Crise de confiance et négociation sur la place publique : une nouvelle proposition du PS divise encore un peu plus la Vivaldi

On promettait à la Vivaldi une vie difficile. On n’imaginait sans doute pas à quel point. Chaque proposition émanant d’un partenaire – souvent le PS – crée une volée de réactions négatives – majoritairement libérales. Le tout se passe dans la presse et sur les réseaux sociaux, à la vue de tous. Notamment de l’opposition qui n’en demandait pas tant. Cette fois, c’est le ministre du Travail, Pierre-Yves Dermagne (PS), qui arrive avec 25 propositions pour booster le marché de l’emploi, rapporte L’Echo. Elles font partie d’un des cinq axes du plan « redémarrage et transition » que le Premier ministre présentera lors de son discours de rentrée, dont nous vous parlions hier. Tout ceci ne pourrait-il pas se faire plus discrètement ? Les partenaires de la majorité se parlent-ils ?

Dans l’actu: parmi les 25 propositions, permettre, sous conditions, l’accès aux allocations de chômage pour un travailleur qui déciderait de démissionner.

  • Pierre-Yves Dermagne a deux grands objectifs pour sa réforme du marché du travail: empêcher les travailleurs de sortir du marché de l’emploi pour une longue durée et combler les métiers en pénurie. L’objectif avoué de la Vivaldi est d’atteindre le taux d’emploi ambitieux de 80% d’ici 2030.
  • Selon un rapport de Statbel qui date d’il y a quelques jours, le nombre d’emplois vacants est en augmentation, porté à 172.437. Or, notre pays compte quelque 300.000 demandeurs d’emploi. L’offre ne correspond pas à la demande, les profils recherchés manquent à l’appel.
  • Pierre-Yves Dermagne propose donc que les travailleurs qui décideraient de démissionner, après plusieurs années, puissent bénéficier d’allocations de chômage. Pour l’heure, seul un licenciement garantit de telles allocations. Ce système en partie à charge de l’employeur fait réfléchir ce dernier à deux fois avant de procéder à un licenciement.
  • Problème: selon le PS, qui rejoint une proposition faite par Ecolo (et le cdH) il y a plusieurs années, de nombreux travailleurs restent coincés dans leur profession, malheureux, et finiraient par sortir du marché du travail en burn-out. Ce coup de pouce est donc destiné à favoriser la mobilité sur le marché de l’emploi.

L’essentiel: la réaction a été immédiate de la part des libéraux. Ce sera « non ».

  • La réaction la plus épidermique revient aux libéraux flamands, via leur président Egbert Lachaert. Hier, c’était sur la solidarité fédérale du fonds d’aide aux victimes des inondations. Aujourd’hui, sur la réforme du marché de l’emploi. Le président de l’Open VLD s’est dit sur Twitter « radicalement contre » la mesure socialiste.  « L’objectif, c’est plus de gens au travail et moins avec une allocation. Pas l’inverse », a-t-il ajouté.
  • Au même moment, le président des libéraux francophones Georges-Louis Bouchez (MR) tapotait sur son clavier. Il n’est pas contre l’idée d’une réorientation en cours de carrière, mais ne comprend pas trop comment cette mesure pourrait combler les métiers en pénurie : « Le MR a proposé un droit à la réorientation à une reprise, après 10 ans de cotisations. Ce droit à la démission aménage les carrières mais ne résout pas la pénurie des métiers. C’est absurde de le penser. Cela pourrait même aggraver la situation. » Au CD&V aussi, on ne sait pas trop quoi en penser: « Travailler moins avec des allocations pour pallier les pénuries de main-d’œuvre… je ne comprends plus », a réagi l’ancienne ministre de l’Économie Nathalie Muylle.
  • Le PS vise un autre incitant qui fait partie des 25 propositions: faire bénéficier au chômeur qui suivrait une formation pour un métier en pénurie d’une allocation de chômage à l’issue de celle-ci. Autrement dit, la dégressivité des allocations de chômage reviendrait au point de départ à l’issue de cette formation. Cette mesure ne devrait pas être mieux accueillie par les libéraux et le CD&V.
  • Parce que tout ceci à un coût. En fait, à chaque proposition socialiste, les libéraux se demandent comment financer tout ça. Un clou sur lequel l’opposition ne manque pas de taper. Le président de la N-VA, Bart De Wever, est fort loquace ces derniers jours: « Selon le FMI, la Belgique aura le déficit budgétaire le plus élevé d’Europe en 2025. Mais avec la Vivaldi, il ne reste que des propositions qui feront exploser encore plus ce déficit. Ce gouvernement nous conduit à la faillite et constitue une menace directe pour notre prospérité flamande. » Les références à la Grèce se multiplient.

