la Vivaldi depuis un certain temps déjà. L’accord de coalition affiche au moins l’ambition de préparer une telle réforme pour la prochaine législature. La réalité politique, cependant, est qu’il ne semble pas y avoir la moindre marge pour s’attaquer réellement à une telle réforme : elle menace de devenir un boulet de plus pour l’équipe fédérale, qui est au point mort.
  • Le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (cd&vV) a commencé son travail avec beaucoup d’enthousiasme. Il déclarait « qu’il n’y aurait pas de tabous » et croyait initialement qu’il obtiendrait le soutien du Premier ministre pour faire passer « sa » réforme. Mais il est vite apparu que le MR, à nouveau avec Bouchez, allait freiner. « Il n’y aura pas de réforme », nous glissait-on à l’été 2021. Dans le même temps, le vice-premier ministre du cd&v a dû constater que l’Open Vld n’a pas non plus fait preuve du courage nécessaire pour aller de l’avant : le soutien du Premier ministre s’est effrité.
  • Après la journée d’hier, le tableau est encore plus sombre. C’est le résultat de fuites dans La Libre des plans du Conseil supérieur des finances, un organe consultatif du gouvernement. C’est lui, ainsi qu’un groupe de travail d’experts dirigé par Van Peteghem, qui préparent cette réforme fiscale. Soit dit en passant, le patron de la task force, le professeur Mark Delanote, siège également au Conseil supérieur.
  • Bref. Personne ne considère ces fuites comme une simple coïncidence : cela fait longtemps que les choses bougent au sein du Conseil, et un certain nombre de membres de gauche ne sont pas d’accord avec un nombre de membres plus à droite.
  • Les fuites, qui ne sont même pas un véritable « avis » soutenu par l’ensemble du Conseil, font appel à l’imagination : la TVA passerait de 21 à 22 %, les chèques-repas seraient supprimés, l’épargne-pension deviendrait moins avantageuse et on se dirigerait vers une taxation des allocations familiales.
  • Tout ceci dans le but de financer un électrochoc fiscal : il ne resterait que trois taux d’imposition sur le revenu des personnes physiques (IPP). Ce transfert fiscal s’élèverait à environ 6 milliards d’euros. Mais, c’est frappant, le CSF ne mentionne aucune charge supplémentaire.
  • Le PS est immédiatement monté au créneau : « La réforme fiscale ne peut être le véhicule d’une politique d’austérité. Ce qu’on lit ici est imbuvable. Augmenter la TVA d’1% alors qu’on est en période inflatoire et que les gens souffrent de la vie chère. S’en prendre aux chèques-repas, sur lesquels il y a des choses à dire, mais qui sont un complément important pour les bas et moyens revenus. Taxer les allocations familiales alors qu’elles permettent à des familles qui n’ont pas beaucoup de nouer les deux bouts. Faire des économies dans les services publics alors qu’il nous faut refinancer la santé, la justice, l’Intérieur… Les membres du CSF vivent-ils sur une autre planète? », a fustigé Ahmed Laaouej, chef de file du parti et spécialiste de la fiscalité.
  • En coulisses, le mécontentement était tout aussi grand chez Vooruit. Et le MR ne se réjouit pas de ces charges supplémentaires : il veut une réduction d’impôt, pas un transfert. Pour dire les choses crûment : la Vivaldi n’est pas sortie de l’auberge.

Un autre point de friction pour la Vivaldi : les malades de longue durée.

  • Des applaudissements nourris sur les bancs bleus ce matin pour… Frank Vandenbroucke (Vooruit). Le ministre de la Santé, dans son style caractéristique de « Maître Frank », fait avancer le dossier des malades de longue durée.
  • Vandenbroucke va à l’encontre des partenaires sociaux : employés et employeurs. Ces derniers sont opposés aux mesures de la Vivaldi, qui doivent pénaliser financièrement les malades de longue durée et leurs employeurs. Non qu’il s’agisse de sanctions spectaculaires : un malade de longue durée qui refuse systématiquement de coopérer à une remise à l’emploi, par exemple en remplissant un questionnaire obligatoire, pourrait perdre 2,5 % de ses allocations. Dans le même temps, les entreprises qui afficheraient des chiffres trop élevés en termes malades de longue durée se verraient également infliger des sanctions financières.
  • Les partenaires sociaux enragent : au lieu de la carotte habituelle, le gouvernement fédéral utilise maintenant le bâton. Ils n’y sont manifestement pas habitués : d’habitude, c’est le contribuable qui doit leur graisser la patte.
  • Toutefois, l’attitude de Vandenbroucke est extrêmement sensible pour le PS. Le PTB-PVDA leur souffle dans le cou sur ce dossier : « punir » les malades de longue durée est un slogan parfait pour attiser la colère des partisans communistes.
  • Le PS use donc de toute la dramatisation requise, tandis que Vandenbroucke persévère obstinément.
  • Du côté libéral, on ne boude pas son plaisir: « Davantage de personnes au travail est la meilleure protection de notre pouvoir d’achat. Le gain le plus important est d’activer les inactifs. C’est bien que l’on travaille à la mise en œuvre de notre accord », a tweeté triomphalement Egbert Lachaert (Open Vld) ce matin, à propos de l’information parue dans De Standaard selon laquelle Vandenbroucke « tient bon ».
  • Vandenbroucke doit être le seul ministre depuis 2014 qui ne se laisse pas intimider par les syndicats et le patronat, qui ne veulent pas que les employeurs et les employés soient tenus responsables. « On doit faire plus et plus vite, mais ça avance enfin », ont déclaré triomphalement des sources libérales, même au sein du gouvernement. « La question est de savoir si ses camarades socialistes sont très heureux de cette situation. »

La vue d’ensemble : la Vivaldi terminera-t-elle la course ?

  • Le futur président du cd&v, Sammy Mahdi, a ranimé un feu qui couvait depuis longtemps dans la rue de la Loi : dans De Afspraak, il a laissé entendre que son parti avançait également les élections en interne, car certains envisagent sérieusement le fait que la Vivaldi ne tienne pas le coup.
  • Ce faisant, il a confirmé ce qui circulait depuis longtemps : la volonté de poursuivre réellement cette coalition fait défaut, notamment chez les socialistes. Ce qui veut dire que le gouvernement pourrait bien tomber.
  • Du côté flamand, Vooruit est très bien placé dans les sondages : on n’a plus peur d’aller aux urnes. Et ce n’est un secret pour personne, le PS a toujours été opposé à la concordance des élections fédérales et régionales : un découplage serait une bonne chose pour le parti. Un gouvernement fédéral qui tombe en 2022 ou 2023 ferait apparaître ce scénario.
  • Mais il y a plus : le travail du gouvernement est en lambeaux, comme le montrent les dossiers précités. La réforme fiscale, la réforme du travail et la réforme des pensions sont au point mort. Trop de dossiers piétinent et, trop souvent, le Premier ministre est accusé d’avoir laissé les choses s’emballer.
  • Ceci étant dit : faire tomber un gouvernement ne se fait pas comme ça, sur commande. Ceux qui entreprennent ce genre de démarche risquent de payer le prix fort : l’électeur récompense rarement celui qui retire la prise. En outre, plusieurs partis de la Vivaldi ne sont pas prêts pour un scrutin à l’heure actuelle : le cd&v est dans un marasme et change de direction. Il en va de même pour Groen. Et l’Open Vld doit tellement répéter qu’il y a « une grande unanimité au sein du parti », que tout le monde sent que le contraire est vrai. Aucun d’entre eux ne veut aller demander l’avis des électeurs maintenant.