Le détail: la FGTB pèse sur les mesures du PS.

  • Il ne faut pas sous-estimer le poids de la FGTB qui lancera une nouvelle manifestation nationale contre la loi de 1996 ce vendredi. Cette fameuse loi détermine les règles des négociations salariales entre syndicats et employeurs : la pierre angulaire du modèle de concertation sociale qui caractérise la Belgique.
  • La loi a été élaborée par le gouvernement du Premier ministre de l’époque, Jean-Luc Dehaene (CD&V), afin de garantir que les salaires belges ne dépassent pas le niveau des pays voisins. Il s’agissait donc d’un frein à ce que les ouvriers et les employés pouvaient collectivement exiger des employeurs.
  • La loi a été mise à jour sous le gouvernement de Charles Michel (MR). Mais cela a suscité la colère des syndicats : ils estimaient que le gouvernement de centre-droit de l’époque « truquait les règles du jeu » en imposant des plafonds supplémentaires.
  • Les syndicats francophones, tant socialistes que chrétiens, avaient vivement espéré qu’un nouveau gouvernement réduise ces ajustements afin qu’il soit à nouveau possible de mettre les revendications salariales sur la table, lors de la négociation des grands accords salariaux: les accords interprofessionnels (AIP).
  • Mais l’équipe Vivaldi ne l’a pas fait : l’accord de coalition a maintenu la loi de 96 intacte, malgré la demande du PS. Cela a rendu beaucoup plus difficile la négociation du dernier accord salarial entre syndicats et employeurs : au printemps, les négociations sur cette question ont été interrompues à plusieurs reprises. Les syndicats ont exigé l’annulation des changements apportés à la loi. Ils ont fini par faire marche arrière.
  • Par la suite, tant les syndicats chrétiens que les syndicats socialistes ont accepté l’accord salarial. Mais pour les socialistes de la FGTB, il s’en est fallu de peu. En fait, ce fut un vrai cafouillage: ce n’est que parce que quelques milliers de voix de l’aile francophone n’ont pas été comptabilisées qu’une majorité (principalement flamande) a été obtenue et que l’accord interprofessionnel a été approuvé.
  • La FGTB n’a pas abandonné l’idée de supprimer les ajustements de la loi de 1996 et lancera une campagne en plusieurs étapes dont la première se passera ce vendredi à Bruxelles mais aussi à Liège. Du côté du PS, on redoute déjà les prochaines négociations de l’AIP.

En résumé : la Vivaldi n’est pas plus d’accord sur la réforme du marché du travail qu’elle ne l’est sur la réforme des pensions.

  • Le mélange des propositions socialistes aux pressions syndicales crée la division au sein de la Vivaldi. Ce qui met les plans du Premier ministre en péril. Il vise à ressouder l’équipe fédérale lors du discours de l’état de l’Union, mi-octobre.
  • Le PS est sous pression et veut « marquer » un certain nombre de points aux yeux de ses partisans. De mauvais sondages et des relations tendues avec les libéraux font que les socialistes francophones montrent les muscles.
  • Toutefois, les plans de Dermagne n’ont pas fuité via le PS cette fois. Contrairement aux plans sur la réforme des retraites de la ministre Lalieux, qui ont été délibérément rendus publics dans la presse. Si ça ne vient pas du PS, ça vient forcément de l’autre aile de la Vivaldi. Cette fuite sur les 25 propositions du PS dans l’Écho/ De Tijd montre à quel point les partenaires de la Vivaldi se regardent en chiens de faïence. Sans papiers, pensions, fonds d’aide aux sinistrés, prolongation des mesures corona, marché du travail… chaque dossier se percute aux uns et aux autres. Combien de temps cela pourra-t-il encore durer ?

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